Ci-dessous une théorie générale du prétendu « refroidissement » franco-marocain et de sa salutaire dissipation. Des œuvres une « pointure » du CNRS.

Dans cette longue explication contorsionnée, il manque trois acteurs, sans lesquels les honorables lecteurs auront été proprement entubés :

1. Les parrain américain qui contrôle et modalise tous les échanges entre la France et ses anciennes colonies maghrébines ou africaines. Dans l’ombre, l’Oncle Sam veille – et il en a les moyens – à ce que ses feuilles de routes soient scrupuleusement suivies.

2- Ce contrôle se double d’un deuxième « protecteur », le parrain israélien. Dans « l’Empire chérifien » les sionistes (israéliens, français, européens ou américains) y sont comme chez eux. Le Mossad y a ouvert depuis longtemps des succursales. Ce sont ses agents – a-t-on appris récemment – qui ont traité l’affaire Ben Barka.

L’économie, les finances, le tourisme… et même l’agriculture, sans oublier toutes sortes de trafics, y compris celui des armes et du chanvre indien, sont encadrés par des « familles d’élus » qui régentent toutes les transactions méditerranéennes qui vont de ce royaume de carton-pâte à la Jordanie, en passant par la Ghriba, Alexandrie et le Caire.

3. Le troisième larron est une bande de truands de luxe. D’anciens chameliers devenus en moins d’un siècle, par les hasards de la géologie, des nababs qui donnent l’impression – par les vertus d’un système médiatique occidental aux ordres – de faire la pluie et le beau temps au Proche Orient et en Méditerranée sud-orientale.

Alors qu’ils ne sont plus que ce qu’ils n’ont jamais cessés d’être depuis Sykes-Picot : le tiroir-caisse de la face abominable de l’Empire.

C’est ce même tiroir-caisse qui finance les déficits chérifiens. Et c’est le Maroc qui représentait les intérêts diplomatiques français au Yémen, juste avant de partir à son tour et de bombarder ce pays avec ses F16.

Dans cet environnement strictement balisé, la pauvre petite France hollando-sarkozienne pèse du poids de ses enflures. Ses élites se paient de mots et ses extrêmes d’illusions.

On raconte des fadaises au petit peuple de France à le présenter comme maître de son destin. Il y a la com et il y a les faits. Et les faits sont terribles.

La France ressemble à s’y méprendre au Château de Versaille. Des millions de touristes le visitent, persuadés d’entrer chez Louis XIV. Mais personne ne prend soin de leur expliquer qu’il s’agit là d’un travestissement des œuvres de la Monarchie de Juillet et plus particulièrement de Louis Philippe, ce mercaticien en avance sur son temps.

C’est une mise en scène qui date du XIXème siècle, à l’époque où les monarques jouent aux monarques et Louis Philippe à Louis XIV. En faisant l’impasse sur la Révolution Française, l’Empire, Trafalgar et Waterloo. Aujourd’hui, c’est Sarkozy et Hollande (et même la Marine à voile et à vapeur) qui se prennent pour de Gaulle.

La République n’est même plus réduite aux acquêts. Il ne reste plus que le bruit des mots : socialistes et sarkozien se battent la « République », ils se chamaillent pour les mots. Creux.

Pour résumer le propos : il ne peut être question de « refroidissement » entre deux serviteurs de l’Hyperpuissance. Au plus ne peut-il être question que de maladresses, de fonctionnaires zélés ou naïfs, de règlement de compte entre ego infantiles.

L’auteur de ce papier que je vous joins (scrupuleusement, comme d’habitude pour que vous puissiez vérifier et expertiser mon interprétation) prêche pour sa paroisse.

Directeur de recherche au CNRS, PACTE UMR 5194/Université internationale de Rabat

De nombreuses universités françaises pour maintenir des formations ou des laboratoires favorisent ouvrent leurs inscriptions (celles d’étudiants du Maroc ont explosé ces dernières années) à tous ce qui reste de la francophonie dépenaillé.

