1. Définition et introduction

Le concept de citoyenneté a beaucoup évolué. Dans un premier temps, il désignait celui qui appartient à une cité, puis celui qui vit en république, par opposition à un sujet de roi, ensuite citoyen du monde qui met l’intérêt de l’humanité au-dessus de la nation. Néanmoins, le sens de ce concept demeure essentiellement lié à l’idée d’identité, de république, des droits et des devoirs.

Le terme citoyenneté est-il synonyme de nationalité ? En réalité, les deux termes sont différents, bien qu’on ait tendance à les confondre. D’aucuns considèrent que la nationalité exprime l’appartenance à la nation. La citoyenneté exprime l’appartenance à l’Etat.

A priori, il semble que le terme citoyenneté ait une acception plus large que nationalité. La citoyenneté a une connotation humanitaire, donc plus ouverte, plus libérale, plus respectueuse des différences identitaires, elle est de ce fait plus conforme à l’Islam.

La spiritualité visée par cette étude est la foi Islamique dans toute sa globalité et ses implications en matière de croyances et de pratiques. De prime abord, il convient de souligner que les disconvenances entre spiritualité et citoyenneté proviennent d’une part des interprétations erronées de certains préceptes islamiques et d’autres part du mépris des principes des droits humains et de neutralité de l’Etat. Sans ces manquements auxquels il est tout à fait possible de remédier, il n’y aurait pas d’opposition entre citoyenneté et spiritualité. Au contraire, j’ose même affirmer que les deux notions se complètent, elles ne s’excluent pas. Mieux encore, la citoyenneté se nourrit de la spiritualité et celle-ci se nourrit de la citoyenneté. L’islam est un ensemble de pratiques et de lois souples qui s’adaptent à tous les milieux et à tous les temps. Le propre de ses lois n’est pas de nuire aux hommes ni de leur imposer une gêne quelconque ; au contraire, c’est pour leur intérêt et le bien commun que ces lois ont été conçues. Un des objectifs de ces lois est de protéger la vie humaine. Quoi de plus légitime que de préserver la vie humaine ? Fait également partie des objectifs de la loi islamique la protection de « al ‘acl » (l’intellect). Une loi qui a la délicatesse de protéger ce qu’il y a de plus précieux en l’homme est pour le moins louable. On ne peut imputer à l’Etre parfait des lois imparfaites, si c’est le cas, la faille ne peut provenir que des interprétations humaines. L’islam est à la fois une religion et un mode de vie, ce n’est pas une spiritualité limitée au culte, c’est un comportement ; les laïques doivent en tenir compte dans la mesure où cette particularité de l’islam sert, nous le verrons bien, les intérêts de la laïcité. Cela ne veut pas dire, que l’islam est inconciliable ou inadaptable ; bien au contraire, il a la pleine capacité de s’adapter mais dans quel domaine et à quelles conditions ? Tout le problème est là ! Faut-il le faire au détriment des principes immuables de l’islam ? Bien sûr que non ! Faut-il déformer le sens des versets du Coran et des propos du Prophète ? La réponse est non ! La souplesse de l’islam ne veut pas dire l’abrogation ou l’occultation de ses préceptes ; personne en dehors de Dieu (Gloire et Pureté à Lui) ne peut modifier les préceptes de l’islam et étant donné l’interruption de la révélation, ces préceptes demeurent donc invariables. Sans doute, il y a ce qu’on appelle ‘‘l’ijtihad’’, l’effort d’interprétation. Mais l’ijtihad ne peut fonctionner hors de l’espace qui lui est réservé, à savoir les préceptes à caractère abstrait, ce qui exclut les dispositions décisives, claires et précises. C’est le sens de la règle : ‘‘Pas d’ijtihad avec le texte’’, c’est-à-dire avec le texte comportant une norme claire, précise, tranchée qui ne souffre ni doute, ni discussion ni interprétation. Certains, au nom d’un ijtihad exorbitant du droit musulman, s’évertuent à remettre en question des dispositions claires et sans équivoque non susceptibles d’ijtihad, entre autres la prohibition de l’alcool, la part d’héritage destinée à la fille, etc. L’ijtihad n’est qu’une méthode d’interprétation ou de réinterprétation de ce qui est abstrait et imprécis, il n’est donc pas habilité à réinterpréter ce qui est clair et explicite.
Les points de désaccord entre la citoyenneté et la spiritualité islamique doivent faire l’objet d’un compromis, chaque partie doit faire des concessions à l’autre, par exemple en ce qui concerne les musulmans, l’excision n’a rien à voir avec l’islam, les musulmans doivent l’abandonner. En échange, la république doit lever certains interdits, par exemple le port du foulard. Tout au long de son histoire, l’islam s’est distingué par sa tolérance et sa compatibilité avec tout ce qui peut être qualifié de profane, car l’islam est venu en fait réconcilier les deux dimensions de la vie : temporelle et spirituelle. De là, il est une erreur de le confondre avec les religions qui ont sombré dans l’excès en utilisant de manière irraisonnée l’une des deux dimensions au détriment de l’autre.

