Question: Le onze mai dernier, 175 pays, dont l’Algérie, ont adhéré au traité de non-prolifération nucléaire (TNP) qui a été reconduit pour une durée indéterminée. Considérez-vous ceci comme satisfaisant ?

Réponse: L’Algérie avait déjà adhéré au TNP avant la conférence d’extension de mai dernier. Elle l’a fait sous l’un des nombreux gouvernements qui se sont succédés après janvier 1992. Si mes souvenirs sont bons ce fut sous celui de Rédha Malek.

Pour répondre à votre question, et après avoir expliqué ma profonde hostilité au nucléaire militaire, je tiens à exprimer mon désaccord total avec la signature d’un tel traité, par principe. Cette ratification représente la légalisation de l’illégitime, et la consécration, encore une fois, de l’ordre des forts.

La notion même de non-prolifération est discriminatoire et admet l’existence et l’acceptation d’un ‘club nucléaire’ qui doit rester fermé aux autres. D’après les estimations de l’Organisation mondiale de la santé, l’armement nucléaire accumulé par ce club a atteint, il y a quelques années déjà, 15 000 MT, soit l’équivalent de 750 mille bombes du type lancé sur Hiroshima. Le terme ‘non-prolifération’ est en contradiction avec l’article VI du traité par lequel les pays du club s’engagent au désarmement nucléaire. Cet article n’a d’ailleurs jamais été respecté, et est aujourd’hui publiquement contesté au sein du club [2].

Le traité reconnaît à tous les pays le droit de développer le nucléaire à des fins pacifiques (art. IV). Or ce qu’on constate aujourd’hui c’est que le ‘club nucléaire’ a défini des pays qu’il a convenu de nommer ‘pays à risque’ (aux Etats ‘malhonnêtes’, pour reprendre l’expression utilisée par les Américains), auxquels il refuse l’accès même au nucléaire civil, et qu’il montre du doigt chaque fois qu’ils essayent de tirer profit des bienfaits de cette technologie. Vous avez évoqué tout à l’heure le cas de l’Algérie.

Quant à l’intention des pays nucléaires de «garantir une sécurité positive» en s’engageant à fournir ou appuyer une assistance immédiate à tout Etat non nucléaire, signataire du traité, et qui serait victime d’un acte ou d’une menace d’agression nucléaire, je vous laisse vous-même juger la manière dont ces pays nucléaires, membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, ont assisté les victimes bosniaques.

En outre, les conditions dans lesquelles le traité a été reconduit sont une véritable mascarade diplomatique. Le ‘club nucléaire’ et a sa tête les Etats-Unis a mené une offensive sans précédent pour faire signer le document par tout le monde et à tout prix. Chacun de membres du club s’est chargé de convaincre (par la carotte ou par le bâton) les pays appartenant à sa zone d’influence. Ainsi, toutes les objections et protestations ont été ignorées et le traité fut adopté non pas par vote mais par consensus (!).

Il n’est pas difficile de comprendre, dans le contexte actuel, pourquoi les responsables algériens ont ratifié le TNP, comme ils ont déjà signé les accords de l’organisation mondiale du commerce ou du FMI, pour ne citer que ceux rendus publics.

Question: Que pensez-vous de la campagne menée contre les essais nucléaires français à Mururoa qui viennent de reprendre ?

Réponse: Personne ne peut refuser aux pays limitrophes du site d’expérimentation nucléaire de Mururoa le droit de protester contre les essais décidés par la France. Je crois qu’il est du devoir de chacun de les soutenir pour préserver ce droit, en ralliant les mouvements pacifistes et écologistes qui font pression sur le gouvernement français pour revenir sur sa décision, ce qui serait un acte de sagesse.

Nous devons protester contre de tels essais, et pas uniquement français, et ce d’autant plus que l’un de leurs objectifs serait vraisemblablement la miniaturisation des armes et, donc inévitablement, la banalisation du feu nucléaire. Ensuite les pays qui se livrent à de tels essais sont en train de saper le CTBT (Comprehensive Test Ban Treaty, traité d’interdiction des essais nucléaires) avant sa naissance l’année prochaine. Les Etats-Unis ont déjà fait savoir qu’ils le respecteraient tant que rien ne compromettra «les intérêts suprêmes» de la nation. La Chine et la France ont promis de s’y joindre, mais uniquement après avoir terminé les tests qui leur sont nécessaires. N’est-ce pas là une attitude hypocrite ?

