Comme l’on pouvait s’y attendre, la fièvre des élections présidentielles, n’a pas manqué de faire sortir de leur taupinière les experts consacrés de la crise algérienne, et, chacun dans le sien registre et avec son talent propre, les voici presque tous s’invitant au karaoké médiatique qui n’est d’ailleurs qu’à l’étape de l’échauffement. Résultat : tels des parasols sur des plages au retour de l’été, commencent à refleurir partout dans la presse, des analyses plantureuses, procédant presque toutes de la même volonté sacerdotale de catalyser notre engouement pour le scrutin du 15 avril qui, veut-on nous en convaincre, risque bien fort, promis juré, de déboucher enfin sur la paix et la démocratie en Algérie, car, voyez-vous, cette fois, paroles d’expert ! il y a bien du neuf, des éléments vraiment inédits, mais toutefois pas saisissables par le commun des mortels, et dont l’obligation d’informer impose d’en rendre compte – objectivement cela va de soi et honni soit qui mal y pense ! Hélas ! dès les premières lignes perce une odeur de réchauffé, et arrivé à la fin, l’on s’aperçoit tout bonnement que le plat n’a même pas été regarni, et que seules les dates de péremption ont été changées. Quelle que soit notre estime – et notre amitié aussi, pour M. Lahouri Addi, il est difficile de distinguer de l’ensemble son écrit, publié dans } Le Monde diplomatique ~ du mois de mars. Bien que le titre  » L’armée algérienne se divise  » – sublime présent de l’indicatif ! – ne reflète pas exactement la teneur de l’article, il n’en reste pas moins que l’auteur, ne serait-ce que par son long développement émaillé de moult détails, y suggère sans le dire explicitement – trop malin pour ça ! – un approfondissement notable des divisions au sein de l’institution militaire algérienne, approfondissement supposé, bien entendu, ouvrir le jeu de la compétition présidentielle.

Est-il nécessaire de rappeler ici que les luttes clanales et autres dissensions des chefs militaires algériens relèvent en quelque sorte du capital génétique du jeune pays ? Déjà, leurs ancêtres de l’ALN se chamaillaient pour un rien et les coups de gueule entre patrons de Wilaya en faisaient frémir plus d’un, ce qui ne les a pas empêchés, de serrer les rangs dans les moments difficiles, et surtout, grâce au soutien populaire, de sortir vainqueur de la Guerre de Libération. Très souvent, les organismes sont des amalgames, a plus forte raison les corporations humaines, les énarques comme les professeurs d’école. Chroniques et sanguinaires les règlements de compte entre parrains du crime organisé, conséquence des conflits d’intérêts ou des divergences de vision, peu importe, n’ont nullement donné raison à ceux qui en espéraient l’auto-éradication des mafias, celles-ci continuent de faire avec les guerres intestines, et jamais cela ne n’a été très funeste pour leur santé, et même qu’à l’heure présente, leur philosophie et le cynisme de leurs méthodes inspirent plus d’un général de la mondialisation.

Pour revenir à l’oligarchie militaire algérienne et à ses divisions, bien sûr, les singularités régionales comme les dissemblances culturelles, la particularité du cursus de chacun comme ses affinités conjoncturelles avec la ponte du moment, les appétences comme les rivalités d’influence, sont autant de ferments de frictions récurrentes, se réglant pour les plus aiguës et ce n’est pas rare, à coup de poing ou même à coup de revolver, et tout cela, comme il se doit, dans le secret des palais. Cependant ces divisions rituelles, la junte a toujours su les transcender sous la pression de l’urgence, hier comme aujourd’hui. Pour une part, c’est à ce réflexe corporatiste qu’elle doit sa singulière et despotique longévité.

