L’indépendance, sur laquelle le passé veut faire valoir une prétention selon la grammaire kafkaïenne, est une vérité essentielle mais demeure chétive. Essayer, d’une manière générale, de faire le bien des gens sans tenir compte de leur opinion et, de façon particulière, de protéger les algériens d’eux-mêmes, relève du réalisme militaire d’antan qui cherche à imposer son opacité dans l’ombre et sous la menace. Le discours officiel est renommé pour être prêt à déshumaniser tout opposant et le broyer. Le système invalide a empêché que le citoyen puisse ou doive naturellement se raffiner en cultivant son aptitude innée ou acquise à la compréhension et à la fraternité. Plus, il a été incapable de donner un sens au labeur ou de justifier la fuite du temps. Mais il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre et il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. Il a détruit la mesure de l’Algérien. De l’Homme. Du peuple.   

M. B. Benkhedda a cru résoudre le problème de l’autorité en mettant fin à la guerre fratricide, à l’effusion de sang des algériens, par sa démission forcée. Sans piocher l’histoire de la Révolution et en remettant le compteur à zéro au jour de l’Indépendance, la dite démission a été le crépuscule de l’aurore algérienne ! Beaucoup ont approuvé, voire applaudi cette solution, en 1962. Mais beaucoup ont vécu les affres de ses prolongements qui ont marqué la vie des algériens au fer rouge. Tous les chefs d’Etat algériens n’ont quitté leur poste que sous la contrainte : la révocation sous forme de démission! Chacun d’eux a approché de lui la personne qui sera l’outil adéquat à sa propre éviction et déconstruction. Une tradition signée par le clan de Oujda! En répondront l’inspirateur et tous ceux qui l’ont approuvée ou exercée. M. A. Benbella se sert de la force de Cl. Boumédienne  pour arriver au sommet de l’Etat ; Cl. Boumédienne avait besoin de la popularité de M.A. Benbella  pour accéder au premier rang. Une fois ses assises assurées, il éjecte celui qui l’a mis à ses cotés. Le même  scénario se répètera plus tard avec les duel Cl. Chadhli-G. Nézar ;  G. Nézar –M.A. Bouteflika ; M.A. Bouteflika-G. Gaid Salah.   Cette « sunna insipide » doit s’arrêter. Mais elle ne peut être arrêtée que par un Etat de droit où les institutions,  non seulement fonctionnent selon les lois en vigueur,  mais sont performantes quant aux libertés du citoyen. C’est pourquoi le Harak insiste sur l’Etat de droit et veut que tous ceux qui ont recours à « l’arrache-clou » pour briguer un poste important doivent tous dégager la piste.  

Il a beau maquiller sa douleur, il a beau voiler sa souffrance, ce peuple subit l’étreinte sophistiquée d’une seconde prison, celle du silence aveugle et de la sourde indifférence. Le citoyen ignoré, ignore à son tour, jusqu’à ce jour, la boite noire où se concocte la politique du pays et où se fait le choix de son maître imposé. Aujourd’hui, comme hier, comme toujours d’ailleurs, le pouvoir, arrogant face aux déceptions vécues par le citoyen, méprisant les critiques et avis des gens, a toujours affiché une cécité insolente  à la pression qui monte au sein du peuple, se contentant de la canaliser en lui désignant, à chaque fois des boucs émissaires : les berbéristes en 80, les islamistes en 90, qui seront ceux de ces jours-ci ?  II a ses laïcs, ses islamistes, ses nationalistes, ses arabes, ses kabyles, … il a toute la gamme d’appâts pour pécher dans les eaux troubles qu’il sait préparer.  Il sait détourner l’attention du peuple de l’essentiel par la peur, par le divertissement,…Mais il y a un réel quotidien qui s’impose : l’ampleur du déni que le peuple ressent à l’égard du régime augmente. Tout est condamnable : Présidence, partis, assemblées, administration, politique,… tout est à refaire. La crise politique est là présente, en attente de LA solution, L’UNIQUE solution.

