4. Pomme de discorde entre citoyenneté et spiritualité

La discorde entre citoyenneté et spiritualité se manifeste au niveau des tensions entre les musulmans et les sociétés laïques.

En effet, les tensions sont directement liées à la mise en œuvre de la laïcité. Les problèmes qui en découlent ne sont pas partout les mêmes, ils sont fonction de l’interprétation ou de la nature de la laïcité. Il y a, à ma connaissance, trois types de laïcités : une laïcité illégitime, une laïcité neutre et une laïcité combattante.

a) laïcité illégitime

La laïcité illégitime est celle des pays musulmans ou à grande majorité musulmans.

Si la laïcité se justifie dans les pays où cohabitent différentes communautés religieuses, elle n’a aucune légitimité en revanche dans les pays musulmans ou majoritairement musulmans. Les différences culturelles dans ces pays ne sauraient être mieux gérées que par l’islam qui offre aux populations non musulmanes la meilleure garantie de neutralité. Dans ces pays, la laïcité est utilisée uniquement comme barrière pour empêcher les islamistes de créer des partis politiques. Alors que le pouvoir, tout en se proclamant laïque, instrumentalise l’islam à des fins politiques ou pour servir des intérêts sordides, voire justifier des exactions et des violations dont l’islam est totalement innocent, ce qui contribue à le discréditer aux yeux de l’opinion internationale. Cela est d’autant plus vrai que les médias internationaux ont tendance à attribuer à l’islam tout ce qui se passe dans les pays musulmans mêmes laïques.

Il est intéressant de rappeler à cette occasion la position d’un frère tunisien qui affirme : « le régime en place interdit au mouvement islamiste d’utiliser l’islam dans des buts politiques en sa faveur, alors que, lui-même, il monopolise l’utilisation de l’islam dans des buts politiques qui lui sont favorables… »

Par laïcité, dit-il « nous voulons dire ici, la neutralité de l’Etat vis à vis de la religion, et la neutralité de la religion vis à vis de l’Etat et de ses affaires. Dans cet article, la laïcité dont nous parlons n’a aucune hostilité, ni haine, vis à vis de la religion. Croyance et laïcité ne sont pas contradictoires, elles ont toutes les deux un large terrain d’entente. Un laïc peut être un grand croyant, un adorateur très pieux de Dieu. La définition de la laïcité que nous retenons dans notre analyse, c’est sa définition authentique, la vraie, qui consiste dans la séparation, pure et simple, entre la gestion du pouvoir et la religion. En d’autres termes, il faut que l’Etat garde son indépendance totale vis à vis de la religion, et que cette dernière, à son tour, garde son indépendance vis à vis de l’Etat. Il faut la main levée réciproque de l’un sur l’autre. »

Quand on sait que la laïcité est une survivance de l’ère coloniale, on ne peut que s’interroger sur les raisons et les motifs de garder un instrument que le colonialisme avait utilisé pour acculturer, désacraliser, assimiler, enfin désislamiser les peuples autochtones.

b) laïcité neutre

Dans les pays où la laïcité équivaut à la neutralité de l’Etat vis-à-vis de la religion, il y a une coexistence pacifique entre les différentes communautés et le pouvoir laïque. Bien que certains aspects de cette laïcité ne soient pas dans une certaine mesure en faveur des musulmans, ceux-ci s’en contentent néanmoins pour éviter la tension avec le pouvoir et les autres communautés. Il s’agit d’une part de dysfonctionnements mettant en cause le principe de l’égalité de traitement et d’autre part de la possibilité pour les musulmans de mener un mode de vie islamique comme il se doit. Concernant la première question, dans bon nombre de pays africains, les musulmans n’ont pas pratiquement les mêmes privilèges que les autres communautés notamment chrétiennes. Ces privilèges consistent notamment dans la facilité d’attribution de permis et d’autorisations administratives ainsi que de grandes superficies de terrains pour la réalisation de différents projets relatifs à la construction d’établissements d’enseignement scolaire et universitaires, de centres de santé et de formation, d’égalises entourés de grands parcs, de sièges de radios et de télévision, de subventions, etc. Cette inégalité peut être imputable aux différents services publics comme elle peut être imputable aux musulmans eux-mêmes qui ressentent plus que d’autres le poids et l’influence de la laïcité. Ils deviennent de ce fait complexés, moins actifs et moins revendicateurs que ceux qui considèrent la laïcité plus proche d’eux et plus encline à défendre leurs intérêts.

