Le 8 mai 1945 et le 11 décembre 1960, deux dates symboliques dans la construction de notre conscience nationale populaire. En ces jours, le peuple algérien s’est soulevé, pacifiquement, contre le colonialisme français et a réclamé son indépendance. Une indépendance acquise après avoir payé le plus lourd tribut pour affirmer son droit à l’existence en tant que peuple indépendant et libre.

Hélas ! Presque 60 ans après, le 5 juillet 2019, en plein cœur d’Alger, à l’occasion de la fête de l’indépendance retentit la même demande : « le peuple veut l’indépendance ». Nous sommes le seul peuple qui, deux fois dans son histoire, a réclamé son indépendance ! Avaient raison ceux qui ont qualifié la première indépendance d’indépendance confisquée, tel Ferhat Abbas, de colonialisme intérieur, tel l’historien Mohammed Harbi, et d’indépendance inachevée telle « l’Algérie du Peuple » [1].

Car si la première indépendance fut politique (l’indépendance de l’Algérie) la seconde indépendance, celle pour laquelle nous luttons, est une indépendance citoyenne (l’indépendance de l’Algérien) et elle aspire à fonder un Etat de droit, de justice et des libertés. La grandeur du Hirak populaire du 22 février 2019 est qu’il incarne l’histoire de la résistance à ce « système » dont la colonne vertébrale fut l’Armée des Frontières [2] en 1962, et c’est la raison pour laquelle il est massif, sans couleur idéologique, pacifique, radical et inclusif : il représente une rupture historique.

Cette rupture marque le sceau définitif sur l’existence de deux Algérie comme ce fut le cas durant l’époque coloniale : à l’Algérie française correspond l’Algérie du système (des Généraux) et à l’Algérie des indigènes l’Algérie du peuple. A la ville européenne correspond le Club des Pins et à la cité arabe, celle des bidonvilles, l’Algérie réelle.

En décembre 2019, « l’Algérie du système » a imposé Tebboune et elle se réclame du Hirak béni, le Hirak institutionnel. « L’Algérie du peuple » se réclamant du Hirak populaire a exprimé son refus radical des élections par un mot d’ordre historique « pas d’élections avec les gangs ».

De quoi les élections en Algérie sont-elles le nom ?

Les élections en Algérie sont un non-sens démocratique car leur seule raison d’être est de reproduire le « Système », de l’habiller d’une légitimité électorale et de prolonger la non-vie et le désespoir qu’il a semés en Algérie. Chaque nouvelle élection apporte son lot de malheur aux Algériens. Les élections en Algérie sont synonymes d’une catastrophe à venir. Comme le soulignait la journaliste José Garçon [3] « s’il est une constante dans la vie politique algérienne, c’est que le pire n’est jamais à exclure ». Et ce pire, hélas, est le produit des élections. Le déficit de légitimité est abyssal et chaque élection en Algérie le creuse davantage. Quel changement la mandature de Tebboune a-t-elle apporté ? Le peuple voulait un changement du système politique dans son soulèvement populaire du 22 février 2019 et en imposant Tebboune, l’Algérie du système ne tolère que le changement clanique. Et la lutte des clans structure la vie politique en Algérie depuis la fondation de ce système en1962. Un seul acteur est exclu, au nom duquel on gouverne : le peuple. Comparé à l’ère Bouteflika en 2018, le nouveau clan n’a fait qu’empirer la situation sur les plans social, économique, des libertés et de l’international.

De quoi l’Algérie de Tebboune est–elle le nom ?

