Mai 2003 : la mise en scène de la libération du second groupe d’otages

Durant tout ce temps, l’opinion publique, elle, n’est informée de rien. Un mois après la disparition des touristes, les spéculations vont encore bon train : s’agit-il d’un groupe armé islamiste, de bandits, de contrebandiers, de Touaregs ? Quelles sont leurs revendications ? Il n’y a aucune certitude qu’il s’agisse du GSPC, ni d’Abderrezak El-Para. Ce n’est que le 17 avril 2003 – près de deux mois après les premiers enlèvements – que l’hebdomadaire autrichien Profil émet l’hypothèse d’une prise d’otages commanditée par un certain Mokhtar Belmokhtar, présenté comme un dirigeant du GSPC. Le journal affirme également que l’un des groupes a été localisé par l’armée algérienne, qui l’observe sans intervenir.

Quant aux autorités allemandes – les plus concernées par l’affaire, puisque les ressortissants allemands constituent la moitié des otages –, leur comportement est pour le moins curieux. Alors que manifestement, elles savent où se trouvent les otages, elles ne rassurent pas les familles invitées à plusieurs rencontres au ministère des Affaires étrangères à Berlin, en leur confirmant que leurs proches sont en vie [10].

Une armada de militaires et de civils est alors déployée dans le Sahara, mais officiellement rien ne filtre. Le 29 et 30 avril, la presse algérienne rapporte que les otages seraient en vie, aux mains de « terroristes » localisés par l’armée, détenus en plusieurs groupes séparés géographiquement, mais tous dans la région d’Illizi [11]. L’armée algérienne aurait planifié une « intervention militaire », mais les autorités allemandes refuseraient cette solution et plaideraient pour une négociation, afin de préserver la vie des otages. C’est à cette occasion qu’est évoqué pour la première fois le nom d’Abderrezak El-Para.

Le flou persiste cependant, alors que des hauts responsables des pays dont sont originaires les otages se succèdent à Alger. Le 10 mai, le ministre des Affaires étrangères de la RFA, Joseph Fischer, et le chef des services de renseignements de ce pays se rendent en Algérie. Trois jours plus tard, le 13 mai, le second groupe de dix-sept otages est libéré à 80 km au sud-ouest d’Amguid. Officiellement, l’armée algérienne a mené un « bref assaut au cours duquel des précautions ont été prises pour préserver la vie des otages [12] ». Une « libération » fort curieuse, qui ressemble, selon certains des otages libérés, à une mise en scène. Ce jour-là, ils sont contraints à marcher environ quinze kilomètres pour rejoindre des rochers sous lesquels les ravisseurs les obligent à se cacher, sans donc chercher à les utiliser comme boucliers humains pour se défendre de la prétendue attaque des militaires. Après l’« assaut », ce ne sont pas les militaires qui viennent chercher les otages dans leurs refuges, mais ces derniers qui en sortent seuls, l’un après l’autre. Malgré le feu nourri qu’ils ont entendu, ils sont extrêmement surpris de ne voir aucun mort, alors qu’officiellement, il est question de neuf, puis de quatre, ravisseurs tués. Et il n’y a aucune trace des survivants : ils semblent s’être évaporés, alors qu’ils étaient encerclés par les militaires et ne disposaient pas de véhicules pour s’enfuir. Pourtant, on le verra, certains de ces ravisseurs rejoindront l’autre groupe de preneurs d’otages.

Les touristes libérés sont emmenés par hélicoptère à la caserne militaire d’Amguid, où ils sont reçus et interrogés par le général Abdennour Aït-Mesbah, alias Sadek – lequel avait été nommé en 2002 « chargé de mission » à Tamanrasset du chef du DRS, le général-major Mohammed Médiène, dit « Toufik » [13]. Le général leur raconte que quatre des assaillants ont été tués dans l’un des véhicules des voyageurs – que les ex-otages ont eu l’occasion de voir dans la caserne, criblé de balles. Ils apprendront toutefois plus tard que les analyses effectuées en Allemagne sur ce véhicule ne décèleront aucune trace de sang [14]. D’Amguid, ils sont transportés à Tamanrasset et, de là, vers Alger où de nombreux ministres et des hauts gradés les accueillent à l’aéroport. Transférés à l’hôpital Aïn-Naadja, ils sont encore interrogés par des membres du DRS en présence d’un agent des services de renseignements allemands. Et ils sont de nouveau filmés.

Une fois de retour dans leur pays, les otages allemands reçoivent une semaine plus tard la visite de fonctionnaires de la police judiciaire (BKA), qui les interrogent pendant deux jours. Lors de ces débriefings, les ex-otages sont étonnés de voir des photos des assaillants datant de la période de leur séquestration. Ils y reconnaissent les ravisseurs, mais aussi leurs véhicules subtilisés. Ces photos n’ont pas été prises par un avion, mais au sol [15]. Qui les a prises ?

Et le 5 juin 2003, le quotidien autrichien Kronen Zeitung affirme qu’en réalité, la localisation et la libération du second groupe d’otages n’auraient été possibles que grâce à l’infiltration parmi eux d’un agent du BKA [16]. La dernière personne enlevée par le GSPC, un archéologue allemand, portait en effet sur lui un émetteur qui permettait de suivre le groupe. Le BKA avait prévu qu’il rejoigne le premier groupe d’otages, enlevés en février. Ses compagnons d’infortune s’étonnaient du fait qu’il voyage seul, ce qui n’est pas courant au Sahara, dans un véhicule comportant un réservoir de plus de 400 litres de carburant – une aubaine pour El-Para, qui s’en est tout de suite emparé. C’est le fameux véhicule criblé de balles que les otages libérés verront à Amguid et dans lequel auraient été prétendument tués quatre des ravisseurs.

Tous ces éléments laissent pour le moins perplexe. Les otages libérés le 13 mai ont constaté que le « commando spécial de l’armée algérienne » n’avait pas investi le camp pour neutraliser les membres du groupe armé. L’opération, pourtant, ne présentait guère de difficultés : quelques dizaines de mètres séparaient ravisseurs et otages, et ces derniers étaient gardés par un seul homme en arme ; de surcroît, les ravisseurs faisaient régulièrement leur prière, se séparant alors de leurs armes. De même, il est invraisemblable que la petite piste provisoire que les assaillants semblaient avoir aménagée vers le campement qui devait accueillir les otages n’ait pas été repérée et que le groupe puisse rouler dessus sans être intercepté. Tout aussi surprenant, le fait que l’armée n’ait pas arrêté El-Para, alors qu’il se déplaçait dans ce véhicule connu des services de renseignements et qu’il empruntait même tranquillement une des pistes principales, ce qui avait étonné les otages. Autre anomalie : durant tout le temps passé en Algérie, on l’a dit, les deux groupes de ravisseurs communiquaient entre eux et avec leur chef par radio ; or, le code qu’ils utilisaient ayant pu être déchiffré par le BKA, ces communications ont été interceptées et les groupes étaient localisés en permanence. Le BKA le confirmera au retour du second groupe enlevé en mars et libéré en mai [17].

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