Le 26 juin de chaque année, le monde célèbre la journée mondiale de soutien aux victimes de la torture, proclamée par la résolution 52/149 de l’assemblée générale de l’ONU. C’est du moins ce que les Etats du monde ont décrété le 1er décembre 1997. Je ne polémiquerai pas sur les faits qui ont récemment bouleversé la planète avec les révélations sur la torture en Afghanistan et en Irak… Pas celle des talibans ou de Saddam, reléguée par ce cinglant scandale aux archives de l’Histoire, mais celle de Bush, bien évidemment. Je ne dirai rien sur la torture pratiquée par la France à grande échelle en Algérie bien que j’ai été nourri, dans le cocon familial qui a vu des oncles mourir dans la guerre de libération, de récits d’atrocités commises par la France. Je ne m’aventurerai pas non plus dans une description dans le but de dénoncer la torture systématique qu’a connue l’Algérie lors de la dernière décennie dite « rouge » et de laquelle elle est encore loin d’être guérie. Bien que moi-même victime de ce crime inqualifiable je pense être en droit de reprocher à cette Algérie, à laquelle j’appartiens, d’avoir commis en moi, comme en de milliers d’autres personnes l’irréparable qu’aujourd’hui encore, et nul doute qu’il est toujours de son droit, toute l’Algérie reproche à la France. Je me limiterai à décrire « la torture », telle que je l’ai vécue sans prétention de ma part de croire, bien que je m’y essaie, arrêter une définition générale d’un mal si complexe et différent selon la personnalité et les modes de perception de chacun. Je donnerais ici un aperçu synthétique, de ces actes que j’ai subis et que l’on s’accorde à appeler « torture ».

La douleur : Dans toute torture le style et le temps ont pour vocation, voulue étudiée et délibérée, de causer des dommages dans l’esprit et le corps de la victime. Même si le vocabulaire et les instruments juridiques actuels relèguent certains actes, découlant de la même nature, à un rôle inférieur dit de « mauvais traitement, abus, traitements cruels ou inhumains… ». La douleur, d’aspect extrême, dans son sens physique provient, quant à elle, de ces actes dits « séances de torture ». Ce que la torture a de spécial comparativement à une douleur de même nature en temps normal -nature physique bien sûr en termes de pressions exercées sur les sens percepteurs- c’est que cette douleur est indéniablement provoquée dans le but de produire une réaction psychique chez l’individu qui la subit. Pour exemple : Lorsqu’en temps normal l’individu se coupe par accident, cela provoque une douleur forte momentanée qui tend, selon le degré de la blessure, à disparaître. Mais si ce même acte est provoqué par un tiers, la douleur est incontestablement toute autre. A la sensation physique de douleur s’ajoute une sensation psychique exacerbant la première. La personne torturée appréhende l’acte qui va provoquer la douleur physique. Dans la majorité des cas les yeux de la victime doivent rester ouverts pour observer la main qui se tend délibérément, selon une précision recherchée pour infliger la douleur.  La préméditation de l’acte est un acte en soi, sa mise en valeur doit provoquer l’appréhension qui a pour objet d’étendre l’acte dans le temps précédant sa production. La répétitivité de l’acte selon le même rite prolonge, quant à elle, la douleur dans le temps qui suit chaque acte. Cette ondulation de perceptions psychosomatiques connaît certes des points plus culminants que d’autres mais elle a, en définitif, pour mission de se mémoriser dans l’individu aussi bien biologiquement que psychiquement. De telle sorte que la torture s’étend dans le temps…

L’isolement : C’est un moment crucial fait d’un curieux mélange d’absence et de présence. L’absence c’est celle des tortionnaires, invisibles au regard de la victime maintenue en isolement. Au moment de donner la nourriture, les tortionnaires  font en sorte de ne pas être aperçus par la victime, par divers moyens : en maintenant la porte entrouverte de manière restreinte qui ne permet pas de voir l’extérieur de la cellule mais laisse juste assez d’espace à la nourriture pour passer. Parfois s’il est admis de sortir dans le couloir pour récupérer la nourriture, pour aller aux toilettes ou pour boire il faut baisser la tête, dans tous les cas ne jamais croiser le regard de ces derniers. Cette absence prévue dans sa manière extrême fait paradoxalement des tortionnaires absents une omniprésence. Toujours là au moindre bruit et, quand le silence pèse, il n’est que par leur propre silence. L’absence c’est aussi l’état de ce détenu, guettant le moindre bruit mais aussi le silence. Dans cet état, il n’est plus lui-même mais un autre qui souffre. Le monde qui l’entoure, qui l’a enfanté et qui l’a forgé, aussi vaste que son vécu ou son imagination aient pu le dimensionner, devient réduit… très réduit. Il épouse l’espace étroit de la cellule et tout ce qui l’entoure devient source de préoccupation. Alors que l’immensité du monde, l’infinité de l’espace se réduit, la multiplicité des êtres, l’infinité de leurs différences, les millions et milliards d’humains disparaissent de la conception qu’a le détenu de ses semblables. Ils se réduisent aux seuls monstres qui vont et qui viennent, font le bruit, le silence, la mort. Le mot vie est bien-entendu ici banni, dans le sens où s’efface ce sentiment de vivre. Présence donc de ces montres que le détenu ne voit quasiment pas  dans son isolement, présence dans l’esprit, présence dans la chair que creuse la peur, cette brûlure d’un autre genre physiquement ressentie sous l’épiderme. Dans le noir absolu, un regard prend forme, un autre nerf naît et bat : La peur !

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