Réponse à H. Chalabi et K. Satour

Dans leur lettre intitulée « Du sens des valeurs et de leur détournement / A propos de l’affaire Benchicou », El-Hadi Chalabi et Khaled Satour ont critiqué le soutien apporté au directeur du Matin, M. Benchicou, du fait qu’il a été pris en charge, essentiellement, par une campagne ambiguë. Il est vrai que l’exercice auquel ils se livrent est assez délicat, mais il respecte l’audace, symptôme inhérent à l’engagement politique, de dire ce qu’on pense, quand on s’abstient de protester en de pareils cas, et d’en expliquer les raisons. Il est important de dire aussi toutes les critiques que l’on peut formuler aux militants que l’on juge, finalement, défenseurs de la même cause. En tout bien tout honneur. Sur le principe donc, que l’on s’accorde ou pas avec les auteurs de la lettre, il faut les saluer d’avoir permis de dire, ici, contrairement à d’autres, qui pensent ou disent tout bas, tout leur désaccord. Car la critique est à la pensée ce que les essais sont à la mécanique. Aussi sensible qu’elle puisse être, au-delà de la mettre à l’épreuve, elle permet de la perfectionner. C’est pourquoi je me permets, à mon tour, de défendre un autre point de vue en désaccord avec les conclusions de la lettre des ces messieurs.

Dans cette affaire dite « Benchicou », je m’étais aligné, pour ma part, sur la position de Me Ali Yahia Abdennour. Cela bien qu’ayant critiqué publiquement, avec force, sa démarche politique qu’il entreprit, lors des dernières élections présidentielles, avec le groupe dit « 10+1 ».  Puisque s’agissant là de l’avenir de tout un peuple, fusse-t-il immédiat, où la violence subie voulait que des mouvements indéniablement enracinés dans la société, soient interdits de toute représentation, de toute forme d’expression, réduisant en définitif le choix, coté opposition, à un seul candidat : Benflis. Lequel, rappelons-nous, n’avait pas passé un an entre le jour où il a quitté officiellement la sphère de ce pouvoir, tant décrié, et le jour où il s’est présenté aux élections sous l’étiquette de l’opposition. Comptant à l’occasion faire le plein des voix, aussi bien du coté des bannis du despotisme que de celui de ses relais directs. Alors que Premier ministre, d’un gouvernement, issu de la fraude présidentielle de 1999, comme non conscient de porter une part de responsabilité dans le massacre prémédité de plus de deux cents jeunes, en Kabylie, par la force publique institutionnellement sous ses ordres, il s’évertuait dans l’excès de zèle, que l’on connaît aux pantins de ce pouvoir, à les stigmatiser une seconde fois en les traitant d’instruments de « la main de l’étranger ». Et que, toujours en procureur de l’arbitraire, il vint à réduire le drame, incommensurable, du peuple algérien -qui a subi dans ses larges franges ce que le droit pénal international qualifie de crimes contre l’humanité- au qualificatif de simples « opérations de maintien de l’ordre », desquelles, selon lui, les militaires se sont acquittés dans le respect des lois. Se positionnant comme victime de « l’arbitraire » lorsque la justice, qu’il venait de découvrir instrumentalisée, lui retira les rênes de son parti, le « FLN », au bénéfice des « Redresseurs », sans pour autant dire mot lorsque l’ambassadeur Ben Hadjar, décrivit en détail comment l’ancienne direction de cet instrument qu’est le « FLN » eut été écartée moyennant ce qu’il a publiquement appelé un « coup d’Etat scientifique » organisé avec le concours de la sécurité militaire. Cette scrupuleuse comptabilité des affronts qu’a subit le droit dans ce domaine, qu’est la politique en Algérie, additionnée à l’absence manifeste de toute volonté politique d’opérer une véritable ouverture, condition sine qua non, à la régularité de toute consultation populaire, additionnée aussi à l’écartement de ce fait ou du fait d’interdictions, sentences de cette justice « instrumentalisée », des « poids lourds » de l’opposition, faisait que la note globale satisfaisait pleinement à Benflis. Les passifs, en souffrance pour qu’un « Etat de Droit » puisse naître,  étant comptés dans les calculs de Benflis, pour être crédités, à son profit. Ainsi, nous refusions cette logique comme nous refusions le parallèle fait par la LADDH, par la voie de son président, entre la fraude qui allait emporter toute cette spéculation au profit de « l’élu des décideurs », Bouteflika, et celle de 1948, où le peuple algérien, broyé par le joug du colonialisme, avait eu son choix confisqué par l’administration de « l’apartheid colonial », qui refusait de lui reconnaître les représentants qu’il s’était désignés, ceux du mouvement national.

Là, était donc une position, et, il est vrai, cependant, que l’affaire « Benchicou » si elle en appelle à une autre, il n’en demeure pas moins qu’elle est, ici, bien plus délicate. Elle nous met, certes, devant un sérieux dilemme. Car, comme le décrivent si bien les co-auteurs de la lettre, ni le personnage, ni son entourage, ni le rôle de porte drapeau de « la libre expression », qu’il a toujours refusé à ses ennemis, et que cet entourage lui prête ne nous rassurent. Faut-il alors défendre Benchicou, qui se trouve victime de ce même arbitraire qu’il a œuvré à couvrir et à consolider, durant une décennie et même bien plus encore ? Une suspicion légitime s’impose quand on sait de quoi sont capables les laboratoires de la police politique algérienne, les multiples clans avec leurs manigances, quand ce n’est pas d’autres intérêts extra-nationaux, qui d’une manière où d’une autre cherchent aussi à établir une carte politique en Algérie selon leurs propres lectures, intérêts et stratégies. Mais pour le militant des droits de l’Homme, la suspicion, aussi gravissimes fussent les risques q’elle décrit, ne suffit point. Car elle est et demeure le propre de la police. Celui de la justice consiste, quant à lui, dans la seule preuve, aussi infaillible qu’irréfutable.

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