Concernant les effets du conflit, Bouteflika dans son discours du 14 août 2005 a, à maintes reprises, répété qu'il ignore toujours le nombre des victimes du conflit. Il le situe au gré de ses interventions entre 100 000 et 200 000 morts, soit une incertitude flagrante sur le sort de 100 000 citoyens, ce qui constitue une aberration pour un soi-disant Etat. Par ailleurs, Bouteflika a totalement passé sous silence les graves violations des droits de l’homme, notamment les déportations, la torture, les exécutions sommaires et les massacres. Sa façon d’aborder le problème des disparus est cynique et manque de pudeur envers les victimes et leurs proches. Elle réduit le phénomène à « une conséquence de l’activité criminelle de terroristes sanguinaires », et constitue même une régression par rapport au rapport de Farouk Ksentini qui a au moins eu la décence de reconnaître que plus de 6000 disparitions étaient « le fait d’agents des institutions de l’Etat » et d’admettre la responsabilité directe des services de sécurité, selon la formule « Etat responsable et pas coupable ».

Enfin s’agissant des responsabilités, Bouteflika juge indécent de poser la question « qui tue qui ? »(7). Sa charte ne manque pas d’imputer la responsabilité exclusive des crimes aux seuls « groupes terroristes » « prônant un pseudo jihad contre la nation et les institutions de la république »(8), disculpant ainsi et glorifiant « l’armée nationale populaire, les services de sécurité ainsi que tous les Patriotes et citoyens anonymes qui les ont aidés »(9), des citoyens anonymes qui s’étaient regroupés en milices armées comme l’OJAL chargées de liquider physiquement les opposants au coup d’Etat de 1992.

Lorsque, à l'occasion du colloque national sur l'offensive du 20 août 1955, dans son intervention de Skikda, Bouteflika discourt sur le devoir de vérité et de mémoire s’agissant des crimes coloniaux contre l’humanité, j’ai envie de lui dire que l’oppression est une quel que soit l’oppresseur, et l’injustice est une quel que soit l’injuste. J’ai même envie de le reprendre mot à mot pour souligner que : « Celui qui veut placer au même niveau la victime et le bourreau, la violence de l'Etat dominateur et les réactions des enfants d'un peuple opprimé revendiquant leur droit légitime à la vie, en subvenant à leurs besoins et à ceux de leurs enfants, à la liberté et à la dignité à l'instar de tous les peuples du monde, tente de justifier l'injustifiable à contre-courant de l'Histoire. »(10)

Au lieu de fonder le projet de réconciliation sur un véritable débat national contradictoire qui n’exclut personne, Bouteflika a préféré présenter un texte préparé de façon unilatérale par une seule partie du conflit. Selon Bouteflika, « si la politique reste l’art du possible, la réconciliation nationale que je vous propose représente le seul compromis autorisé par les équilibres nationaux »(11), c’est-à-dire le rapport de forces entre d’une part une quinzaine de généraux putschistes qui l’avaient fait président et auxquels il se sent toujours redevable, et d’autre part trente millions d’Algériennes et d’Algériens pour lesquels il n’éprouve que du mépris.

Bouteflika est intervenu le 14 août 2005 pour présenter sa charte. Contrairement à ses élans d’improvisation habituels, il avait cette fois-ci les yeux rivés sur un texte calibré à la virgule près par des experts politico– juridico– religieux sous les ordres des généraux faiseurs de présidents.

Il était pathétique.

Pathétique car au même moment où il prônait « l’interdiction de tout exercice d’une activité politique, sous quelque forme que ce soit, aux responsables de cette instrumentalisation de notre religion », il s’érigeait en grand imam de la nation, faisant lors d’un discours éminemment politique une vingtaine de fois référence à Dieu et au divin, empruntant une multitude de termes arabes du jargon religieux, récitant versets coraniques et invocations en face d’un parterre composé des plus hauts dignitaires du régime appelés abusivement « cadres de l’Etat », et au premier rang desquels les plus extrémistes des laïques éradicateurs qui ne se gênaient pas de répondre Amine levant leurs mains vers le ciel dans une atmosphère digne d’une cérémonie religieuse.

Pathétique car avec ce maquillage « islamique », son discours reproduisait fidèlement la rhétorique de l’éradication, avec la diabolisation et l’exclusion de l’Autre. Il a même versé dans le langage bestiaire en utilisant des termes comme « l’hydre » qui nous rappellent les campagnes orchestrées au début des années 90 pour justifier la répression, voire l’éradication d’une partie de la population algérienne.

Pathétique car en évoquant les disparus, il osait affirmer, avec un semblant d’émotion, partager la douleur de leurs familles, lui qui avait insulté, il y a quelques années, une mère de disparu en lui criant au visage qu’il n’avait pas son fils dans sa poche.

 
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