Postface de Abbas Aroua

Abdelaziz Bouteflika a donc fini par dévoiler d'une manière solennelle les détails de son plan de réconciliation nationale pour l'Algérie. La charte qu'il propose et qui vient d'être publiée dans le Journal officiel du 15 août 2005 arrive au moment où cet ouvrage est sur le point d'être envoyé à l'impression. Il m'a semblé important d’en mettre le texte en annexe, et aussi d'apporter mon point de vue sur cette charte à la lumière des analyses approfondies sur lesquelles repose le présent ouvrage et les recommandations qui en ont résulté.

D’emblée, je peux affirmer que la charte de Bouteflika ne pourra pas extirper l'Algérie de son drame et lui ouvrir la porte vers un avenir meilleur.

Comme à l'accoutumée, les relais du régime d'Alger, notamment médiatiques et diplomatiques, auront pour réponse immédiate que l'auteur de ces lignes est contre la réconciliation nationale, veut faire perdurer la guerre en Algérie et remettre sur selle ceux qu'ils considèrent comme les véritables instigateurs de la crise algérienne.

Je répondrai que je suis profondément dédié à la paix civile en Algérie, à l'instauration d'un pays fort et juste où le citoyen jouirait de la dignité qui lui est due et où il serait le véritable censeur de ses gouvernants. Je suis donc pour la paix et la réconciliation en Algérie mais je suis contre la charte de Bouteflika. Ceci est en soi un point important tant la propagande de bas étage, menée à coups de « ghayta et bandir » par le régime d'Alger, tente de faire croire que tous ceux qui s'opposent à la ligne de Bouteflika ne peuvent être que contre la paix et la réconciliation.

Les auteurs de cet ouvrage ont disserté avec clairvoyance sur ce que devrait être toute entreprise crédible de réconciliation nationale. J'adhère pleinement à ces analyses et n'entends pas les répéter ici. Cependant, j’estime qu'il est important de montrer que la charte de Bouteflika, de par son contenu et non pas par le titre trompeur qui lui a été donné, ne pourra apporter ni la paix ni la réconciliation tant souhaitées par les Algériens. A mon avis, la charte de Bouteflika est dangereuse pour l’avenir du pays car elle impose « la vérité » du pouvoir responsable du coup d’Etat de janvier 1992 et ne laisse de place à aucune évaluation alternative, elle disculpe des auteurs de crimes contre l'humanité, et consacre l'amnésie. Cette charte fait l'éloge des putschistes et veut imposer un système politique totalitaire. Ses instigateurs avaient manifestement pour but essentiel de faire endosser explicitement la responsabilité de la crise algérienne à une seule partie (le FIS), d'absoudre les cercles du pouvoir de tout crime et d'assurer la survie d'une certaine idée qu'ils se font de l'exercice du pouvoir en Algérie.
Dans ma contribution L'amnistie et les fondements de la paix, j’avais insisté sur l’importance de prendre en compte les impératifs de vérité, de justice, de pardon et de mémoire dans toute entreprise de réconciliation et d’amnistie. En prenant connaissance du texte de la charte j’étais curieux de savoir comment ces notions allaient être traitées. Une petite analyse du texte m’a révélé des faits choquants. Alors que les termes « paix » et « réconciliation » y figurent dix-neuf et dix-sept fois respectivement, le mot « vérité » y est totalement absent. Le mot « justice » est mentionné une seule fois pour désigner la justice en tant d’institution, dans le but de disculper les « agents de l’Etat, qui ont été sanctionnés par la justice »(2). Quant au terme « mémoire », la charte y fait référence une seule fois dans le préambule pour affirmer que : « L’Algérie a survécu grâce au patriotisme et aux sacrifices des unités de l’Armée nationale populaire, des forces de sécurité et de l’ensemble des Patriotes qui ont su, patiemment et avec détermination, organiser la résistance de la nation face à cette agression criminelle inhumaine. Le peuple algérien honore et honorera à jamais la mémoire de tous ceux qui ont consenti le sacrifice suprême pour que vive la République algérienne démocratique et populaire. » (3)

En fait la principale victime de la charte est la vérité, car rien dans cette charte ne laisse apparaître des efforts sincères de la part du régime pour une recherche objective et crédible sur la nature, les causes, les responsabilités et les effets du conflit algérien.

D’abord, la nature politique du conflit algérien est complètement occultée. D’ailleurs, le mot « conflit » est totalement banni du jargon de la charte, et lorsque cette dernière mentionne une seule fois le terme « crise », c’est pour agiter l’épouvantail d’un autre âge du complot contre la nation et refuser « toute instrumentalisation de la crise vécue par l’Algérie par les milieux hostiles de l’intérieur et leurs relais à l’extérieur »(4). Au lieu de conflit, la charte préfère d’autres termes dépourvus de contenu politique comme « agression criminelle », « grande fitna », « tragédie nationale », et « dramatique épreuve ».

Quant aux causes du conflit, après avoir déclaré en 1999 à Crans Montana, dans une intervention fougueuse au cours de laquelle il avait oublié quelques instants les « limites rouges » qui lui étaient imposées,  que « l’arrêt du processus électoral est la première violence » (5) en Algérie, Bouteflika se reprend aujourd’hui et réduit le conflit algérien à un « terrorisme qui a ciblé les biens et les personnes, qui a fait perdre au pays une partie inestimable de ses richesses humaines et matérielles et qui a terni son image sur le plan international [et qui] a instrumentalisé la religion ainsi qu’un certain nombre d’Algériens à des fins antinationales »(6).

 
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