Une ère a pris fin en Algérie. Celle où le pouvoir était encore omniprésent. Désormais, l’Algérie devra sans construire sans lui.

L’Algérie a basculé. En ce début septembre 2007, marqué par les douloureux attentats de Batna et Dellys, des mythes sont tombés et des illusions ont été définitivement balayées. Une ère a pris fin, celle où il était encore attendu du pouvoir qu’il prenne des initiatives ou qu’il contribue à sortir le pays de la crise. Une autre ère a commencé, celle où il appartient désormais à la société, dans ses différentes composantes, de construire ses propres alternatives, avec le pouvoir ou, peut-être, sans lui.

En fait, cette nouvelle réalité ne s’est pas imposée du jour au lendemain. Elle est le résultat d’une longue accumulation d’échecs et de mauvais choix. La récente flambée de violence, avec les attentats de Batna et Dellys, n’ont constitué que le déclic révélateur d’une situation nouvelle, porteuse d’espoirs certes, mais de nombreux dangers aussi.

D’une certaine manière, c’est le pouvoir lui-même qui a imposé cette réalité, par ses propres échecs. Et ils sont nombreux. Il y a d’abord eu l’échec de sa politique sécuritaire. Celle-ci a été érigée en dogme. Nécessaires, sinon vitales, pour garantir la stabilité du pays, les mesures sécuritaires ne constituent cependant qu’un volet d’une démarche incluant l’ensemble du champ politique et social. Mais en Algérie, elle a été érigée en démarche politique centrale, excluant tout le reste. Elle a mené droit à l’échec, car ses promoteurs ont refusé de comprendre que si l’entreprise ne crée pas d’emplois, si l’école ne forme pas de citoyens, si la société n’offre pas de structures de solidarité, et si les acteurs politiques ne prennent pas en charge les aspirations des gens, le policier peut bien traquer le terroriste, il y aura toujours plus de terroristes prêts à prendre les armes que de terroristes arrêtés ou éliminés. En un mot, ils ont refusé de comprendre qu’il ne sert à rien de combattre des terroristes si on n’arrête pas la machine qui les fabrique.

Cette vision sécuritaire a, en quelque sorte, provoqué à son tour un échec de la réconciliation. Ceux qui considéraient que le terrorisme était une simple question d’armes pensaient qu’un compromis avec les groupes armés mettrait fin à la violence. Mais si la violence a nettement baissé, les conditions d’une résurgence de la violence sont toujours réunies, car les éléments de l’épanouissement politique, économique et social ne sont pas encore réunis. Ceci alimente le désespoir, qui se manifeste de plusieurs manières : terrorisme, mais aussi suicide, drogue, délinquance, enlèvements, ainsi que ce terrible phénomène des « harraga », qui voient des milliers de jeunes Algériens se lancer dans une aventurière suicidaire plutôt que de rester dans leur propre pays.

La réconciliation a finalement concerné une partie de ceux qui avaient pris les armes et ceux qui les avaient combattus. Elle n’a pas inclus la société. Plus grave encore, eux qui ont toujours refusé la violence, et qui ont toujours milité pour des choix politiques pacifiques, se trouvent de fait exclus du champ de la réconciliation. Ce simple élément suffirait en fait pour affirmer que l’entreprise de réconciliation n’a pas abouti.

A côté de ces grands échecs, il y en a d’autres, plus évidents encore. Sur le plan économique, c’est la déroute la plus totale. Un gouvernement, dirigeant un pays doté d’immenses réserves financières, n‘arrive pas à trancher sur des questions aussi rudimentaires que l’approvisionnement en lait et en pomme de terre. Cette manière de gérer le pays a transformé l’actualité nationale en une succession de drames, de faits divers sanglants, d’actes terroristes, de comportements ridicules et de scandales. Jusqu’au chef de l’état qui fait adopter une ordonnance dans un faux conseil de ministres, pour la faire avaliser ensuite par un Parlement dont aucun membre ne relève la forfaiture.

Mais ce mois de septembre a donné lieu à une dérive grave, car les plus récents attentats ont été révélateurs d’une évolution encore plus dangereuse : les symboles même de l‘état et de sa sécurité, comme le président de la république, le palais du gouvernement et les casernes de l’armée, sont devenus des cibles insuffisamment protégées. Cela amène naturellement à se poser des questions, au sein même du pouvoir et chez ses partenaires, nationaux et étrangers, sur les conséquences de cette évolution: jusqu’où ira l’incapacité du pouvoir à répondre aux vrais défis ? Ne risque-t-il pas de s’enfermer encore plus dans son autisme, ce qui peut générer de nouvelles dérives ?

Enfin, à tout cela, se greffe une atmosphère de fin de règne, qui se prolonge indéfiniment. Plus que l’état de santé du chef de l’état, qui donne lieu à des rumeurs cycliques, c’est l’état de santé du système qui pose problème. Il a longtemps été question de lui permettre d’évoluer, de le réformer, sous une forme ou une autre, pour lui permettre de s’adapter. Au départ, sa participation paraissait nécessaire dans le processus du changement parce qu’il renfermait encore l’essentiel des capacités du pays. L’amener à changer signifiait alors qu’il mettrait ses ressources au service de l’évolution du pays. Plus tard, la participation de ce système au changement aurait signifié qu’il pourrait survivre en s’adaptant aux nouvelles règles du jeu, et que le pays n’aurait pas à subir son immense capacité de nuisance.

Mais aujourd’hui, tout laisse penser que l’Algérie devra se résoudre à chercher ailleurs. Le système n’a plus rien à donner, ni rien à proposer. La nouvelle Algérie se fera probablement sans lui. Le risque est qu’elle doive se faire contre lui, ce qui porte le risque de nouvelles épreuves douloureuses. Mais comme dans un couple qui se sépare, le plus important est d’admettre le divorce et d’en assumer les retombées. Ensuite, les solutions s’imposeront d’elles-mêmes.

Abed Charef
12 septembre 2007
 
Source: http://abedcharef.spaces.live.com/blog/cns!2A9EA67E7585D08D!448.entry

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