Enfin un dernier point qui termine d’éclairer sur la vacuité (et fatuité) de toute stratégie politique se fondant sur les querelles des Généraux Algériens. Nul n’en disconvient, c’est le rejet du régime et de l’élite bureaucratique installée, qui sert de moteur à la crise. Ce rejet est profond, définitif, surtout global. }De gauche ou de droite, la dictature est la dictature, une dictature qui a perverti les acquis de l’indépendance et dont on ne peut plus rien attendre de bon, donc de gré ou de force elle doit libérer le plancher ~- voilà le fond de la pensée de centaines de milliers d’Algériens, notamment les jeunes. Ainsi étripés jusqu’à la nausée par un tel ras le bol, on comprend aisément que ces gens n’ont guère envie de goûter à la cuisine interne des responsables de leur mal-vie, et que, plutôt, les anime l’envie de les voir rouler dans la farine, tous, oui, tous ceux qui ont trempé dans la faillite du pays. La vérification de cette réalité passe par le FIS. Le parti de Madani et de Belhadj a pour lui d’avoir perçu que le credo islamique à lu seul ne suffirait pas à lui ouvrir le chemin du pouvoir, et que cet objectif dépend d’abord et avant tout de sa capacité à cristalliser ce rejet, et conséquemment, de faire de la chute de la dictature militaire son premier slogan. C’est cette stratégie de rupture radicale avec le pouvoir qui lui assuré enracinement rapide et crédibilité politique, même auprès de larges franges de non pratiquants. Cela ressort nettement d’une analyse saine des résultats de deux élections libres qu’a connues l’Algérie. En effet les communales de I990 montrent bien que le parti  » En-Nahda  » de Djaballah ( à droite du FIS) comme le parti  » Hamas  » (dénomination de l’époque, ) de Nahnah ( à gauche du FIS), malgré un programme à peu près identique à celui du FIS, c’est à dire la Charî’a, rien que la Charî’a, toute la Charî’a, ont réalisé des scores sans commune mesure avec celui obtenu par le parti interdit. Le premier tour des législatives interrompues de décembre 92 amplifia la tendance. L’islam n’a donc pas permis aux concurrents du FIS le même ras de marée, à peine leur a-t-il assuré un nombre de voix dans la fourche des partis de la mouvance laïque. Preuve s’il en faut que l’Islam n’est pas le fond du problème algérien, au plus en est-il l’astringent . Le tort de Djaballah et de Nahnah est d’avoir développé, dans la quiétude des salles de prière, un discours où ne perçait pas un  » niet  » catégorique au régime et qui revenait à dire : } Peu importe qui est au pouvoir pourvu qu’on applique un Islam authentique ~, cependant que le FIS martelait du haut des minarets } Puisons dans l’Islam l’énergie nécessaire pour les chasser tous ces dictateurs ~: La différence qui a fait la différence ! Il ne lui restait plus qu’à ramasser les dividendes.

Est-ce que les démocrates auraient partagé le succès du FIS si, de leur coté, ils avaient opté de faire des valeurs de la république et de la modernité une espèce de Marseillaise chantant l’irréductible volonté d’écrouler le régime ? Difficile de l’affirmer. Par contre, il est certain qu’ils aurait substantiellement affaibli la mouvance islamique dans son ensemble. A contrario, leur politique de marivaudage (et de commérage) politique avec l’oligarchie militaire, sensée protéger, en dépit de tout, le pays de l’intégrisme, conserve sous les cendres de belles braises à celui-ci, des braises prêtes à se raviver à la moindre brise.

