Certes, l’opposition se heurte à la mainmise du gouvernement sur les pouvoirs exécutifs et judiciaires et sur les médias lourds, en l’occurrence sur la télévision algérienne qui bannit toute opinion contradictoire. Dans la constitution algérienne, aucune règle ne définit l’exercice du droit à la parole dans les médias, contrairement dans les grandes démocraties où le droit de libre expression a cours (1). L’ENTV est restée sous le joug gouvernemental alors qu’elle devrait être une entreprise autonome tout comme devrait l’être le système juridique. Pourtant, l’opposition a à sa portée un moyen de communication bien plus porteur : Internet via les blogs, les journaux indépendants, les télévisions, etc.
Aujourd’hui, l’opposition appelle au boycott des prochaines élections présidentielles. Je suis convaincu que le taux d’abstention ne sera pas élevé. En effet, à bien écouter les déclarations des responsables du gouvernement, vous vous rendez compte comme moi que leur seule et unique préoccupation du moment, c’est le boycott. Il n’y a qu’à se remémorer les conditions des précédentes élections pour imaginer d’ores et déjà à quoi ressembleront celles du 9 avril. Pensez-vous que ce boycott puisse réellement changer quelque chose ? L’exemple de l’Egypte est édifiant.
Pour s’ouvrir sur la société et assurer une continuité, l’opposition doit réfléchir à la mise en place à long terme d’un système parallèle qui formera les nouvelles générations et les nouveaux syndicalistes et qui encadrera les mouvements associatifs. L’opposition doit aussi réfléchir au moyen de s’unir ; pour être force de proposition, elle devrait créer une plate-forme commune entre les différents partis politiques d’opposition et proposer des actions pacifiques vers un changement. Il faudrait changer les institutions mais surtout inculquer une culture de revendication avec des propositions pragmatiques et responsables tout en préservant la stabilité des institutions, ceci dans l’intérêt de la nation et des générations futures.
Ceux qui nous gouvernent sont souvent animés par un esprit « je connais tout », sans se remettre en question ou céder la place à une autre génération. Un pouvoir sans partage ! « L’Algérie chemine péniblement selon la conjecture, voire selon les humeurs », déclarait Mohand Issad (2). De 1962 à 2008, l’ensemble des constitutions algériennes ont été rédigées dans l’urgence et sans consultation préalable de tous les courants politiques existants. Depuis l’Indépendance, le pouvoir algérien reproduit les mêmes schémas de gestion dans tous les domaines. « L’avancée à reculons, une spécialité bien algérienne », dit Mohand Issad. Ces politiques qui se sont succédées à la tête de l’Etat n’ont pas réussi à stabiliser ses institutions. A chaque gouvernement, des sommes faramineuses sont injectées dans le but de donner un nouvel élan, mais le peuple ne voit jamais rien venir ! Car l’ensemble des politiques n’accordent pas d’importance à la continuité du système et à sa stabilité (peut-être n’y croient-ils pas). Mais ils ont surtout négligé le facteur humain : la formation et son renouvellement générationnel (3). Selon le Ahmed Rouadjia, « La plupart (…) qui se succèdent à la tête des gouvernements depuis l’indépendance, plus sur le mode de cooptation ou de désignation que sur la base des suffrages populaires, ne possèdent pas la culture politique et juridique qui les prédispose à la rigueur et au sens éthique de l’Etat. Cooptés, ils n’ont pas à rendre compte de leurs actes au peuple, et encore moins à se soucier de la justice et du droit, qui demeurent le cadet de leurs soucis. Leur souci essentiel, c’est d’abord comment se servir eux-mêmes tout en servant leur famille restreinte et élargie, leur tribu, et leur clientèle bigarrée. La volonté politique, si volonté il y a, de changement dans l’ordre juridique (ceci est valable dans tous secteurs confondus) se heurte donc à ces obstacles constitutifs de la culture, des schèmes de pensée et d’agir pré-moderne, de la tradition politique nationale, de la conception jacobine, autoritaire, de l’exercice du pouvoir au détriment de l’autorité fondée sur le droit, le respect de l’Etat et des règles de droit civilisées. » (4)
Il est important de souligner que notre gouvernement n’admet pas l’idée d’une société civile organisée fonctionnant sans son contrôle (le cas des syndicats autonomes est édifiant). Le désir de l’Etat de tout contrôler est digne d’un système politique autoritaire, et nous connaissons la finalité de cette pensée.
Il ne peut y avoir de stabilité politique si l’opposition ne participe pas à son équilibre. Le gouvernement doit laisser l’opposition s’exprimer. Car seule une opposition forte de son organisation, sa discipline et sa rigueur peut donner une légitimité au pouvoir en place. Ce qui permettra de sortir de cette spirale infernale.
Yazid Haddar
5 mars 2009
Notes :
1. La France, débat autour de la suppression de la publicité après 20h sur les chaînes T.V. publiques.
2. El-Watan du 23 février 2009.
3. Dossier paru dans le quotidien Elkhabar du 28 février 2009 dont une remarquable réflexion du sociologue Naser Djabi.
4. Ahmed Rouadjia, El-Watan du 21 février 2009.