Et il est un autre fait que la grande majorité des étudiants étrangers en France ne viennent pas de Scandinavie, de suisse, d’Amérique du Nord, du Japon ou d’Australie.

Les enfants des élites françaises dédaignent l’université, ramassis de tous les futurs chômeurs diplômés de l’Hexagone. Ils visent les classes prépa, les Grandes Ecoles et ceux (élites d’entre les élites) qui sont amenés à diriger la future province de l’Empire, c’est aux States qu’on les envoie.

Ce n’est pas tellement différent de ce que nous observons chez nous.

L’arabophonie monolingue inculte pour le bon peuple (même si cela change, un peu), et les Ecoles privées ou les universités européennes pour les moutards des dirigeants.

Le Maroc, lui préfère se débarrasser complètement de tout ce qui peut lui faire de l’ombre : ouste, dehors !

Si les intellectuels, ces cervelles molles qui adorent s’écouter parler, étaient aptes à faire la révolution, ça se saurait depuis longtemps.
Evidemment, ce n’est pas de ce côté-là que viendra le changement radical, mais bel et bien de la multitude qui peuple les bidonvilles de Rabat, de Casa ou de Tétouan. Mais aussi de toutes ces banlieues de l’univers méditerranéen.

Tout aussi évidemment, ces changements hivernaux n’annonceront pas le « printemps », ne sentiront pas le jasmin et ne seront précédés ni par des écrivains primés, ni par des blogueurs ni par des Pussy-Riot.

Djeha
17 mai 2015

France-Maroc : une relation familière
 
Jean-Noël Ferrié, Telos, mercredi 6 mai 2015

Le refroidissement des relations franco-marocaines lié à la convocation du directeur général marocain de la Sécurité intérieure par un juge d’instruction, lors de sa venue à Paris pour une réunion au ministère de l’Intérieur, le 20 février 2014, a pris fin le 31 janvier dernier. A cette occasion, des « spécialistes » du Maroc appellent à une normalisation de la relation franco-marocaine, souhaitant la sortir de cette « exceptionnalité » qui la qualifierait. Mais faut-il vraiment normaliser cette relation? Le mot apparaît vertueux, mais la chose l’est-elle pour autant?

La relation franco-marocaine, que nous connaissons aujourd’hui, est née d’un épisode colonial relativement court (1912-1956), qui présente la particularité d’avoir été structurant sans être déstructurant. Le Maroc est un pays qui se modernise rapidement mais change lentement. Au moment de l’indépendance, il apparaît, pourtant, très différent de ce qu’il était lors de l’instauration du Protectorat. Cette différence, découlant de l’action de celui-ci, est bien moins l’objet d’un contentieux, comme ce fut et c’est encore le cas avec l’Algérie, que d’une réappropriation par – pour le dire vite – les élites du pays, mais pas uniquement. Elle est devenue constitutive d’une communauté franco-marocaine. C’est un socle dur. Les relations entre la France et le Maroc se sont développées, complexifiées, mais cette communauté est demeurée. L’usage du français, bien que globalement en régression, est encore suffisamment important pour que les échanges, politiques, économiques, culturels ou simplement touristiques, soient aisés.

Avoir su composer avec l’histoire apparaît ainsi comme la grande force de la relation franco-marocaine. Ce n’est, toutefois, pas la seule. Les relations économiques sont étroites et, parfois, collusives, comme c’est toujours le cas lorsqu’elles sont étroites. Les relations politiques et diplomatiques sont nombreuses, soit directement, soit parce que le Maroc est engagé dans un partenariat avancé avec l’Europe. Un aspect important des relations politiques et diplomatiques tient au soutien que la France apporte au Maroc, en ce qui concerne le Sahara occidental. La France n’est pas le seul pays à soutenir la position marocaine, et, bien que son soutien soit constant, il n’est pas inconditionnel. Si l’on considère les choses froidement, c’est-à-dire en termes de raison stratégique, c’est une position raisonnable dans une région de plus en plus troublée. L’ensemble de la région saharienne est, en effet, une zone de conflits et de trafics multiples plus que partiellement incontrôlée, comme l’a notamment montré la crise malienne. Le danger peut facilement remonter vers le nord. Il peut donc paraître préférable de préserver l’insertion du Sahara occidental dans un cadre étatique existant et stabilisé. Le soutien de la France à la position marocaine ne doit donc pas être simplement expliqué par l’intensité de la relation entre les deux pays. Il s’explique aussi, pour une large part, par la prise en considération des risques ; aujourd’hui, ceux-ci ont considérablement augmenté.