 Le Harak est là ! Une aubaine pour ouvrir les horizons de la deuxième république fondée sur la volonté du peuple et instaurer un régime réellement démocratique. Il est très clair que « démocratie » ne veut pas insinuer ces élections-mascarades qui servent le pouvoir et dont les résultats sont purement et simplement rejetés s’ils ne correspondent aux objectifs des oligarques. Les solutions boiteuses font du chemin certes, mais le temps les érode et remet, bon gré mal gré, les choses à la case de départ. La contestation est massive.  Le Harak,c’est la Révolution ! Nous sommes en Novembre 1954 !

Le pouvoir nous a habitués à une utilisation de la peur, à des fins politiques, avec toute la gamme,  du « soft » au « hard ». La classe politique sécrétée par le régime en place, cultive et exploite la peur du citoyen pour soumettre la population.  « Seul le gouvernement est appelé à résoudre les problèmes posés » est une boutade qu’elle mâche treize mois sur douze, omettant sciemment qu’un gouvernement qu’on maintient par la force donne rarement les résultats espérés. Il a toujours été une entreprise coûteuse que le pouvoir ne daigne pas évaluer.  Les politiciens se donnent le droit et jouent le rôle  de « protecteur du peuple ». Ce dernier se trouve ainsi entouré de dangers généralement fictifs qui cernent de partout sa liberté. Souvent, les gouvernements se transforment en la source du danger contre laquelle ils promettent de protéger les citoyens.  Mais les gens, avec le temps et l’option du « moindre mal » se rendent compte de la supercherie : les budgets alloués au fonctionnement des différents ministères augmentent alors que les rendements des services se détériorent.  Lorsque la mafia met la main sur l’Etat policier, elle mène une guerre ouverte contre la pensée libre et ceux qui la représentent sur le terrain social à commencer par les syndicats et les militants des droits de l’Homme. Les opportunistes alors prolifèrent et profitent des peurs gérées par les gouvernements pour s’enrichir au grand dam des habitants. En « temps de guerre », le pouvoir du gouvernement se veut sans bornes, indéfini. C’est une chance à ne pas rater pour faire du beurre pour la gente militaro-financière. Les magouilleurs de la politique voient s’ouvrir devant-eux toutes les opportunités d’enrichissement personnel.  Créations et augmentations de budgets ; nécessité d’organismes et de personnels nouveaux ; multiplications de contrats sans soumission… Répétons cette vérité que les politiciens, non seulement n’ignorent pas, mais qu’ils exploitent à outrance : il n’y a pas mieux que la peur pour amener les populations réticentes à soutenir inconditionnellement le pouvoir. Tous les mouvements politiques, syndicaux et associatifs, qui défendent la liberté et le changement sont perçus par le pouvoir comme un danger qu’il faut coute que coute écarter. Le régime prétend offrir un monde idéal et affirme que derrière toute rénovation se cache une catastrophe. Il ne s’est pas gêné d’avoir recours au « terrorisme », comme chef d’inculpation, pour endiguer tout changement, même s’il est fait sans complot ni conspiration, selon les lois en vigueur, sans violence, dans la transparence, en toute démocratie, …N’oublions pas et rappelons-nous les retombées du 11 septembre 2001 : la pérennité de la gouvernance par la peur à travers le monde ! En 90, le pouvoir putschiste  s’est fait aider par nos laïcs agissant dans le sillage des laïcs extrémistes français et nos extrémistes religieux selon la conception du  régime saoudien. L’autorité menaçait le bien-être des gens sur terre, le sheikh le menaçait dans l’au-delà : le pouvoir s’est assuré une prolongation de trente ans, soit l’âge d’une génération. L’agoraphobie politique est, dit-on,  « une peur ou une haine du peuple assemblé dans une agora formelle ou informelle ». « Une peur du règne tyrannique de la masse des pauvres, voué au chaos économique et social ». Aujourd’hui, avec l’affaire des drapeaux, n’est que l’expression de cette agoraphobie.  