2. Quelques traits caractéristiques de l’Islam

La première caractéristique de l’Islam est sa communion avec la science. Le premier verset révélé du Coran est un appel à la lecture, à l’enseignement, au savoir, c’est l’éloge de la plume. « Lis au nom de ton Seigneur qui a créé […] C’est Lui qui a fait de la plume un instrument du savoir et qui a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas » s96 v1-5

C’est aussi l’éloge des savants :

« Les savants sont les témoins de l’unicité de Dieu qui veuille sur l’équilibre, dit le Coran (s3 v18). « Et de tous les serviteurs de Dieu, seuls les savants Le craignent véritablement » s35 v28

Le Coran invite les hommes à l’usage de la raison, à l’analyse, à la réflexion, à l’étude, à la méditation des signes de la Création et de l’Univers.

« Dis : Je ne vous exhorte qu’à une seule chose : Tenez-vous debout devant Dieu, par deux ou séparément, puis méditez » s34 v46

Une religion qui sacralise la science et le savoir ne peut être qu’à l’opposé du dogmatisme et de l’extrémisme.

La deuxième caractéristique de l’islam est la justice. L’islam enseigne et ordonne la justice de manière à en faire un principe fondamental, une valeur constante et la meilleure forme d’adoration de Dieu. Le Coran informe que la justice et la raison juste sont à la base de la création de l’univers, de l’équilibre de l’existence, de l’envoi des messagers, voire, dans une certaine mesure, du maintien de la vie sur Terre.

« Mon Seigneur ordonne la justice » s7 v29 ; s16 v90

Le Prophète instaura à Médine un Etat essentiellement fondé sur les principes de justice. L’article 13 de la constitution de cet Etat fait obligation à chaque citoyen d’apporter son aide dans la lutte contre l’injustice même contre les membres de sa tribu ou de sa famille.

L’islam impose la justice à tout musulman : homme, femme, gouvernants, groupes, dans la parole, dans l’action, dans le témoignage, dans le jugement contre soi-même ou à l’égard des tiers, y compris ses ennemis. Il insiste particulièrement sur l’obligation de rendre justice aux gens sans tenir compte d’éventuels sentiments d’inimitié ou d’amitié (s5 v8).

Non seulement, la justice doit être rendue de la manière la plus impartiale et la plus objective à l’égard de l’adversaire, mais ce même esprit de justice impose au musulman la reconnaissance de son tort, de sa culpabilité ou de celle de son proche (s4 v135) ainsi que la reconnaissance des droits du ou des tiers au préjudice de sa propre personne ou des siens, ce qui le conduit à témoigner contre soi-même ou se condamner s’il y a lieu. D’après le Coran et les hadiths, la justice est le meilleur moyen de plaire à Dieu et de se rapprocher de Lui.

