Il est un devoir sacré, qu’aucun patriote ne peut renier sans abdiquer : dire toujours la vérité au peuple, quelles qu’en puissent être les conséquences. Nous assumerons cette charge envers et contre tous. Toute notre lutte, notre action révolutionnaire et notre raison militante reposent sur ce serment de dire toujours la vérité et de la propager. Cette vérité qui, avec le temps, se fraiera son chemin et, comme un vent impétueux et irrésistible, chassera les mystifications et les mensonges.
Notre devise est et sera toujours la même : seule la vérité est Révolutionnaire.
Que l’on ne croie surtout pas que le 1er novembre 1954 soit soudain tombé du ciel, alors qu’en réalité il ne fut que le lent mûrissement de plusieurs années, voire de décades d’un travail intense d’agitation, d’explication et d’organisation.
Ne pas comprendre ce cheminement et ne pas en tenir compte signifie que l’on se coupe de la réalité, hors de laquelle il n’y à que l’aventure. Tous les régimes, tous les pouvoirs qui n’ont pas de racines solides dans ce mouvement historique dégénèrent immanquablement et s’écroulent bientôt comme des châteaux de cartes. En ce qui nous concerne le régime actuel est-il le descendant légitime de la révolution et, en conséquence, son héritier, ou n’est-il que le bâtard né de la crise de l’été 1962 ? Nous laisserons la réponse à l’appréciation de tous les Algériens, dont le souci est la découverte de la vérité.
Pour notre part, la réponse est connue, et on a beau nous châtier pour notre refus de renoncer, on n’y changera rien. On nous traîne du Nord au Sud, sous la menace des armes comme de vulgaires bandits de droit commun ; on nous prive de la moindre possibilité de nous défendre et de faire entendre notre voix, comme si ces moyens étaient de quelque secours aux régimes qui en usent. Hélas ! L’aveuglement a été de tout temps la marque des régîmes qui vont à la catastrophe. Que valent, face à cette évidence, les déclarations trompeuses de démocratie, de liberté et de socialisme ?
C’est cela, malheureusement, l’image de notre Algérie qui, en dépit de son passé de luttes, en dépit de ses expériences se trouve, incluse, malgré elle, et pour un temps difficile à évaluer, dans le camp des pays ou la révolution a échoué. Le processus est partout le même. Une conjuration, dans la confusion inévitable des périodes de transitions, se constitue au hasard des alliances et, soit par des manœuvres, soit par la
force brutale, accapare le pouvoir, en traînant avec elle toutes les contradictions inhérentes à sa nature. Avec le temps, les difficultés grandissent, les contradictions se creusent, et les tenants du pouvoir se transforment progressivement en une bureaucratie petite-bourgeoise, despotique et sans lien aucun, avec le peuple dont elle n’est ni la représentation ni encore moins l’émanation. Ne pouvant compter de ce fait ni sur les masses, ni sur l’avant-garde, sa logique l’amène, pour garder le pouvoir, à se créer une défense qu’elle ne peut trouver que dans une police grassement rétribuée ou une armée aux ordres. Les exemples de cet enchaînement sont trop nombreux pour que l’Algérie échappe à ce destin si les militants révolution- naires et le peuple ne se ressaisissent pas au plus vite.
Dans ces conditions, nous empêcher de parler à ces militants et à travers eux, au peuple, c’est exiger que nous nous suicidions en nous reniant. En nous arrêtant, le pouvoir n’a fait que nous renforcer dans nos convictions et s’est démasqué un peu plus.
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