La deuxième question concerne le mode de vie islamique. L’islam est un mode de vie qui implique, à côté du culte, la mise en oeuvre des lois islamiques. Or, la laïcité ne leur permet point de le faire. Cette situation met les musulmans en porte-à-faux avec Dieu. En vertu de leur foi en Dieu, ils sont sommés d’appliquer Ses lois, sous peine de perdre leurs qualités de musulmans, sauf si Dieu a pitié d’eux. La contradiction est d’ailleurs perceptible entre adhérer, croire à un système et rejeter ses lois. L’emploi du mot ‘‘rejeter’’ est peut-être exagéré, on peut y substituer l’expression : « ne pas appliquer ses lois »

Cette manière d’agir constitue un des points faibles de la laïcité. En aucun moment, l’islam au pouvoir n’a empêché les minorités religieuses et culturelles d’appliquer leurs propres lois. Les juifs et les chrétiens vivaient sous l’empire islamique selon leurs us et coutumes et appliquaient leurs propres lois. Pourquoi ne pas accorder aux musulmans les mêmes privilèges que l’islam a accordés aux juifs et aux chrétiens pendant des siècles ? La réponse à cette question dépend de la nature de la laïcité. Avec la laïcité neutre, on peut espérer y parvenir un jour mais avec la laïcité combattante il semble qu’il n’y a rien à espérer malheureusement.

c) laïcité combattante

Cette laïcité ne se contente pas d’une position neutre, elle s’emploie à attaquer frontalement les religions et à leur tête l’islam. Elle est source de nombreux problèmes en Europe, du fait qu’elle est injuste ; elle risque de susciter une confrontation entre les populations de différentes confessions. Il n’est pas exagéré de dire que c’est au nom de cette laïcité que les musulmans sont persécutés dans plusieurs régions de la planète. Cette laïcité est porteuse d’un projet de société anti-islamique qu’elle tente de faire aboutir à tour de bras. Sous le prétexte de la modernité, elle tente de dépouiller l’islam de ses principes et de faire changer de comportements les musulmans. Il suffit d’analyser le contenu du concept de l’intégration pour saisir le sens et le but de cette laïcité. L’intégration n’a pas d’autres objectifs que de faire abdiquer les musulmans. Ce sens caché du concept n’a jamais été explicité. Le concept est demeuré flou à cause des idées de non Islam, de non pratique, de non croyance qu’il renferme. Cependant, la réalité le démontre parfaitement, la preuve : on n’est pas intégré si on fait la prière et le jeûne, et on n’est pas intégré si on ne mange pas le porc et on n’est pas intégré si on ne boit pas le vin. Le paradoxe est que cette laïcité ne cesse de se contredire et violer ses propres principes sans compter les nombreuses normes internationales auxquelles elle s’oppose diamétralement. Dans ce sens, la question du foulard islamique est on ne peut mieux révélatrice. Tout le monde se souvient des tempêtes juridico médiatiques soulevés par un petit morceau de tissu. Des filles sont expulsées de l’école à cause du foulard. Celui-ci est présenté comme un « signe de prosélytisme agressif », voire un danger qui menace l’identité française. Les médias se mobilisent et l’affaire prit des proportions alarmantes. Chaque jour que Dieu fait apporte son lot d’articles stigmatisant l’islam, l’intégrisme, le foulard, les immigrés, comme si la république venait de naître, n’ayant aucune culture ni connaissance en terme de diversité. Le changement brusque qui venait de s’opérer dans la conception de la laïcité a surpris plus d’un.

Tout d’un coup, la laïcité française se présente sous un visage hideux, mobilisant médias et institutions contre des jeunes filles voilées, nées sur le sol français, parlant la langue française et ayant la nationalité française. Que s’est-il passé, se demandent les uns ? Sommes-nous en France s’interrogent d’autres ?

Pourtant la laïcité originelle, celle de Jules Ferry et d’Aristide Briand entre autres, était conçue de manière à protéger et respecter les croyances, y compris les choix vestimentaires en tant que modes d’expression des croyances. Les principes de cette laïcité authentique ont été confirmés par le Conseil d’Etat lequel, dans son avis du 27 novembre 1989 sur le port du foulard, affirme : « le principe de laïcité implique nécessairement le respect de toutes les croyances, déjà reconnu par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, aux termes duquel « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

Le port du voile ne peut en aucun cas constituer un acte de prosélytisme ! Sinon la minijupe et le décolleté constitueraient des actes de prosélytisme. Loin de constituer non plus un acte de provocation, le port du voile ne saurait en aucun cas troubler l’ordre public ni perturber le fonctionnement de l’enseignement. Comment un morceau de tissu peut-il troubler l’ordre public ? C’est insensé !

La loi du 17 mars 2004 interdisant le port du foulard dans les établissements d’enseignement publics est contraire à la liberté du culte prévue dans l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 repris dans l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

En plus, la loi en question viole les principes de neutralité de la république et fait de la laïcité un instrument d’exclusion et de combat contre l’islam et les musulmans

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