La troisième caractéristique de l’islam est qu’il se résume à un appel au bien. Il ordonne à ses fidèles de faire le bien partout, envers tout le monde, sans compter et sans désemparer. Le bien, selon le Coran, c’est la piété, c’est la vertu, c’est un bouclier contre les flèches du mal, c’est le meilleur négoce, c’est un investissement rentable. Le bien consiste en la charité, le don, la serviabilité, le bon caractère, l’endurance face aux épreuves, la bonne parole, la réconciliation entre les gens, le respect des droits d’autrui, l’esprit de pardon et de non vengeance, la bonté, l’altruisme sans limite, l’aide aux pauvres et aux besogneux, la participation à la résolution des crises et des conflits, l’extinction des incendies de la guerre et de la discorde. Bref, la bonne action est au sommet de la hiérarchie du culte musulman, n’étant précédée que par la pratique de la justice et la profession de foi.

La quatrième caractéristique est la paix. L’histoire de l’islam porte encore les empreintes de grandes périodes de prospérité, de tolérance de coexistence pacifique entre les religions. La civilisation islamique n’a produit ni inquisition ni colonialisme ni guerres. Dès son apparition, l’islam a brandi l’étendard de la paix et proclamé : nulle contrainte en religion. Le Prophète (p) a passé treize ans à prêcher le message à la Mecque avec comme seule arme sa langue et comme seul moyen la sagesse et la meilleure exhortation. Le mot ‘‘islam’’ est dérivé de la même racine que le mot ‘‘paix’’. Il exhorte à la paix et invite les croyants à entrer en paix (s2 v208). Le mot ‘‘ Paix’’ est l’un des plus beaux Noms de Dieu (s59 v23). La formule de salutation islamique annonce la paix : « Paix soit avec vous ». La prière en islam se clôture par la même formule. Les invocations à la fin de chaque prière sont entre autres : « Seigneur ! Tu es la Paix, de Toi provient la Paix et à Toi revient la Paix ». Le Coran nous fait savoir que la révélation du Coran eut lieu durant une nuit qualifiée de « nuit de paix ». Le Coran est un guide vers les chemins de la paix (s5 v16).

Les hommes de Dieu sont ceux, précise le Coran, qui répondent aux ignorants (entendre provocateurs) par le mot ‘‘Paix’’.

La cinquième caractéristique est l’absence de clergé. En islam, il n’y a pas d’intermédiaire entre l’homme et Dieu. D’ailleurs les concepts de clergé, Pape, sacré, profane, temporel, spirituel et bien d’autres concepts de la terminologie chrétienne sont étrangers à l’Islam. Contrairement au catholicisme où le passage par le clergé est obligatoire pour accéder à Dieu et obtenir le pardon des péchés, en islam tous les hommes ont directement accès à Dieu et chacun peut Lui demander l’absolution de ses péchés : « Si Mes serviteurs t’interrogent à Mon sujet, qu’ils sachent que Je suis tout proche d’eux, prêt à exaucer la prière de celui qui M’invoque. Qu’ils répondent donc à Mon appel et qu’ils aient foi en Moi, afin qu’ils soient guidés vers la Voie du salut » s2 v186

En outre, l’islam n’a pas connu de rapports conflictuels ni avec les savants ni avec l’Etat comme ce fut le cas de l’Eglise catholique. Sans doute, cette dernière fut-elle responsable des événements sanglants qui ont marqué l’histoire de ses rapports avec la république et les minorités religieuses, sans doute le traumatisme causé par ces événements avait en partie motivé l’émergence de la laïcité, mais une chose est sûre, c’est que l’islam en est totalement innocent, il n’est concerné ni de près ni de loin et aucune de ses pratiques ne saurait y être assimilée. Il n’y a ni procès Galilée ni Bruno au bûcher chez les musulmans.

Ces caractéristiques vont de pairs avec la citoyenneté basée sur les principes de fraternité, de justice et d’égalité en droit.

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