Nous pouvons donc dire, quant aux manipulations faites tout autours de l’affaire « Benchicou », qu’il y en aura à chaque fois que c’est «un des leurs » qui est pris au piège de la logique infernale du régime. Mais si peu que ce soit, rappelons, toutefois, le déroulement des faits. Reprenons l’histoire dès le début : Benchicou, comme beaucoup d’autres, a cru en le départ de Bouteflika et a joué jusqu’au bout le jeu que l’on attendait des troupes qui se sont mis derrière Benflis. Comptant ainsi profiter du jeu fermé éradico-éradicateur, il a écrit furtivement ce qui a été vendu comme un « pamphlet contre Bouteflika » et ouvert les feux des colonnes de son journal contre tous ceux qui se mettaient du coté de ce dernier. Dans cette logique, la torture qu’avait pratiqué, il y a trente ans, Zerhouni, devenait d’actualité. Non pas par souci de combattre ce crime en lui-même, mais par simple calcul politique tendant à discréditer « l’homme du président ». Suite de l’épisode : il s’est vu trompé par ceux qui juraient, la veille, que Bouteflika allait partir et s’est mis à insulter jusqu’aux généraux, qu’il avait tant défendu, en déclarant, le lendemain des résultats, que ceux-ci – qu’il traite au passage de mafieux, et là c’est une première ! – les ont trompés. Il va plus loin que ce que « logiquement » un élément du sérail puisse se permettre, en multipliant les attaques pêle-mêle contre ce « nouvel ennemi », le pouvoir de Bouteflika. En d’autres termes, « l’élément » disjoncte, alors que Benflis, lui, obtempère, reconnaît la décision de justice –qu’il venait de qualifier de « justice instrumentalisée »- qui annulait le huitième congrès du FLN en s’en remettant aux instances issues du septième congrès, auxquelles il remet officiellement sa démission entérinant en bon commis de ce pouvoir, toute sa supercherie. Benchicou disjoncte encore plus lorsqu’il s’attaque à des sujets délicats tels que la mort des nourrissons, alors, qu’en élément discipliné, il s’était tut jusque là sur ce qui pouvait nuire à l’image de ses « copains ». Il commet l’irréparable, lorsqu’il s’attaque, à un moment de grand débat sur les crimes contre l’humanité commis dans l’impunité totale par le pouvoir des généraux, au crime de torture à grande échelle. Pire : il en apporte la preuve et le détail. Et ce qui est bien plus pire que cela : ce n’est plus de « tortures » commises par des policiers, dépendant du pouvoir de Zerhouni, dont il s’agit mais de celles commises par des gendarmes, impliquant le corps militaire, c’est à dire, en définitif, les généraux hiérarchiquement responsables de ce corps ! Il produit donc un dossier bien ficelé, prêt à l’emploi devant les tribunaux des pays qui comptent compétence universelle en la matière dans leurs arsenaux juridiques. Soit tout pour rendre furieux les généraux et permettre à Zerhouni, qui avait juré que Benchicou le lui paierait, de le jeter en prison… sans que les « décideurs » n’en décident autrement.

Mais là n’est pas le tout puisque la logique de ce régime, qui a vu, là, les intérêts des différents clans converger, ne va pas le juger sur ses écrits, lui donnant ainsi, à l’heure où l’on parle de démocratisation du monde arabe, l’occasion inespérée de se transformer en chantre de la liberté d’expression et donner la preuve directe qu’il n’y a jamais eu de liberté d’expression, ni de liberté tout court. Il ne va pas non plus l’attaquer, ni enquêter sur les affaires, où il aurait importé moyennant de colossales sommes de devises, grâce au favoritisme que lui réservaient les généraux, des « macaronis » pour « nourrir » les conscrits de la nation engagés dans « la lutte contre le terrorisme », affaires que dénonce à longueur de pages de sites Internet un de ses confrères. Car cela impliquerait toute une logique mafiocratique qui gangrène l’Algérie, mais qui, à contrario, fait le bonheur de sa vermine. Il va chercher ailleurs et, là, l’Etat policier prend l’affaire en main et enfreint la loi en l’accusant d’avoir omis de déclarer des sommes de devises à la douane. Devises qu’il n’a, au demeurant, jamais transportées, puisqu’il s’agissait de simples bons de caisses, qui ne permettent ni plus ni moins de déplacement de fonds que ce que peut le faire un chéquier.

C’est alors que les défenseurs des droits « indivisibles », aussi paradoxal que cela pourra paraître, défendent le droit, rien que le droit mais, comme il se doit, tout le droit. Et c’est bien ce qu’il faut faire en de pareils cas et en tout temps ! Que cette fois-ci, cela advienne en la personne de Benchicou, cela n’importe guère. Ou que dis-je, cela importe, tout autant, car s’abstenir de le faire en ce qui concerne son ennemi c’est lui donner raison quand il s’est abstenu, lui, et que nous le lui avions reproché. Ce n’est pas servir cette logique de droit, qui dans les Etats de droit bâtit la cité, depuis le maçon respectueux des normes et règles de l’art jusqu’au rois élus gardiens des lois qui font qu’ils transmettent à leurs ennemis politiques jurés le sceptre suprême, parce que le peuple seul juge et loi, en aura ainsi décidé. Ce respect scrupuleux de la justice est le seul qui vaille, c’est ce que, je crois, nombreux nous avons défendu. C’est pourquoi, je pense aussi, que les auteurs de la lettre ne pourront contredire ces propos : « La Justice c'est le respect de la dignité humaine en quelque personne et dans quelque circonstance qu'elle se trouve compromise et à quelque risque que nous expose sa défense. » (Proudhon, De la justice dans la révolution et dans l’Eglise).

C’est cette démarche-ci qui fait que quiconque a droit au strict respect de ses droits, qui exige que nous défendions quiconque à qui l’on refuse ses droits, nonobstant qu’il puisse avoir d’autres faits gravissimes en d’autres affaires gravement justiciables. Ces principes nous permettent de dire que même le terroriste, qui aurait refusé le droit à l’intégrité physique à ses ennemis, le droit même à la vie, lui revient de plein droit ces droits qu’il a niés. Car si la justice n’est pas une science exacte, elle s’articule néanmoins autours d’une logique mathématique, qui fait notre profession de foi. Une foi qui n’est pas l’enseignement de cultures d’autrui, mais qui est inhérente à toute l’humanité. Une foi que l’on retrouve, aux premiers soins de la foi des gens de notre culture, même si cet aspect est généralement, par le fait des ténèbres, tombé en désuétude. Une foi qui décrète : « Que la réprobation que vous vouez à certains ne vous écarte point de faire justice, faite justice car cela est plus proche de la piété […] » (Coran, sourate V, verset 8)

Ces  principes ne sont donc pas, en la personne de M. Benchicou  réaffirmés pour, comme le croient « tête en haut » les auteurs de la lettre, attester de « sa grandeur d’âme » mais pour contribuer tout simplement à affermir le droit et rien que le droit, celui qui nous manque tant, celui de l’Homme !

El-Mehdi Mosbah
Paris, le 17 juillet 2004

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