Enfin, une troisième explication de la délinquance se rapporte au rôle des frustrations et des émotions négatives en général. L’expérience de la frustration est fréquemment associée à l’apparition de comportements agressifs (3). Les études consacrées à la frustration permettent de distinguer les frustrations suscitées par l’impossibilité d’atteindre un but (par exemple, le cas des jeunes haragas qui n’ont pas les moyens d’arriver ou d’atteindre la rive nord). Ces frustrations donnent souvent lieu à des réactions moins agressives que celles résultant d’une menace de l’estime de soi, quand un individu est par exemple insulté par un autre.
Lorsque la valeur que l’on s’attribue à soi-même est menacée par autrui, l’agression verbale ou physique n’est généralement pas très loin. Ceci dit, le manque d’une vraie communication dans nos administrations, poussent certains individus à la vengeance. Car le plus difficile pour un individu est le fait d’être délaissé, ignoré et inconsidéré. Ce mépris (hogra) envers les individus augmente la frustration et le sentiment d’être attaqué dans sa propre estime de soi. Des études ont montré que les individus les plus susceptibles de réagir à la frustration par la violence ne disposent généralement pas de ressources et de qualifications leur permettant de la gérer correctement ; leurs compétences verbales, ainsi que leurs ressources intellectuelles, relationnelles et financières sont limitées. Ils présentent souvent des traits de personnalité tels que l’impulsivité ou l’irritabilité. Les frustrations perçues comme intentionnelles et injustes se manifestent souvent par des comportements violents, de forte intensité et résultent d’incitations à la violence.
Ces trois explications de délinquances individuelles peuvent éclairer certains aspects importants des violences collectives. Selon la théorie du contrôle, la violence résulte donc d’une absence de surveillance ou de contraintes physiques, sociales ou psychologiques. Ceci dit, l’agressivité n’est qu’une inhibition de l’action. C’est-à-dire que lorsque les individus n’ont pas les moyens cognitifs pour gérer (ou inhiber) leurs colères ou leurs frustrations, ils s’expriment par la violence. Celle-ci est amplifiée par l’effet de groupe. Car le groupe apporte une désindividuation (perte d’identité dans le groupe ou l’anonymat) propice à une baisse du contrôle et à une plus grande réceptivité aux normes violentes du contexte immédiat. On peut supposer ainsi que plus la désindividuation est importante, plus la violence exprimée est intense.
Pourquoi la désindividuation rend-elle violent ? D’une part parce qu’elle contribue à abaisser le sentiment de responsabilité individuelle. Et d’autre part, parce qu’elle altère la conscience de soi en diminuant notamment la capacité de l’individu à vérifier l’adéquation entre des normes personnelles relativement stables et ses comportements en situation, rendant l’individu plus sensible aux normes de la situation immédiate.
Comme nous l’avons souligné plus haut, il existe le phénomène de l’imitation d’autrui. C’est notamment l’une des idées développées par Gustave le Bon : « dans la foule, tout sentiment, tout acte est contagieux ». Ce qui explique la multiplication d’émeutes dans certaines villes algériennes. Cependant, ces émeutes ne sont pas forcément synonymes de violence. « Criminelles, les foules le sont souvent, certes, mais souvent aussi héroïques », a écrit Gustave le Bon.
Yazid Haddar
15 août 2008
(1) El-Watan 23 janvier 2007
(2) El-Watan 1er juin 2008
(3) Comme le montre une étude réalisée à Lille, en France, où certains participants recevaient (aléatoirement) une évaluation négative ou positive d’une tâche qu’ils venaient d’effectuer. Ceux ayant obtenu une évaluation négative se sont montrés plus enclins à accepter ultérieurement d’être complices du vol d’un objet supposé appartenir à une autre personne.