Extraits (synthétisés)

« Non, à tout prendre, je préfère que les Frères musulmans soient cooptés par les militaires égyptiens qui gardent l’essentiel du pouvoir plutôt que de les voir gagner des élections libres, instituant un Tariq Ramadan comme ministre de la Culture. […] Je soutiens donc le maintien des dictatures les plus éclairées possibles – voire pas éclairées du tout – en Égypte et en Arabie saoudite plutôt que l’application, dans ces régions du monde, des principes démocratiques qui, dans l’immédiat, ne seraient que porteurs de désordres et de violence. »
Alexandre ADLER, essayiste français (Le Figaro, 6 septembre 2004).

« On se rappelle l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme… qui a vu l’ours qui a mangé le facteur, et qui n’a pas eu peur. Un peu de la gloire du dernier rejaillit sur le premier. Ici, c’est de la fragrance sulfureuse qu’hérite celle ou celui qui connaît une personne dont un ami parle parfois en bien de quelqu’un qui a un jour par inadvertance serré la main à un proche de Tariq Ramadan. C’est devenu comme un passe-partout pour qui veut dénoncer une initiative politique, une prise de position, un réseau, ou encore une revue, un courant, ou encore un mot d’ordre… ramadanisme, ramadanien, ramadanisante. Il est inutile d’en dire plus. […] Et ce n’est pas de la part de celles et de ceux qui se sont livrés à la critique de son travail que le simple nom de l’intellectuel genevois apparaît ainsi comme une injure ou comme un chiffon rouge. Non. C’est du côté de celles et de ceux qui prennent l’ignorance pour une vertu – ou pour la nécessaire conséquence d’un mépris militant. »
Laurent LEVY, militant antiraciste français (Socialisme international, printemps 2005).

« Et si, […] plus généralement, au cœur de nos sociétés laïques, démocratiques, pluralistes, […] se développait un formidable conformisme de la pensée correcte ? Si, à la domination cléricale d’hier, se substituait une terrible domination mimétique ? Une domination où chacun est socialement obligé de se mouler dans une forme de pensée convenue, ne laissant qu’une liberté de contenu illusoire. Douceur d’un totalitarisme d’un extrême centre. »
Jean BAUBEROT (Laïcité 1905-2005, entre passion et raison, Seuil, Paris, 2005, p. 271).

Plan de l’ouvrage

L’ouvrage met d’abord en évidence une distinction essentielle entre un phénomène essentiellement identitaire, le regain de la popularité du « parler musulman », et les mille et une façons qu’ont ses adeptes d’utiliser en politique, comme en société, ce lexique « réhabilité » Sur l’origine de ce regain de fortune du référentiel islamique en politique, nous avons proposé depuis longtemps des hypothèses dont rien ne nous incite aujourd’hui à nous départir. Le retour en grâce du lexique de la culture musulmane « héritée » nous est apparu comme le corollaire, sur le terrain culturel et symbolique, de la vieille dynamique de « remise à distance » de l’Occident colonisateur. Dans le contexte puis dans le prolongement de l’expansion coloniale des XIXe et XXe siècles, pour contrer la place prise irrésistiblement par le discours et les catégories d’une culture coloniale à la fois importée et largement imposée, une génération a éprouvé le besoin de restaurer la visibilité et la centralité des codes de la culture musulmane héritée (chapitre 1).

Pour replacer la mobilisation islamiste dans des contextes qui, en un siècle, ont beaucoup évolué, ce livre propose de dissocier les trois grandes séquences (présence coloniale, indépendances, 1990 à nos jours) de son déploiement (chapitre 2). Pour comprendre la diversité de ses expressions, il explore les tensions entre les spécificités nationales et les phénomènes de transnationalisation (chapitres 3 à 5). Le chapitre 6 s’emploie à démonter plus précisément les ressorts de la radicalisation à l’origine de l’émergence d’Al-Qaida, en distinguant soigneusement les dimensions « sectaire » (la criminalisation de l’appartenance de l’autre) et « politique » (qui peut procéder d’une simple contre-violence). Le chapitre 7 examine les trajectoires de quatre hommes parmi les plus emblématiques de cette mouvance radicale, de l’idéologue Sayyid Qutb à l’exécutant pilote du 11 septembre, Mohamed Atta.

Pour tenter de comprendre pourquoi l’émotion tend souvent à priver l’analyse de sa nécessaire rationalité, le chapitre 8 rappelle que les obstacles que doit surmonter la lecture du phénomène islamiste ne sont pas seulement liés aux peurs et aux malentendus hérités du passé colonial occidental. Ces peurs sont également « exploitées » très volontairement aujourd’hui par tous ceux qui ont intérêt à discréditer les résistances exprimées avec le lexique islamiste. Dans le chapitre 9, enfin, on passe en revue les contradictions de l’unilatéralisme de la « riposte » occidentale consécutive au 11 septembre : les effets contre-productifs du tout sécuritaire d’une part, les illusions « éducatives » d’autre part, ces deux volets masquant la difficulté de donner une réponse politique dont la caractéristique est qu’elle devrait reconnaître le caractère partagé des torts et des responsabilités attribués trop unilatéralement à l’« islamisme radical ».

Les démocraties et autres défenseurs « de la liberté » ou « de la tolérance », nous explique-t-on depuis le 11 septembre 2001, sont confrontés à la menace « terroriste » de l’« intégrisme » musulman. Est-ce pourtant bien de cela qu’il s’agit ? Ces pages entendent inviter à interroger les fondements politiques et idéologiques de ce quasi-unanimisme mondial de la « guerre globale contre la terreur ». Et à prendre la mesure des conséquences désastreuses que ses adeptes zélés sont en train d’engendrer : l’extension et la radicalisation de cette révolte qu’ils nous disent avoir la prétention d’« éradiquer ». L’hypothèse centrale de ce livre est que, à y bien regarder, la rébellion d’Al-Qaida est moins religieuse que politique et que l’« islamisme radical » recèle infiniment moins de fondamentalisme religieux, de sectarisme et d’obscurantisme que de défense, pas toujours illégitime, d’intérêts plus trivialement politiques, ou économiques, inextricablement imbriqués dans de très banales affirmations identitaires. Nous entendons également établir que le décryptage des mécanismes de la radicalisation islamiste ne saurait se lire loin du miroir du comportement de l’environnement occidental, où des composantes sectaires tout aussi condamnables participent de bon nombre de mobilisations politiques.

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