L’écriture du docteur Abdelaziz KHALDI relève de la grande tradition de l’Esprit français. Esprit forgé au XVIIe siècle, consacré au XVIII e siècle, a brillé au XIXe siècle et a jeté ses derniers feux jusqu’à la fin de la IV eme République.

Amoureux de bons mots, de la formule qui fait mouche, KHALDI a mis sa verve et sa plume au service de la grande cause de l’Algérie arabo-musulmane en particulier et du monde musulman en général.

Servi par une immense culture, KHALDI se fera idéologue et doctrinaire nourri à la pensée de son ami Malek BENNABI mais aussi polémiste et pamphlétaire, luttant avec acharnement et humour contre toutes les fausses idées et les louches personnages. IL traque sans relâche « l’inintelligence et  la bassesse».

Mais c’est surtout cette dernière facette de son écriture qui le caractérise le plus.

Il va donner au pamphlet ses dernières lettres de noblesse surtout lorsque  son art atteindra sa pleine maturité de 1965 à 1972, année de sa brutale disparition alors qu’il avait à peine cinquante quatre ans.

Le pamphlet, de l’anglais qui signifie « palme-feuillet », feuillet qui se tient à la main, est un court écrit. Toute l adresse, tout le génie du pamphlétaire est de dire avec brio et en quelques lignes le condensé d’une idée, d’une pensée.

Pierre DOMINIQUE, un des derniers polémistes Français  qui a consacré un ouvrage à ses prédécesseurs, résume, à la manière de son art, en une formule la carte d’identité de ce genre littéraire : «  La polémique est un combat et le pamphlet est une arme ».

On a souvent reproché à KHALDI le fait de s’en prendre nommément à des personnes bien que souvent il a fustigé plutôt un type d’hommes, un exécrable comportement. S’en prenant à ce qu’il nomme les transhumants, cette bizarre classe d’hommes venue d’Europe pour aller prêcher la bonne parole aux pays nouvellement indépendants et qui ne dédaignent pas de s’en mettre plein les poches, à la recherche d’un gras pâturage : « D’une manière générale, il ne veut pas paraître pour mieux s’insinuer ». Et de ruiner définitivement son œuvre : « Mais le transhumant ignore que pour orienter, et du dehors, un peuple, il faut avoir une certaine générosité dans l’âme, et dans l’esprit quelque grandeur ».

Dans le combat idéologique qui fût le sien, il n’eut de cesse de lutter contre tous ceux qui ont mis leur science au service de desseins inavouables ou d’iniques causes : « Elle (l’ethnologie) n’exprime plus les élans du cœur ou les tourments de l’esprit mais trahit la combine parlementaire » ou encore : «  L’orientalisme s’est longtemps compromis avec le colonialisme pour ne pas garder encore quelques relents ».

Et contre les nouveaux croisés qui n’ont même plus le prétexte de la foi : « Jadis, le désert inspirait les poètes, maintenant il fait entrer en transe les pétroliers et les aventuriers ».

Il réserve ses piques les plus acérées contre le colonialisme et la colonisabilité : « C’est la phase assimilationniste avec ses kaoueds   (mouchards), ses élus préfabriqués et ses « élites indigènes » dont il (le colonialisme) fera des chaouchs pour sa mission civilisatrice ».

Dès qu’il flaire la moindre trahison, sa plume devient féroce : «  L’hyène se lasse si peu de la charogne que certain « fequihs »   de la haute trahison ».

Notre médecin joue sur plusieurs registres de l’humour sans oublier celui pince-sans rire, presque britannique. N’oubliant pas sa profession, il fustige la tendance, à l’indépendance, de former des médecins au rabais sous prétexte du manque crucial de praticiens : « Car en « fabriquant » ainsi une série de médecins « abrégés », on pourrait  espérer parvenir à coup sûr à abréger la vie de nos malades petits ou grands. Assurément, il n’y avait pas de quoi rire ».

Le pamphlétaire peut-il éviter de s’attaquer directement aux personnages qui symbolisent à ses yeux les tares qu’il combat ?

Laissons d’abord Pierre DOMINIQUE répondre : « Que de fois (…) des directeurs m’ont dit : « écrivez ce que vous voudrez mais ne vous en prenez pas aux personnes (…)  Or, on ne sent vraiment devant soi la sottise, la méchanceté etc…, on ne se trouve donc dans l’obligation de leur envoyer un pli- un article, un pamphlet- que s’il y a de ces magnifiques vices à figuration humaines. S’en prendre à l’Injustice, cela ne mène à rien, à l’Injuste cela mène au moins à des exécutions qui  peuvent être admirables ».

KHALDI, quant à lui, issu d’une société longtemps dominée, une société qui n’avait plus aucune prise sur son destin, avait à cœur de contribuer à sa régénérescence, à sa renaissance. Toute son action était tendue vers ce but. L’immolation des louches personnages, de ceux dont les travers pouvaient être nuisibles à cette volonté de renaissance, avait une valeur éminemment éducative. Pour reprendre Pierre DOMINIQUE : « Le plus souvent, le polémiste n’est pas mené par le souci de nuire, mais par le besoin du combat, de l’action ».

Et KHALDI aurait pu ajouter que ce combat est essentiellement social, voire civilisationnel.

Il n’écrivait pas simplement pour le plaisir d’écrire, bien que nous sentons dans ses pamphlets cette joie gourmande de ciseler les mots destinés à faire mouche, mais se sentait investi d’une haute mission assimilée à un véritable sacerdoce : «  Ce billet (est) d’ordinaire consacré à abattre un  coup de cravache sur le vilain museau de quelque canaille(…) D’abord un distinguo : Comment situer le polémiste par rapport à la canaille qu’il flagelle ? L’un porte sa cause dans son âme, l’autre dans son ventre ou son bas-ventre (…) Le polémiste est l’homme du refus, de la révolte l’autre un «  béni oui-oui » incurable, voire contagieux pour sa progéniture ».

