Bouteflika : « Un groupe terroriste affilié à Al-Qaida »

L’ensemble des éléments dont nous disposons atteste que la seule hypothèse permettant de faire coller les différents éléments du puzzle est que toute l’affaire a été gérée par le DRS – ce que les gouvernements occidentaux concernés, et en particulier le gouvernement allemand, ne pouvaient ignorer. Car, outre les anomalies déjà évoquées, bien d’autres confirment cette hypothèse. Comment expliquer, par exemple, qu’un groupe se définissant comme politique organise une prise d’otages sans en informer l’opinion publique ni ses sympathisants ? De fait, il n’y a jamais eu aucune déclaration publique du GSPC à ce sujet.

La presse algérienne se réfère à la publication de communiqués du GSPC en relation avec cette affaire, comme celui du 18 août 2003 annonçant la libération des derniers otages ce jour-là.

Dans son documentaire télévisé déjà cité ( Verschwörung in der Sahara ), la journaliste Susanne Sterzenbach a filmé ce texte dactylographié d’une page rédigé en arabe, à en-tête du GSPC,/5 e région et signé par l’« émir de la 5 e région, Abou Haidara Abderrezak Amari Al-Aurassi » (c’est-à-dire El-Para) : il récapitule les prises d’otages et confirme des tractations avec l’armée algérienne pour la libération des derniers otages ; il affirme que l’armée aurait tout fait pour liquider le groupe avec les otages et que, faute d’y parvenir, elle l’aurait laissé partir vers le Mali. Il revient également sur la libération du premier groupe, qui n’aurait pas été le résultat d’une attaque militaire mais le fait d’une décision de ses hommes.

Comment expliquer que le principal support de communication du groupe, son site Web, n’a pas publié ce document et, plus encore, n’a pas mentionné une seule fois l’opération ? (Le seul document qui s’y réfère indirectement est un appel, daté du 14 octobre 2004, du GSPC aux combattants du mouvement tchadien, le MDJT, qui séquestrera El-Para et certains de ses hommes quelques mois plus tard.) D’ailleurs, Mathieu Guidère, dans son analyse des écrits du GSPC et de la mutation du groupe en « Al-Qaida au Maghreb islamique », n’évoque pas une seule fois cette fameuse prise d’otages, ce qui est tout de même surprenant vu l’importance que prendra l’affaire dans le discours occidental autour d’un prétendu « sanctuaire de terroristes » dans le Sahel, qu’une coalition d’armées locales sous la régie des Américains se doit de combattre.

À l’époque, certains observateurs osent tout de même poser quelques questions ou exprimer quelques doutes quant à la responsabilité du GSPC dans le rapt. Des ex-otages parlent même de combattants islamistes indépendants, sans affiliation au GSPC ni à Al-Qaida. Ainsi est-il constaté que le GSPC n’est pas implanté au Sahara : l’organisation de cette opération, l’orientation dans le désert, la mise en place de la logistique et du ravitaillement, l’approvisionnement en eau et en carburant, tous ces aspects vitaux durant une période si longue nécessitent des soutiens de l’extérieur. Or, si elle ne provient pas des rares habitants de la région – et sur ce point, il n’y a jamais eu confirmation de l’existence de complicités –, cette aide est venue d’ailleurs. De plus, à cette époque, il n’est aucunement dans les habitudes du GSPC de pratiquer des enlèvements, encore moins d’étrangers ou de s’attaquer à des civils.

Si l’implication des services secrets algériens dans l’opération ne peut donc faire de doute, reste à en comprendre la motivation. Les premiers éléments de réponse à cette question se trouvent dans la presse algérienne elle-même. Car tout au long du déroulement de l’affaire, d’avril à août 2003, elle a publié des dizaines d’articles signés des relais habituels du DRS. Des articles fourmillant d’informations contradictoires, dans une confusion habilement entretenue, typique des services d’« action psychologique » du DRS. De cette confusion, émergera progressivement la thèse de l’organisation de l’opération par le GSPC, relais d’Al-Qaida. Pour ne citer qu’un exemple, un article du quotidien Le Jeune Indépendant affirmait ainsi en juillet 2003 : « Au cours d’une conférence conjointe avec le président fédéral autrichien, le Dr Thomas Klestil, M. Bouteflika a déclaré pour la première fois depuis le début de cette affaire que les otages étaient entre les mains d’un groupe terroriste affilié à Al-Qaida d’Oussama Ben Laden [25]. »

Et dans les toutes dernières semaines de l’affaire, les journaux algériens présentent désormais comme une certitude l’implication d’Al-Qaida, par GSPC interposé. Dans les quotidiens qui distillent régulièrement les « informations » provenant selon eux des services de renseignements, toute une légende autour du personnage El-Para est alors brodée, évoquant notamment ses liens avec l’« internationale islamiste » [26]. À partir de début août, les réticences perçues auparavant s’estompent et certains journalistes ne doutent plus : c’est Abderrezak El-Para, « numéro deux » du GSPC, qui est à l’origine de la prise d’otage et celui-ci est « proche » d’Al-Qaida. Il en est de même pour Mokhtar Belmokhtar, contrebandier notoire sévissant dans le Sud de l’Algérie : alors que, durant des mois, son appartenance au GSPC était présentée comme sujette à caution, voilà qu’il est dénoncé comme complice d’El-Para [27].

L’affaire des otages marque ainsi l’entrée du GSPC sur la scène internationale et, selon les divers partisans de la thèse d’une présence d’Al-Qaida au Sahel – qui occultent presque tous les très nombreuses bizarreries de l’affaire –, l’entrée de l’organisation de Ben Laden dans la région. Une opération dont on comprendra plus tard – grâce notamment aux témoignages des otages, même si leur perspective ne permet pas de saisir toutes ses facettes – qu’elle était une manipulation destinée, pour ses commanditaires du DRS, à placer l’Algérie au cœur d’une stratégie américaine de contrôle militaire du Sahel. C’est ce que démontrera, dans deux articles très documentés publiés en 2005 et 2006 [28], l’universitaire britannique Jeremy Keenan, spécialiste du Sahara qui se trouvait en Algérie au moment de la prise d’otages, mandaté par des proches des victimes.

Apportant maintes informations inédites, Keenan relève notamment qu’une première tentative avortée d’implantation terroriste dans le Sahara avait eu lieu avant celle du printemps 2003 : en octobre 2002, un groupe de touristes avait été enlevé à Arak, mais ils avaient pu s’échapper ; poursuivis par la gendarmerie algérienne, les ravisseurs seront arrêtés, et… aussitôt relâchés sur ordre du chef du DRS à Tamanrasset, ce qui signait, explique Keenan, l’organisation de l’opération par le DRS [29].

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