Question: Pour terminer sur un registre plus pacifique, et revenir à votre domaine d’activité, Comment voyez-vous l’avenir de la physique médicale en Algérie ?

Réponse:  Il y a eu un début d’intérêt dans ce domaine dès le début des années 80, et des efforts considérables ont été investis par le ministère de la santé publique pour la promotion de ce secteur… Qu’il s’agisse de techniques de diagnostic ou de thérapie, les installations nécessaires et leur opération et entretien sont très coûteux. Malheureusement, ces dernières années, les conditions qui prévalent dans les établissements sanitaires et en particulier les hôpitaux universitaires ne sont favorables à aucun développement visant l’amélioration des soins médicaux. De grands centres comme celui de Aïn En-Na’dja ont d’autres et priorités à l’heure actuelle. Nous ne pouvons qu’espérer que le pays retrouve sa stabilité pour que de telles préoccupations soient à l’ordre du jour.

Notes:

[1] Il s’agit du papier de Jean-Louis Dufour publié dans le dernier numéro (août-septembre) de la revue française Défense Nationale, intitulé Terrorisme nucléaire, mythe ou réalité? et où l’on peut lire dans la conclusion : «Que se passerait-il si le FIS, à la veille de la coupe du monde de football, accordait vingt-quatre heures à la France pour fermer ses ambassades en pays arabes, faute de quoi une explosion nucléaire, télécommandée par radio, détruirait des quartiers entiers de Paris ? Pour crédibiliser la menace, ses auteurs affirmeraient posséder deux bombes dont l’une, cachée, serait prête à servir, et l’autre placée dans un endroit public pour y être examinée par des spécialistes. Que ferait le gouvernement de la République ? Il serait contraint d’ordonner l’évacuation de Paris… et d’annuler la coupe du monde.»

[2] L’amiral Jacques Lanxade, chef d’Etat-major des armées françaises, nous apprend que « la ‘marque’ spécifique de la France dans le monde est incontestablement le fait qu’elle ait une puissance nucléaire autonome. Cela lui confère indéniablement une stature et un degré de liberté de décision et d’action sur le plan international que ne peuvent atteindre les puissances non nucléaires.». Et juge ainsi que « le maintien d’une dissuasion nucléaire reposant sur des moyens modernes, en nombre suffisant et d’une crédibilité indiscutable, reste indispensable face aux risques majeurs d’un monde particulièrement instable et incertain ». Roger Baléras, ancien directeur des applications militaires au Commissariat à l’énergie atomique et conseiller du gouvernement français affirme quant à lui que « le maintien du statut spécial des cinq puissances nucléaires et de leur capacité de dissuasion assurent un garde-fou à tout débordement dans ce domaine. Une telle attitude pragmatique semble préférable à la recherche d’une disparition totale des armes nucléaires, comme si on pouvait ‘désinventer’ l’atome. » (Défense Nationale, août – septembre 1995).

Ceci est conforme à la ligne politique tracée par le général de Gaulle qui lança la première expérimentation française au Sahara en février 1960, en dépit du moratoire observé par les puissances nucléaires de l’époque : Etats-Unis, ex-Union soviétique et Grande Bretagne. La France n’a adhéré au TNP qu’en juin 1991 et l’a donc ignoré pendant près d’un quart de siècle. Le temps de sophistiquer ses propres armes et d’aider un pays ami, Israël, à se doter de l’arme. Le général de Gaulle, tout comme Frédéric Julio, le père du C.E.A., le général Groves, chef du projet Manhattan, ou Shimon Peres, le père du nucléaire israélien, nous sont présentés aujourd’hui comme des patriotes car ils se sont souciés de la sécurité de leurs pays et d’une défense indépendante fondée sur la dissuasion autonome qui protège leurs intérêts économiques et géopolitiques.

Abbas Aroua
La Cause
9 septembre 1995

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