L’intérêt est de savoir pourquoi depuis la démission de Zéroual on s’échine tant à rapiécer ce vieux chiffon des contradictions internes de l’armée, et qu’à l’approche des élections pour son remplaçant, on se met à en user comme fait le toréador avec une moleta. L’interrogation contient la réponse. Et pour qu’on ne s’y trompe pas, il y a lieu de rappeler un procédé tout en relation avec les dites divisions et sur lequel – bizarre, bizarre, les exégètes pointilleux de nos glorieux gus sont d’une discrétion de vierge. C’est toujours méritoire, n’est-ce pas, que de savoir transformer une faiblesse en beauté, eh bien, ô miracle, les sommités de l’ANP , ceux-là même qui passent pour être des têtes d’épingle ventripotentes ( M. B .H Lévy, évoquera la bedaine des officiers pour expliquer la passivité de l’armée alors qu’on assassinait des innocents à l’ombre des casernes ) ont réussi un tel tour de force. Comment donc ? – En faisant de leurs scènes de ménage un des plus efficaces leviers de diversion et de manipulation des élites politiques et intellectuelles non favorables au régime.

Le génie étant souvent l’apanage de l’âge d’or, c’est à la mi-règne de Boumediène (72/73 – promulgation de la Révolution Agraire ) que le concept de  » non-homogéneïté  » de l’armée a entamé sa brillante carrière. Rapidement, il devint le maître mot des analyses développées par les leaders de l’opposition dans une stratégie d’effondrement du système en place. A l’époque, à chaque clair de lune, immanquablement, Alger bruissait de rumeurs faisant état de la prochaine exclusion du Conseil de la Révolution de tel ou tel colonel ( Attaïlia , le bourreau d’Annaba, ou Ben Chérif, étiquetés les deux de suppôt de la bourgeoisie campradore ), ou de l’imminent départ du gouvernement de tel ou tel ministre réactionnaire ( Taïbi Larbi, Taleb Ibrahimi). Le pays tout entier s’arrêtait de respirer à chaque intervention télévisée du caudillo, et les pythies du microcosme politique se faisaient un devoir de scruter positivement le visage du sphinx, sacré en ce qui le concerne de patriote-progressiste, histoire de lui pardonner le coup d’état du 19 juin 65. Alors, redoublaient les directives aux militants d’investir les Institutions y compris la militaire – et les organisations de masse – toutes placées sous l’égide du FLN – cela avec la mission d’épauler les  » démocrates-révoltionnaires  » contre les droitiers du régime. Pour l’essentiel, les zaïm de la pensée de gauche asseyaient leur légitimité, et confortaient leur aura, grâce au don qu’ils avaient de détenir, comme des turfistes, des tuyaux de première main sur les mésententes d’orientation des dignitaires du régime, et d’interpréter en conséquence l’augure du rapport de force. Les luttes des citoyens pour leurs droits élémentaires, ( augmentation de salaire, licenciement abusif…) étaient systématiquement découragées au nom de  » l’analyse concrète de la conjoncture ( qui ) n’autorise pas de faire des vagues au risque de gêner les alliés progressistes du pouvoir.  »

Sa bonne fortune comme sa vie dure, le concept les doit aux nombreux avantages procurés tant aux uns qu’aux autres. Les militaires comprirent que c’était là un bon moyen d’enfermer leurs adversaires dans le labyrinthe des rumeurs du sérail et d’occuper ainsi, à la hantise, l’esprit de chacun. Le résultat dépassa leur espérance puisque relativement vite, par le jeu des relations personnelles et des tractations occultes, se créa chez ces derniers un réflexe de solidarité en faveur de leurs anciens geôliers, parfois même leurs anciens tortionnaires, réflexe dont il reste encore de beaux vestiges. D’un autre côté, la stratégie de soutien critique aux  » éléments avancés  » du pouvoir engrangea immédiatement des bénéfices : l’étau de la répression se desserrait au profit d’une semi-légalité. Les zaïm de la mouvance progressiste, l’œil sombre et les lèvres frémissantes de mystère, pouvaient désormais jouir à loisir de l’admiration béate de leurs ouailles, et enfin, les plus autorisés de ces derniers pouvaient accéde, la conscience tranquille, aux responsabilités secondaires et de profiter des petits privilèges qui s’y attachent (appartement , voiture, voyages à l’étranger …)

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