Un des recueils d’articles de Bennabi fut intitulé « mondialisme », concept  que nous pensons avoir été forgé par Bennabi entre 1949 et le début 1951 (le dictionnaire date l’apparition du terme en 1950), parce qu’il est une des idées-forces qui irrigue une bonne partie des articles qui constituent cet ouvrage.

Les but du mondialisme est de mener « vers une civilisation humaine » où la contribution des grandes cultures qui façonnent l’actuelle humanité est requise.

Si nous pouvions sérier et quantifier les emprunts que fait le Musulman, la grande question est quelle peut-être sa contribution à la construction de la « maison commune » où dynamisme social se conjugue avec justice sociale et dignité humaine. Et notre « médecin de la civilisation », selon le mot heureux emprunté à Nietzsche, d’écrire dés 1951 : « Et dans une société ainsi rénovée, les valeurs ne se séparent pas, ne s’opposent pas, la spiritualité et la technicité, l’ordre métaphysique et l’ordre physique, la finalité et la causalité, l’esprit et le corps ».

Mais pour assumer « son rôle » et délivrer « son message », le Musulman est tenu de se réformer, d’éliminer les « facteurs internes »  et les « facteurs externes » qui le mettent en dehors de l’histoire, de se débarrasser de la « colonisabilité » et ne pas être la proie de la « lutte idéologique ».

Tout au long de son œuvre, Bennabi a voulu déterminer la voie étroite, et ô combien difficile pour re-missionner le Musulman, pour en faire un des principaux agents du mondialisme : sa place ainsi retrouvée ne pourra être, dans les conditions de l’esprit coranique, que bénéfique à l’ensemble du genre humain.

Le « problème des problèmes »  est de créer les conditions d’une dynamique sociale, de libérer  les énergies individuelles en leur donnant toute leur efficacité dans une synergie collective.

Bennabi a ausculté les tréfonds de l’âme musulmane pour déterminer le « point d’appui » du levier d’Archimède.

Il ne fut ni un historien, ni un économiste, encore moins un théoricien  politique ou un adepte d’une théorie sociale mais fut à la fois un philosophe de l’histoire, de l’économie, de la  sociologie et de la politique en nous dévoilant les finalités de ses domaines de l’activité humaine. Contre le cartésianisme  (mais pas contre Descartes), il rétablit le primat de la finalité sur la causalité.

Il fut attentif, des les années trente, au moindre frémissement de la pensée et de l’action islamique, comme le début de l’aventure wahhabite de la jeune dynasties saoudienne qui représentait, à l’époque, la volonté de changement contre la  stagnation du régime de l’Imam Yahia au Yémen.

Après la seconde guerre  mondiale, les tentations de régler la questions agraire dans les pays musulmans, aux régimes politique différents comme la Syrie , le Pakistan ou l’Iran, furent pour lui, un signe de la volonté de ne plus subir l’événement mais de prendre en charge son destin, de ne plus  accepter une situation catastrophique mais d’être maître, humainement, de son avenir.

Bennabi décrit la révolution égyptienne du 23 Juillet 1952 comme le transfert du pouvoir des mains d’une direction démagogique vers  une direction technique, malgré les préventions qu’il avait contre Nasser (il avait comparé dans ses mémoires le sourire de Néguib au rictus de Nasser).

Il ne devait jamais se départir de cette attitude de soutien  critique envers les régimes, égyptien ou plus tard algérien, tant qu’ils affichaient leur volonté de lutter contre les tares de l’homme post-almohadien, dans tous les domaines de sa vie sociale, politique et économique.

Ce soutien critique se concrétisa, en Egypte, de 1956 à 1963, et en Algérie de 1963 à sa disparition par une  série de conférence d’abord et surtout par sa fameuse tribune dans Révolution Africaine à partir de 1965, où il écrivit plusieurs dizaines d’articles, où il s’érigea comme l’éclaireur du chemin à emprunter pour mener l’opération de civilisation (ou comme on le dit plus prosaïquement de développement) à bon port.

Dans ses écrits, il offrit un cadre conceptuel à des régimes en mal  d’assise philosophique où l’air du temps et le prêt à penser cachaient  mal l’indigence intellectuelle, en expliquant par exemple  que le socialisme (ou plutôt l’économie dirigée ou planifiée) et la pratique du parti unique ne pouvaient être acceptés, dans la phase de formation sociale, que comme modalités opératoires pour mobiliser  rapidement les énergies collectives.

Par les nombreux exemples qu’il offrit à méditer, sur la Chine et le Japon, l’Allemagne de l’Ouest et celle de l’Est, il mit en garde contre la valeur exemplaire de ses méthodes car le dynamisme de ces pays ne pouvait s’expliquer par leur système social puisqu’ils s’opposaient. Ainsi le véritable levier était à rechercher dans la valeur de la culture de ces quatre pays.

Bennabi ne fut pas écouté ni par les dirigeants arabes ni par la majorité de l’élite.

Son rôle fut celui d’éveilleur des consciences et des esprits et il avait aussi le sentiment d’écrire pour l’avenir.

A notre sens, lorsqu’il donna comme titre, à son recueil des articles dont nous avons parlé plus haut et qui furent écrit de 1965 à 1968 dans Révolution Africaine, entre la rectitude et l’égarement , il avait dans l’esprit la rectitude des idées qu’il proposait pour la constitution d’une société civilisée et l’égarement des dirigeants et des élites qui ont fourvoyé notre pays dans une inextricable situation.

Abderrahman Benamara
30 juin 2004

Comments are closed.

Exit mobile version