C’est d’ailleurs cette situation de risques qui a permis de mettre un terme au refroidissement (par ailleurs sélectif) des relations franco-marocaines. L’origine de ce refroidissement est un incident diplomatique survenu il y a plus d’un an. Une ONG française a profité de la présence en France, à l’occasion d’une réunion au ministère de l’Intérieur, du directeur général de la surveillance du territoire, Abdelatif Hammouchi, pour obtenir d’un juge d’instruction que celui-ci soit convoqué à une audition, au motif qu’il aurait été complice de faits de torture. La convocation a été portée à la résidence de l’ambassadeur du Maroc par une demi-douzaine de policiers.

A partir de là, deux questions relativement séparées se sont posées, celle des réparations diplomatiques et celle de la sécurité des personnalités marocaines se déplaçant en France.

La question des réparations diplomatiques est aisée à comprendre. Quel Etat trouverait tout simplement normal qu’un de ses hauts-fonctionnaires, situé au cœur de son appareil régalien, puisse être menacé d’arrestation alors même qu’il se rend dans un pays ami pour une réunion de coordination sur des dossiers sécuritaires communs ? Probablement aucun. Le fait que la convocation puisse être juridiquement fondée ne change rien à l’affaire. La réponse française à l’incident a été relativement rapide, le président de la République ayant, peu de temps après, téléphoné au roi du Maroc afin de lui apporter « des clarifications ». Toutefois, les protestations d’amitiés n’ont pas été à même de dissiper un doute tenace se résumant à la question : comment cela a-t-il pu être possible ? Le doute a probablement été augmenté du fait que l’expression des regrets et les protestations d’amitiés n’ont été accompagnées d’aucune mise en cause publique – pour des raisons qui peuvent, d’ailleurs, se comprendre – de l’un ou l’autre participant à la chaîne de décision ayant amené les policiers à la porte de la résidence de l’Ambassadeur du Maroc. En somme, le geste était regrettable, mais il n’était pas, du moins au sens exact du terme, fautif. S’il n’était pas fautif, il pouvait donc se reproduire.

La discorde s’est donc déplacée de la question des réparations diplomatiques à la question de la sécurité des déplacements en France des personnalités marocaines. Il ne s’agissait plus de réparations mais de prévention. C’est pour cela que le refroidissement s’est très rapidement concentrée sur la convention judiciaire franco-marocaine. De fait, la reprise des relations judiciaires franco-marocaines a été précédée, le 31 janvier, par un accord sur l’amendement de cette convention faisant obligation à la justice française d’informer immédiatement la justice marocaine de toute procédure ouverte en France visant un ressortissant marocain pour des faits notamment commis au Maroc. Dans ce cas, si la justice marocaine se saisit de l’affaire, les magistrats français devront prioritairement s’en dessaisir. Ce dispositif a pour but évident d’empêcher la survenue d’un nouvel incident Hammouchi.

Est-ce que l’incident en question nous a appris quelque chose de particulier sur la relation franco-marocaine ? Oui et non. Il y a déjà eu des brouilles mémorables entre les deux pays, depuis l’affaire Ben Barka, sous la présidence du Général de Gaulle, jusqu’aux relations conflictuelles de la présidence Mitterrand, provoquées notamment par l’activisme de l’épouse du chef de l’Etat. Ce qui est notable, en fait, c’est que les brouilles se résolvent toujours et de manière pragmatique. Pourquoi ? Parce qu’il y a, entre la France et le Maroc, trop de relations fondamentalement satisfaisantes pour que les choses puissent aller bien loin et, à cause de cela ou pour d’autres raisons, parce que les acteurs de ces crises ne poursuivent pas des buts irrationnels. En soutenant la position marocaine sur le Sahara occidental, la France ne se borne pas à satisfaire un allié ; elle soutient une conception acceptable de la stabilité régionale. Quand le Maroc boude la France pendant presque un an, ce n’est pas afin d’obtenir une réparation excessive mais de prévenir la répétition d’un incident.