Et notre pamphlétaire de croquer toute une série de portraits après avoir décrit un « précis de la méthode » : « …puisque nos pécheurs ne veulent pas aller à la confesse, allons nous-mêmes dans les profondeurs de leurs tripes pour leur arracher les vérités enfouies ».

Et les personnages de défiler sous nos yeux amusés : «  C’est un personnage hors-série : coriace dans la « continuité », éclectique dans les « ouvertures », il colle à toutes les conjonctures avec sérénité ».

« Il siège maintenant au conclave des « Invisibles » tout en poussant des pseudopodes vers les sphères de l’œcuménisme œsophagien ».

« …celui qui à défaut de se faire comprendre, sait au moins se faire entendre ».

« …après le triomphe d’un jour, sonne le glas du néant ».

A la suite de ses illustres prédécesseurs, comme Rivarol : « Les vrais représentants d’une nation ne sont pas ceux qui font sa volonté du moment, mais ceux qui interprètent et suivent sa volonté éternelle », ces billets ont l’accent des grands visionnaires,  de ceux qui embrassent l’Histoire d’un regard d’aigle : « Si l’héroïsme se mesure à la grandeur du dessein et à la petitesse des moyens, on doit admettre qu’il y eut d’innombrables héros parmi nos combattants ».

Ou à la hauteur d’un Chateaubriand : « …entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand soutenu par M. Fouché », par une saisissante phrase il décrit la vision infernale d’un crime : «  Plus sadique, plus froid, plus barbare qu’un crime nazi, (le) crime (sioniste) est aussi un sacrilège ».

Nombre de ses phrases sonnent comme des aphorismes qui s’impriment à jamais à l’instar d’un autre de ces polémistes Français qui ont marqué le genre de leur empreinte comme Benjamin CONSTANT : « Avec la presse, il y a quelquefois désordre ; sans la presse, il y a toujours servitude ;  et dans cette servitude, il y a désordre aussi, car le pouvoir illimité devient fou ».

Et KHALDI de nous enseigner : «  La propagande, c’est le dénigrement caricatural d’autrui » et aussi : « On crée la diversité pour faire diversion ».

Si le docteur KHALDI peut être considéré comme le dernier pamphlétaire c’est que cette veine d’écrivains, cette race de combattants s’est pratiquement éteinte dans son pays, la France. Pierre DOMINIQUE en incrimine la mort de la presse de combat pour la presse d’information. Mais cette explication nous semble un peu courte. Nous avons l’impression que la sève qui nourrissait  les esprits, en France comme dans le reste de l’Occident, a perdu de sa vigueur : Les enjeux politiques, économiques et sociaux ont perdu de leur intensité face au penser politiquement correct qui sévit depuis quelques lustres. Ajoutons à cela la marchandisation de l’information, la prise de contrôle par les pouvoirs économiques privés de la majeure partie de la presse et l’imposition d’une ligne éditoriale où tous se retrouvent dans un consensus décidé dans des cercles occultes.

KHALDI a commencé sa carrière d’écrivain en 1946 avec son essai sur le problème Algérien devant la conscience démocratique. Essai écrit après sa sortie de prison suite aux massacres perpétrés par les troupes d’occupation le 08 Mai 1945. Cet essai, emprunt d’un humanisme généreux allait laisser place à un homme de combat qui a vite compris que l’occupant n’avait nullement l’intention de changer réellement son système inique et oppressif. Il commence aussi à collaborer par des articles doctrinaux à la presse nationaliste, la République Algérienne et le Jeune Musulman. Mais déjà, en 1950, il avait perfectionné son art de pamphlétaire où dans une description satirique, il décrit l’homme façonné par l’administration toute puissante de l’Algérie occupée et il le nomme l’homme naegélien du nom du proconsul Français de l’Algérie de l’époque, spécialisé entre autres, dans la fraude électorale à grande  échelle : «  On l’adule, on le flatte, son loyalisme rampant lui assure les sièges et la fortune …On reconnait ce personnage à sa stupidité , à sa rutilante traction avant, à son sabirisme débordant(…) Il se dandine pour se donner  une démarche avantageuse, il pérore beaucoup, il gloutonne davantage. Il est pris de hâte en tout (…) L’homme naegélien est plus qu’un symbole. C’est l’image parfaite d’un régime croulant et, à ce titre, nous saluons son sacre… »

Pourquoi notre polémiste n’a pas continué dans cette voie qui allait faire sa fortune littéraire dans les dernières années de sa vie ? Peut-être à cause de l’adversité d’une Administration cruelle et sans scrupules et qui veillait au grain avant 1954 ?

Notre docteur savait aussi rendre hommage aux hommes de mérite comme Abdelhamid BEN BADIS, Edgar SNOW qui a beaucoup fait pour le rapprochement  sino-américain ou le général de GAULLE dont il dit : « Alors que le politicien ordinaire vasouille, cafouille et bafouille, lui se distingue par la lucidité, la clarté et l’ampleur exceptionnelle du style ».

Nous laissons le mot de la fin à Pierre DOMINIQUE qui rend hommage au polémiste et que nous faisons nôtre pour le docteur Abdelaziz KHALDI : « …grand par le seul fait du combat mené comme Prométhée contre l’Invincible ».

Abderrahman Benamara
12 Mai 2009

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