Elle a mis fin au pouvoir bicéphale, sa face militaire (le pouvoir réel) et sa face civile (le pouvoir de façade). L’Algérie de Tebboune c’est la militarisation de la société. Le règne de la culture militaire. Une culture de spoliation, de corruption, d’oppression et de l’arbitraire. Une culture de la mort. La mort de l’Algérie en tant que peuple et nation. L’Algérie de Tebboune c’est l’Algérie des «Tabbalines, Chiyatines ( ceux qui chantent la gloire du système) », c’est le retour de « l’Algérie des Bni Oui-oui », de « l’Algérie des Bouz-Bouz » de l’époque coloniale contre laquelle nos pères se sont révoltés. Si en 1992, le sociologue Rabah Stambouli [4] a qualifié le langage de l’assassin de Boudiaf « G’talto normal » de langue de veau, le rationalisme à posteriori ; comment alors qualifier le langage de Tebboune ? « De normalement normal », le mal amplifié. Chez Tebboune, les mots précèdent la pensée. Ses phrases sont une juxtaposition des mots non structurés par une cohérence de pensée. Ce qui dénote l’absence d’une vision qui caractérise et structure ce pouvoir. C’est un délire verbal d’ordre psychiatrique, car l’homme et son clan sont habités par l’Algérie des années 70 et veulent l’incarner. L’Algérie de Tebboune est l’Algérie de l’improvisation. La politique extérieure en est l’exemple type. Nous avons des problèmes réels avec l’ensemble de nos voisins à nos frontières. Sur le plan intérieur, c’est l’affaissement de la société qui se dessine, car ce pouvoir dans sa folie de grandeur, niant la réalité, s’autoglorifiant, se mentant à soi-même, veut un peuple de serviteurs en emprisonnant et criminalisant toute voix discordante. Tel quel « ce Système » qualifié d’antinational par Mouloud Hamrouche [5] est un danger pour l’intégrité territoriale et une menace pour la cohésion sociale.

Nous sommes dans l’urgence. L’existence de l’Algérie et du peuple algérien en question. Ce qui nous attend, à brève échéance : la refondation ou l’effondrement de l’Algérie. A nous de relever le défi de la refondation. Ce Système n’a ni légitimité historique, ni légitimité politique, ni légitimité morale. Nous avons atteint le seuil de la déchéance morale. Nous avons deux grands exemples de refondation pour cette année 2024, celui du Sénégal et celui du Bangladesh. A nous de créer le troisième exemple. Ce dont nous sommes sûrs, ce système est gros de l’effondrement de l’Algérie. Il n’existe pas de troisième voie pour l’Algérie. Nous avons hérité d’un pays béni par le sang des martyrs et la sueur de nos pères et nous avons un Système sans transpiration ni inspiration qui fait de l’Algérie la risée du monde ; à nous d’être les fidèles héritiers de l’esprit de résistance qui a animé nos pères tout au long de l’histoire de l’Algérie pour bâtir enfin l’Algérie dont nous rêvons, celle du vendredi du Hirak. Il suffit d’un souffle et l’espoir renaîtra. L’Algérie du Hirak populaire est toujours là, vivante, car elle vit pour l’Algérie et veut la sauver et la refonder.

Le Hirak populaire s’impose à nous comme un devoir éthique pour sauvegarder en nous les valeurs qui fondent notre dignité d’hommes libres. Le retour du Hirak populaire est un hymne à l’Algérie. Le seul véritable acte d’amour.

Mahmoud Senadji et Brahim Quentour
Algérie du Peuple

Références

[1] « Algérie du Peuple » est un mouvement lancé le 12 décembre 2022 pour donner au Hirak populaire une forme organisationnelle. Elle est à l’origine de l’Appel lancé le 8 mai 2024 et publié sur le journal Le Matin d’Algérie :
Appel du 8 mai 2024 : aux patriotes algériens – Le Matin d’Algérie

[2] L’Armée des Frontières, à sa tête Boukharouba et les Déserteurs de l’Armée française, dont la devise « le pouvoir quel que soit le prix » a marché sur Alger comme une Armée de conquête. Elle a hérité de l’espace géographique et patrimonial laissés par le colonialisme et a fini par épouser son esprit.

[3] José Garçon « Algérie, l’impossible restauration » Persée, politique étrangère, année 1999 pp. 343-356.

[4] Cité de mémoire. C’est un article écrit en1992 sur les colonnes d’El Watan, dans lequel il analyse à travers cette phrase « G’talto normal » l’état de déchéance de toute une société où le mot « normal », ce joyau linguistique, à la fin d’une phrase justifie l’injustifiable : le crime.

[5] Mouloud Hamrouche, « le système algérien est antinational », El Watan, 4 septembre 2019.

Leave A Reply

Exit mobile version