Question: Qu’attendez-vous de la France après ces révélations ?

Réponse: J’attends ce que tout Algérien attend depuis des décennies. La reconnaissance de la France de tous ses crimes commis à l’encontre du peuple algérien depuis 1830 : les nombreux génocides dont le nombre total de victimes se chiffre par millions, et notamment celui de mai 1945, le pillage économique et, en fin de période coloniale, le politique de la terre brûlée. Vous voyez que les tests nucléaires ne représentent qu’un épisode dans la longue série d’horreurs à laquelle a assisté le peuple algérien sans défense. M. Chirac a prouvé son courage en commençant à payer les dettes extérieures de la France. Il a reconnu la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs durant la Guerre. Alors qu’il aille jusqu’au bout dans le règlement des dettes françaises.

Pour revenir aux expérimentations nucléaires, il est clair que la direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), et la direction des centres d’expérimentations nucléaires (DIRCEN) devraient avoir l’obligeance de coopérer avec les services algériens de santé publique et de radioprotection en leur fournissant les données nécessaires à la détermination précise de l’impact radiologique des explosions.

Question: Il y a quelques années la presse occidentale a mené une vaste campagne pour sensibiliser l’opinion contre la « bombe nucléaire algérienne ». L’inquiétude suscitée et propagée était-elle justifiée ?

Réponse: Vous faites sûrement allusion au fameux  et fumeux article du Sunday Times du 28 avril 1991, qui évoquait un rapport du MI6 (principal service de renseignement du Royaume-Uni) sur le réacteur nucléaire de Aïn-Ouessara et des photos prises par un satellite du CIA, pour conclure que l’Algérie allait se doter d’une ‘bombe islamique’. Cet article a bien évidemment été repris par l’ensemble des médias. Je crois que le récit de Sunday Times ressemblait plus à une aventure de l’agent 007, et ne reposait sur aucun fondement.

L’Algérie dispose, d’après les données que nous avons pu lire dans la presse, de deux réacteurs nucléaires, l’un d’une puissance de 1 mégawatt (MW) et l’autre de 15 MW, dédiés à la recherche. Je vous rappelle que nous sommes là à deux à trois ordres de grandeur de la puissance type d’une centrale nucléaire moderne productrice d’énergie, qui est de 1000 MW. Pour faciliter la comparaison, il faut savoir que les ةtats-Unis disposent pour la production d’énergie de plus de 100 000 MW, la France de plus de 50 000 MW et un pays de petite superficie comme la Suisse de près de 3 000 MW. En outre, les réacteurs algériens sont contrôlés par les services de l’Agence internationale de l’énergie atomique de Vienne (IAEA), d’après les propres déclarations de cette organisation.

Je dirais donc que toute l’histoire a été conçue dans un but bien déterminé pour nuire à l’Algérie. Et même dans ces moments tragiques que traverse l’Algérie aujourd’hui, vous constatez dans un article publié tout récemment, et dont  l’auteur est présenté comme un spécialiste de la conflictualité contemporaine, que l’illustration du terrorisme nucléaire est faite en évoquant les islamistes algériens [1]. Je ne trouve pas de mots pour qualifier cette attitude. Je tiens juste à rassurer notre spécialiste qu’il n’est pas de la tradition musulmane de terroriser les innocents. Par ailleurs, les Algériens n’ont pas besoin d’une bombe atomique pour combattre la corruption.

Question: Comment voyez-vous le futur du nucléaire en Algérie ?

Réponse: Vous concevez bien que de part ma formation de physicien médical, je sois opposé au nucléaire dans presque toutes ses formes. Mais dans le cas de l’Algérie, j’ai des raisons objectives pour cette opposition. En fait, en Algérie, les seuls domaines où le nucléaire serait utile est tolérable, sont la recherche scientifique et la production de radioéléments pour des applications telles que la médecine, la biologie, l’agriculture… Ceci nécessiterait des réacteurs de petite taille, dont la gestion ne poserait pas de problèmes majeurs et au risque réduit.

