La peur : Elle s’installe dans l’esprit qui la transmet au corps, en permanence, sans essoufflement. Elle s’empare de lui, elle s’y incorpore et y prend corps. Rien à voir avec la peur qui provient du souci ou de la frayeur, il s’agit d’une peur d’un autre genre qui décale l’esprit de telle sorte qu’il peut apercevoir le corps comme étranger, distinct. Car ce corps qui souffre, du fait d’épreuves physiques dites « inhumaines », du fait des « séances de torture » envoie des signaux de douleur « inimaginable », intraduisible pour cet esprit qui les reçoit en vrac, en pression soutenue, et doit les interpréter en une souffrance jusque-là inconnue. Donc après que le couple société-individu s’est disloqué du fait de l’isolement, dans son concept de « torture », voilà, du fait que la communication s’est perturbée jusqu’à se rompre, que le couple esprit-corps se détache quelque peu et ne fait plus entièrement un. Là est peut-être une partie de l’explication que dans les « séances de torture », de douleur extrême, il arrive que l’on se voit, en temps réel, de l’extérieur et que la mémoire des scènes dans l’isolement, dans ces « séances de torture » et dans ses rapports avec « ses tortionnaires » révèle une vision étrangère, extérieure, nette où l’on aperçoit son corps au milieu d’une scène comme si une vue externe à ce corps avait mémorisé l’image. L’interprétation des signaux que reçoit l’esprit à une vitesse et une pression extraordinaires le met dans un état que l’on qualifierait en temps normal d’état de folie… de psychose. La peur tout aussi folle, qui habite le corps et l’esprit en permanence, est clairement ressentie sur le plan purement biologique comme une brûlure hypodermique, dont la sensation est du même type que celle que provoque le feu. Une douleur lancinante, avec des points culminants, mais assurément incessante. La peur perturbe une fonction vitale : le sommeil. Interdit au départ, il est haché, décomposé, par la suite… Les liens avec le temps se désagrègent…

La faim, la soif : Manger et boire sont les premières fonctions vitales. La vie a bien existé à partir d’acides aminés qui ont commencé à absorber la matière, avant de se structurer en des corps plus élaborés pour enfin atteindre le stade miraculeux de premières cellules vivantes dotées de fonctions vitales : s’alimenter, respirer, éliminer les déchets, se multiplier… Fonctions qui leur donnent une espèce de souveraineté propre à l’être vivant, absente dans d’autres êtres non-vivants tels que les virus qui, eux, ont besoin de les emprunter, constamment, chez elles, pour non pas vivre mais exister. A l’état végétal, comme à l’état animal ces fonctions sont les caractéristiques de l’être vivant. Ce synopsis de la vie montre à quel point l’alimentation est vitale dans cette faculté de vie. Cependant si celle-ci est automatique dans le monde végétal, instinctive dans le monde animal, elle se positionne dans le monde Humain à une échelle plus élaborée et moins mécanique. A « l’état de civilisation » du monde Humain, où la sécurité alimentaire est relativement assurée, l’Art conditionne cette fonction d’alimentation, l’esprit transcende le corps qui, lui-même, surmonte la peur de la faim à la recherche de saveurs, d’odeurs, de goûts raffinés… et même de beauté. Ceci d’une part et, d’autre part, l’alimentation qui était une priorité au-dessus de toute priorité concède la place à des intérêts autres que matériels, ceux de « l’état de civilisation » : bien-être, rapports avec les autres, élaboration d’idées, de réflexions, d’inventions, rôle dans la société, réussite sociale… L’interdiction faite dans « l’état de torture » à la victime de manger et de boire a pour objet de la renvoyer à un « état animal » primaire où cette fonction d’alimentation qui avait dépassé le simple stade animal est régressée, inversement à son évolution dans « l’état de civilisation », à son état initial, à ce stade animal. Une « décivilisation » de l’Humain, une « déshumanisation » de cet être, une véritable « animalisation » est enclenchée par la torture à la faim et à la soif. Mais au-delà de cette animalisation, il y a une réduction plus basse que l’état d’être vivant qui frôle l’état de « simple existant », d’être qui continue à exister, mais comme non-vivant… Puisqu’il ne mange plus, qu’il ne boit plus et ne s’alimente plus par lui-même, il est réduit à cet état de dépendance de « son tortionnaire » qui lui ôte la vie, mais sans lequel il n’existe plus. A cela s’ajoute l’interdiction d’aller aux toilettes, l’obligation d’avoir à faire ses besoins naturels dans son espace réduit, d’être contraint à boire son urine ou manger ses excréments, se recroquevillant sur soi, se réduisant au plus bas de « l’être » et puis ne plus rien avoir à manger et depuis cet « état animal », ne plus rien avoir à éliminer, abrogeant une autre fonction vitale, restant au demeurant dans l’état de « simple existant ».  Les « séances de torture » où souvent la strangulation est exercée sur la victime par divers moyens, ont aussi pour objet de rattacher la fonction de respiration de la victime à « son tortionnaire » qui donne ou non à respirer. « Il » prend ainsi toute l’ascendance dans des fonctions vitales. La victime, non sans raison, après cette expérience de « l’état de torture » s’exprime souvent par ces termes : « Je n’ai jamais cru revire après ça ». C’est que, sans la moindre exagération, « l’état de torture » est bel et bien un état de non-vie !

Les coups, les insultes, les menaces : Bien que paraissant secondaires par rapport aux autres moyens de déstructuration de l’être, ces actes n’en sont pas moins importants lorsqu’il font partie de tout un rite, une méthode bien ficelée, étudiée aux fins de maintenir la victime dans l’état de « subordination existentielle » à « son tortionnaire ». Les mots qui dans la vie Humaine sont le ciment qui lie les Hommes, forge les voies de communication, élève les ponts de pensée et creuse les chemins de civilisations, ils sont dans « l’état de torture » relégués à un rôle inverse, celui de « décivilisation ». Les coups maintiennent cette « animalisation », où l’on guette désormais instinctivement le moindre coup, à la manière d’un animal. Sur un plan psychosomatique ils maintiennent « l’ondulation » que provoque les « séances de torture », ils ont leur place entière comme maillon du conditionnement de « l’état de torture ». Les menaces, cet autre maillon, calibrent dans le psychique cette « ondulation ».

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