Mai-août 2003 : fausses négociations et pénible odyssée vers le Mali du premier groupe d’otages

Le 13 mai, le premier groupe d’otages, enlevé en février, apprend la libération du second à la fois par la radio et par leurs ravisseurs, lesquels s’en réjouissent. Ayant pris contact avec leurs camarades qui détenaient le groupe libéré, ils rapportent qu’il n’y a pas eu d’opération militaire, mais qu’il s’agissait d’une « intervention militaire concertée, afin que le gouvernement algérien puisse continuer de prétendre ne pas négocier avec des terroristes [18] ». D’ailleurs, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères allemand, Jürgen Chrobog, interviewé le 14 mai par la Deutsche Welle au sujet de la libération des otages, ne voudra pas préciser s’ils ont été relâchés ou libérés de force [19].

Par radio, El-Para ordonne à ses hommes du premier groupe de se rendre avec leurs otages au bout de la piste aménagée (par laquelle ils étaient passés trois mois auparavant), où il compte les rejoindre. Il aurait trouvé une « solution » et promet que le 18 mai, les autres touristes seront libres. Au même moment, ces derniers entendent à la radio que des troupes auraient été concentrées à Illizi et s’apprêteraient à lancer une seconde opération pour libérer les Européens, retenus à 150 km de là. Il est aussi question de négociations autour d’une rançon. À ce moment-là, tout le monde croit à un dénouement imminent de l’affaire. En Europe, les différents ministères des Affaires étrangères informent les familles des mesures à prendre quand les ex-otages arriveront – et les médias se jettent sur elles, à l’affût de la moindre information. L’arrivée annoncée de hauts gradés algériens à Illizi est aussi interprétée dans ce sens.

Mais quand le groupe d’Européens rencontre El-Para, ils apprennent qu’il n’y a aucune « solution » : selon lui, il y aurait eu des négociations, mais l’intervention de l’armée pour libérer le second groupe de prisonniers les aurait interrompues. En l’écoutant, les otages doutent toutefois de la réalité de ces « négociations » ; et ils n’ont pas tort, puisque ce n’est que début juin que les hommes d’El-Para enregistrent une vidéo et demandent à l’un des Européens de les aider à rédiger un courrier destiné aux ambassades suisse et allemande à Alger. Cette prétendue « lettre de revendication » est photographiée par les otages (elle sera publiée dans le livre déjà cité de Rainer et Petra Bracht) : rédigée en français, elle ne ressemble en rien à une lettre de revendication, car elle ne comporte que la présentation du GSPC et les grandes lignes de son programme, sans aucune allusion à la prise d’otages ni à des exigences financières. Pourquoi produire un communiqué en français sans aucun contenu ?

Les otages, cachés dans les monts du Mouydir/Iffetessene, s’installent de nouveau dans l’attente, sans savoir ce que l’émir – qui s’absente à nouveau – entreprend pour leur libération. Les autres membres du groupe armé n’en sont pas informés non plus et tentent de récolter quelques informations par radio. Ils commencent à s’impatienter et nombre d’entre eux désapprouvent l’opération ; mais ils n’osent pas désobéir à leur chef, qui leur a ordonné d’attendre. L’un d’eux raconte que tous les otages auraient été enlevés « par hasard » : en réalité, ils auraient été à la recherche de quatre Toyotas avec des plaques d’immatriculation françaises. Les informations à propos de contacts et de négociations avec les autorités recueillies à la radio ou auprès des ravisseurs sont très contradictoires. Et fin juin, il s’avère une fois de plus que les négociations n’ont pas été entamées.

El-Para récupère les derniers membres du groupe qui avait séquestré les Européens libérés mi-mai et rejoint le groupe avec les autres otages [20]. Le 26 juin, tous quittent le camp dans lequel ils ont passé plusieurs semaines, pour se rendre au nord du Mali. C’est l’une des étapes les plus difficiles pour les otages, car le transport se fait dans des véhicules surchargés, conduits de manière si dangereuse que plusieurs accidents manquent de leur coûter la vie. Mais le plus éprouvant est le manque d’eau, dans une chaleur suffocante, ce qui provoque la mort de l’une des otages allemandes, Michaela Spitzer, 45 ans ; elle est enterrée en Algérie (son corps sera rapatrié plus tard en Allemagne).

Arrivés enfin au Mali, El-Para ne semble toujours pas avoir entamé de négociations. Pourtant, les lettres des otages envoyées par un intermédiaire sont arrivées à leurs familles. Ils vont changer plusieurs fois de camp, mais leurs conditions de vie s’améliorent considérablement. D’après l’un des otages, des membres de la « 9 e division » (Sahara) du GSPC vont alors se joindre à eux ; ils semblent fortement critiquer cette action, car selon eux, l’Islam interdirait l’emprisonnement de femmes et de personnes âgées [21]. Ce qui contredit certaines allégations de la presse algérienne selon lesquelles le groupe de Mokhtar Belmokhtar (l’émir supposé diriger cette « 9 e division ») aurait participé à – voire organisé – cette opération [22].

Pendant ce temps, des représentants des gouvernements allemand, suisse et néerlandais se rendent en Algérie et au Mali. Ils sont donc informés de la présence des otages dans ce pays. Mi-juillet, ces derniers apprennent que l’émir a pris contact avec l’ambassade allemande à Bamako, mais il semble ne pas savoir comment régler l’affaire. Finalement, le 20 juillet, l’un des otages rejoint El-Para ; il restera avec lui jusqu’à la libération du premier groupe. Le processus de négociation semble enfin enclenché, mais on ignore la teneur des tractations, l’otage concerné, à notre connaissance, n’en ayant jamais fait état publiquement. Des médiateurs maliens sont désignés et des médicaments et des vivres de l’ambassade allemande sont acheminés par leur canal jusqu’aux otages. Une nouvelle vidéo des otages est enregistrée début août et, peu après, deux véhicules sont mis à leur disposition par le gouvernement malien afin de les transporter vers la capitale. Le 18 août, ils rejoignent l’émir et leur compagnon d’infortune à un endroit qu’ils avaient déjà traversé à leur arrivée au Mali. Les intermédiaires maliens les reçoivent et tout est filmé par un membre du GSPC ; enfin, les touristes se retrouvent entre les mains des autorités maliennes, qui les amènent à Gao, puis à Bamako.

Fort curieusement, ils ont pu récupérer leurs papiers d’identité et autres documents, et garder leurs notes personnelles et leurs pellicules photos, y compris celles des preneurs d’otage. Étonnant est aussi le fait que l’un des ravisseurs, possédant un téléphone portable, ait donné son numéro à certains Européens, qui ont pu le joindre plus d’un an plus tard, alors que selon ses dires il se trouvait encore au Mali [23]. Quatre ans après, ce numéro semblait encore actif, bien que personne ne répondait.

Comme on l’apprendra plus tard, la libération des derniers otages aurait été obtenue en échange du versement par le gouvernement allemand d’une importante rançon, estimée à 4,6 millions d’euros, au groupe d’El-Para [24].

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