En Algérie, démission (assassinat) du  » président  » – simulacre d’élection pour désigner le successeur, le cycle a pris la régularité triennale de l’assolement, ce qui affadit grandement l’événement électoral du I5 avril. Peut être qu’avec une libération de tous les prisonniers politiques, un allégement de l’état de siège, un désarmement des milices ou l’adoption d’un pacte négocié avec l’opposition, on pourrait se prendre au jeu et croire que ces présidentielles ont des chances d’enclencher le début de la fin de la légitimité des armes. Malheureusement, même cause même effet, tout incite à supposer que la consultation ne se distinguera pas de beaucoup de la façon de faire, utilisée par l’oligarchie militaire au Nigeria pour combler le vide laissé par la disparition du Général-Président Habacha.. En effet, une étonnante gémellité de parcours entre ce pays et l’Algérie permet de soutenir le pari. Pratiquement ce qui se passe dans l’un se répète très souvent dans l’autre : indépendance, rente pétrolière, industrie industrialisante, corruption, faillite, convulsions démocratiques, élections libres, coup de botte dans ces élections, dictature, assassinats (ou, s’il vous plaît, pendaison d’un poète et plusieurs de ses amis )… La différence concernant leur passé colonial en fait un duo représentatif de tous les malheurs de cette Afrique qui n’en finit pas de ramasser les bris de son indépendance, qui lutte et meurt, qui pleure et espère, et qui, dans le grondement des armes ou dans le silence des suppliciés, est déterminée à chasser les Bokassa, Mobutu et autres sous – stars de la déglingue africaine, pour la raison simple qu’ils constituent le premier obstacle à son accès à une modernité réelle. L’aspiration démocratique du continent ; aussi confuse soit elle, n’est pas moins historique que le mouvement de décolonisation dont elle constitue le volet supérieur. Et c’est là sa faute : le nouvel ordre mondial, qui goudronne ses  » auto – routes  » avec le pillage et la criminalisation des économies, la perçoit comme une menace – menace réelle et d’autant plus difficile à contenir que le désir de mieux vivre et le droit à la dignité animant cette revendication démocratique résultent, pour une part, de l’effet boomerang du systême informationnel mis en place par ce même ordre mondial pour vendre ses produits idéologiques, en l’espèce des messages publicitaires à qui la démocratie et les droits de l’homme servent d’accroche, un peu comme les pin-up dans une publicité pour voiture. Au Nigeria, c’est le libéral milliardaire Moshood Abiola, un homme donc des plus politiquement corrects qui a gagné les présidentielles de juin I993. Au nom de la junte, le Général Habacha annula les élections, envoya croupir en prison le vainqueur du suffrage universel, et pour le bouquet de fleur, fit pendre l’écrivain Ken Saro-Wiwa en place publique – ce qui, n’est-ce pas, n’est nullement moyenâgeux, le Moyen Age appartenant en propre aux islamistes. Tout cela sans que l’on sorte les canonnières ! En Algérie le soutien des thuriféraires de la démocratie aux casseurs des législatives se justifie par l’argument intégriste, mais là… Là, ça exprime ce que beaucoup pensent sans oser le dire : le libéralisme économique ne veut pas de la démocratie, il ne veut pas voir le peuple d’Afrique accéder à une souveraineté réelle et ainsi restreindre sa mainmise sur les trésors du continent – auri sacra fames ! Un ersatz de démocratie, oui – la démocratie réelle – non ! jamais !… Et c’est cette frousse qui établit les militaires (des soudards en vérité) dans le rôle de nervis chargés de garder les réserves indiennes, car, ainsi sont considérés en réalité les anciens pays colonisés. D’où cette formidable compréhension dont jouissent les militaires, et d’où leur impunité.

Tant est si bien, qu’après la mort de Habacha, enterré clandestinement alors que les Nigérians fêtaient l’événement, les envoyés spéciaux des puissances régnantes se sont succédé à Abuja pour inviter les militaires à plus de décence démocratique : les ayant écouté et réfléchi, l’équipe de Négus n’a fait qu’à sa tête, organisant vite fait bien fait des présidentielles qui tout naturellement ont porté le bon général – Obasanjo- au sommet de l’Etat, lequel aussitôt a endossé son ample boubou de voyage. Pourquoi les choses devraient se dérouler autrement dans un pays où l’intégrisme excuse tout par avance ?

Donc, bis repetita : le 15 avril l’Algérie aura un nouveau président ; l’élu partira tout de suite en voyage d’affaire, et Alcyon pourra pleurer tout son soûl Tarentines et Tarentins… Gens du village, méfiez-vous toujours et toujours des gens du livre !

Hassen Bouabdellah
Ecrivain et cinéaste
Avril 1999

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