L’autorité réelle tente-t-elle,  gauchement et allégrement, de rééditer les troubles de 90, en faisant appel aux extrémistes ethnophobes des deux cotés pour briser le corps du Harak ? Dans une société inégalitaire, ceux qui cherchent revanche et dignité comptent sur la mobilisation de la culture et de l’émotion communautaire. L’étendard amazigh n’avait pas de quoi  focaliser l’attention politique. Le pouvoir comptait sur l’essoufflement.  Celui-ci semble tarder à venir. En cette période de rapport de force, l’étendard ne brille que par l’idée qu’il peut être le talon-d’Achille du Harak !  Les ennemis du peuple parient aujourd’hui sur la nouvelle bipolarisation arabes/kabyles et font tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’elle vienne supplanter l’ancienne opposition islamistes/laïcs. Si cette dernière a ouvert, pour une décennie, un portail de l’enfer que le citoyen ne pouvait imaginer, elle était souvent stérile : elle est le résultat d’un choix responsable dont l’intersection est quasiment vide. Ce vide lui assurait une fin inéluctable. Tandis que la première (arabes/kabyles) s’avère mortifère, aux yeux de ceux qui l’attisent. Mais il y a une chose qu’ils oublient, c’est qu’elle est innée, indépendante de toute volonté, et son intersection comble l’histoire et ses deux repères le temps et l’espace. Ce noyau dur – l’intersection, assurée par le brassage des peuples des fins fonds de l’Histoire de ce beau pays et des gages du fleuve de son hospitalité perpétuelle – se porte bien : il prospère, aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain.  Il est opérant. C’est lui qui a toujours assuré la stabilité du pays. II garantit contre vents et marées la continuité à la société et lui promet l’avenir qu’il mérite. Les rêves révolutionnaires et les échecs cuisants qui ont marqué le Monde arabe, auront,  certes, un rôle déterminant à jouer dans la reconstruction d’un pays traumatisé. Mais, tout acteur, en accordant une place centrale au doute et à la critique, dispose d’une capacité variable à accepter le fait «Harak».  El hamdulilah ! Le Harak est apparu plus cohérent que vacciné : s’il s’est défait des intrus et affirmé sa capacité à continuer, il n’est pas encore à l’abri des intrigues.  Avec le Harak, le peuple, parvient brillamment à relever le défi contre l’oubli et contre les préjugés. Le Harak politique qui draine  un puissant mouvement en « silmya majeure », difficile à évaluer en effectifs et en intentions, mais dont les objectifs et les méthodes ne conviennent guère au maintien du statuquo, a fait trembler la main de l’Etat et plonger une partie du monde intellectuel dans la repentance. La dynamique du Harak , saura obliger « la peur à changer de camp » et  le pouvoir  illégal à relire ce qu’il ne veut lire et à parler un langage qu’il évite. La réalité qu’elle nous aiderait à approcher n’est pas encore à la portée de la perception politique immédiate.  Le Harak apparait donc comme un trésor politique difficile à définir, mais un peu fragile, avant d’être inestimable.   Il a réussi, pour cela, à cristalliser certaines thèses de l’action politique  dans une pensée en progression continue, sans manquer, parfois, de les stimuler. Il faut surtout savoir observer, dans son unité, sa diversité, pour faire apparaître la fécondité de son apport qui va bien au-delà de la séduction immédiate qu’exercent souvent les révolutions. Un Harak, aussi original et inspirant, est, sans doute, une innovation dans la contestation sociale et politique, dans le contexte de la modernité et de la mondialisation, dans ses conditions et dans ses conséquences. Il faut dire que la forte participation au Harak assurera de nouvelles avancées démocratiques et fixera leurs bases. Il suffit de passer par une lecture approfondie de son corpus, dorénavant, exhaustivement visible par réédition, et l’interpréter à partir d’une idée forte de la liberté.

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