En ce qui concerne l’électronucléaire, il est inadapté en Algérie. D’abord par la taille des installations qu’il exige, et qui demande une expertise technique de haut niveau, une assise industrielle solide et stable, et surtout une culture raffinée de gestion des entreprises. Ces conditions ne sont pas réunies en ce moment en Algérie. Il n’y a qu’à voir de quelle manière sont gérées les diverses installations industrielles du pays, et le sort qui leur est réservé en cas d’une panne banale. La réalisation d’une centrale nucléaire de puissance serait donc une erreur grave et une aventure comportant beaucoup de risques. En outre, l’Algérie dispose à cours et moyen terme de suffisamment de sources d’énergie. A plus long terme elle a le formidable réservoir énergétique que représente le soleil saharien, à condition de s’y prendre tôt pour accumuler les connaissances scientifiques et acquérir l’expertise et le savoir-faire nécessaires dans le domaine. Ceci permettrait de court-circuiter le nucléaire.

Quant au nucléaire militaire, je perçois son implémentation et utilisation comme un ‘fassad fil ardh’ (un mal sur Terre) tel que décrit dans le Coran en évoquant celui qui «lorsqu’il prend le pouvoir, il œuvre pour semer le mal sur Terre et pour détruire les cultures et le bétail. Et Dieu n’aime pas la corruption.» (II:204-205), ou pour expliquer que «Le mal est apparu sur Terre et en mer, par les acquis des gens, pour que Dieu leur fait goûter aux conséquences de leurs œuvres, peut-être s’en détourneraient-ils.» (XXX:41).

Question: Certains vont vous taxer de vert fanatique ayant une vision trop idéaliste du monde. Vous en défendez-vous ?

Réponse: Je ne sais pas si vous entendez par ‘vert fanatique’ le fait d’être musulman ou écologiste. Mais ce n’est pas bien grave. En fait si on est musulman on a forcément une forte préoccupation pour l’écologie. Trop idéaliste, je ne le pense pas. Je cois qu’il faut toujours partir d’un idéal, même si dans la réalité on n’arrive pas à le réaliser à 100%.

Pour revenir au nucléaire militaire, l’utilisation des armes de destruction massive est contraire à l’éthique islamique de la guerre. La vie humaine est sacrée et il est prescrit dans le Coran que «Nous avons prescrit pour les Enfants d’Israël que quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes.» (V:32). La guerre qui représente ce qu’il y a de plus terrible et terrifiant, doit, en Islam, avoir une justification morale solide qui la rend une nécessité impérieuse. D’ailleurs cette appréciation est partagée par d’autres confessions. Le Pape Jean-Paul II n’a-t-il pas parlé, en évoquant le drame bosniaque, du concept de ‘guerre juste’.

Ceci en ce qui concerne les fins. S’agissant des moyens, l’Islam a défini à la guerre un cadre bien codifié qui doit épargner tous ceux qui n’y participent pas activement (les civils innocents). Ainsi, le Prophète (s) a toujours interdit à ses armées de s’attaquer aux femmes, aux enfants, aux malades, aux vieillards, aux moines et autres religieux. Il a interdit aussi de mutiler, de massacrer les animaux, de détruire les cultures et les plantations, de souiller les eaux et de contaminer des puits ainsi que de démolir les habitations. Il a fixé le droit du blessé et du prisonnier de guerre. Vous voyez que l’utilisation des armes de destruction massive qui ne sélectionnent pas les victimes et touchent les innocents et l’environnement, va à l’encontre des règles islamiques de la guerre.

Or que constatons-nous aujourd’hui ? On s’achemine de plus en plus vers une conception lâche de la guerre, où les moyens mis en œuvre ne nécessitent plus aucun courage car ils n’encourent aucun risque à ceux qui la font. Le marin qui dans sa croisière envoie un missile intercontinental pour exploser des milliers de kilomètres plus loin ou l’aviateur qui, confortablement assis dans son cockpit, hors de portée, balance des tonnes d’explosifs, et détruit en quelques instants une ville entière, n’ont pas besoin d’autant de courage qu’un soldat d’une guerre conventionnelle, qui partait pour une confrontation réelle de la mort, et qui prenaient le temps de réfléchir et de se poser mille questions pour juger le bien fondé de son acte et évaluer ses conséquences. Aujourd’hui la facilité avec laquelle se fait une ‘guerre télécommandée’, ‘chirurgicale’, ‘propre’, à ‘zero-risk’, rend la réflexion superflue pour la plupart de ses acteurs. On en a vu l’illustration durant l’agression américaine contre l’Irak.

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