Bien sûr, l’incident révèle à quel point il est important pour les élites marocaines de pouvoir se rendre en France en toute sérénité ; mais ce point implique-t-il nécessairement des transactions collusives entre les élites des deux pays ? On ne cesse de rappeler ou de feindre de découvrir que tel ou tel homme ou femme politique français a des relations avec le Maroc comme on ne cesse de souligner les intérêts français des personnalités marocaines. En isolant ces faits du reste des flux reliant la France au Maroc, on finit par leur donner une étrangeté qu’ils n’ont pas.

C’est un fait, le Maroc a politiquement et économiquement beaucoup d’affaire à traiter avec la France, il est donc normal que les dirigeants marocains se soucient de pouvoir y aller et en revenir facilement. Ces flux limités ne sont, toutefois, qu’une partie des flux qui unissent les deux pays. Il y a une émigration marocaine importante en France ; cette émigration est un sujet d’intérêt commun. Il y a aussi une émigration française, sans doute plus limitée, mais bien réelle au Maroc. Des Français viennent s’y installer, y créent des entreprises, y travaille dans des entreprises marocaines, y passent leurs retraites. Il y a également un nombre non négligeables de mariages entre les ressortissants des deux pays et un nombre non moins négligeable de binationaux. Ces flux ne concernent pas, loin de là, que les élites, même s’ils les concernent aussi. Ils concernent tout autant les classes populaires que les classes moyennes. A certains moments de l’année – durant les vacances d’été, notamment – il y a beaucoup d’immatriculations françaises sur les routes du Maroc. Ce sont des Marocains de France qui viennent passer leurs vacances, renouer avec leurs familles – ou des touristes français. On écoute la télévision française au Maroc, des mots de français se glissent dans la darija (l’arabe marocain), même chez ceux qui ne parlent pas cette langue. La politique française est souvent commentée, certains présidents sont préférés à d’autres. Les élites en parlent, mais pas seulement les élites. L’année dernière, 18 000 jeunes marocains ont déposé un dossier à Campus France afin de faire des études supérieures en France. Des grandes écoles françaises s’installent à Rabat et à Casablanca. Le fait substantiel, dans tout cela, ce n’est donc pas le cousinage des élites dirigeantes mais la familiarité qui s’est établie entre les deux pays. Sans doute, cette familiarité est-elle plus forte, vue du Maroc que de France, mais elle n’en est pas moins existante de part et d’autre. C’est cette familiarité qui structure en premier lieu la relation franco-marocaine et dont découle la proximité des élites des deux pays. Inverser l’explication c’est, tout simplement, ignorer un fait sociologique et se condamner à ne voir l’histoire que par le petit bout de la lorgnette.

Tout ceci va ainsi bien au-delà du fait de savoir si le précédent ou l’actuel souverain du Maroc s’entendait ou s’entend mieux avec tel ou tel président français. Le propos est à peu près aussi vain que de s’interroger sur les relations de Mme Merkel avec l’actuel président, comparées à ses relations avec l’ancien. Ce qui fait qu’il y a une relation particulière entre la France et l’Allemagne, c’est d’abord qu’il y a une large communauté d’intérêt entre les deux pays et un point de départ historique que l’on ne saurait négliger. Pareillement, ce qui fait qu’il y a une relation étroite entre la France et le Maroc, c’est qu’il y a une large communauté d’intérêts entre les deux pays et que cette communauté est soutenue par une large familiarité née de l’histoire. Normaliser cette relation, ce serait forcément en rabattre, en profondeur, sur sa qualité. On ne voit pas qui en profiterait vraiment.

Jean-Noël Ferrié Directeur de recherche au CNRS,
PACTE UMR 5194/Université internationale de Rabat

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