Un dicton célèbre veut que « le ridicule ne tue pas ». Pour le régime algérien, ce dicton est une règle d’or. Et autant dire que cela lui va bien, puisqu’il survit à la moquerie. C’est, de toutes les façons, dans cet ordre de logique qu’on a eu, récemment, un ensemble d’évènements aussi déroutants que saugrenus. C’est surtout la trame rocambolesque (qui se dessine une fois ces évènements liés) qui, finalement, fait sens. Pour commencer, et de plain-pied, l’inauguration de l’usine Renault (de quoi réveiller les nostalgiques de l’usine d’El-Harrach et son modèle « MINA » pendant les années 1964/65, et autres garages Ducros à Oran). Dans la même foulée aussi : fabrication de la première voiture made in DZ, sous le slogan surmédiatisé « Dernaha Djazaïria » (On l’a réalisée algérienne). S’en est suivi, aussitôt, le crash d’un MIG 25. Et, pour terminer, des drones au nombre de quatorze (sic) auraient espionné la Présidence.

Une remarque, qui sera le fondement de notre réflexion : le point commun entre ces évènements est la prégnance du rôle technique, à travers une dimension mécanique où le moteur est au centre de l’action politique. En réalité, il semble que la dimension technique, une fois appuyée de la sorte, annonce le début d’une nouvelle posture politique. On le voit à travers la mise en avance d’un exploit technique (l’usine d’automobiles), qui, à son tour, met en abstraction les déroutes de l’application du pouvoir (un président immobile, rendu mobile grâce à une mobylette), même si la mauvaise gestion étatique est aussitôt rattrapée par le même argument qui est sensé lui prêter main-forte (crash du drone).

Vice de forme

Pour comprendre cette dynamique, il conviendrait, tout d’abord, de contextualiser les évènements.

L’usine d’automobiles, à Oued Tlilat, banlieue oranaise, fut inaugurée lors de la visite du président français F. Holland en Algérie (décembre 2012). Lors de la signature des accords de coopération, il été convenu que l’usine soit juridiquement conforme à la loi algérienne sur les partenaires étrangers (c’est-à-dire, détenue à 51% par l’Algérie et à 49% par le partenaire, ici, la France). Jusque-là, au niveau de la forme, l’usine a tout d’algérienne.

Néanmoins, un survol rapide, de l’historique récent, nous situe mieux dans le contexte, pour nous montrer que la réalité n’est pas ce qui est donné à voir au prime abord. Le premier élément est que, lors de la visite de F. Holland, il était conclu que l’Algérie offre le site oranais de l’usine gratuitement à la France qui sera, par la même occasion, exonérée de la TVA et de la TVN. Le tout, avec la garantie que les stocks de voitures seront vendus sur le marché (à sous-entendre, quoi qu’il en soit des erreurs techniques).

Le deuxième élément, c’est l’usage, par L. Fabius (ministre français des affaires étrangères, lors de sa déclaration de presse au sujet de la nature de la coopération entre Paris et Alger) de la qualification de « coopération triple A », usant ainsi du jargon habituellement utilisé par les agences de notation financières (rappelons-nous, parallèlement, que ces agences ont pénalisé les banques françaises en leur ôtant leur « triple A »). Comme si L. Fabius nous expliquait que la France perdant son triple A financier, le récupère par un triple A économique, en/par l’Algérie. Le soulagement des syndicats français (Force Ouvrière à travers son S-G : J-C Mailly) est à ce titre très significatif, surtout si on tenait compte des difficultés de l’usine-mère Renault à augmenter sa très faible croissance dans un marché européen en crise – suivi par la baisse de son capital, ce qui a abouti logiquement au licenciement d’un nombre considérable de son personnel –.

Le troisième élément, est la précision apportée par la presse française. Le quotidien Le Monde du 11octobre 2014, nous explique que ces voitures sont : « équipées à 40% de pièces en provenance de France. Alors que de sa part l’hebdomadaire « Le Canard Enchaîné » du 11 octobre rajoute (pour le reste du pourcentage) que la Renault algérienne devrait « faire un petit détour par la Roumanie […] avant de revenir en Algérie ».  Tout semble expliqué, parce qu’à moins de 5% d’intégration, le produit est de toute évidence loin d’être algérien. Clairement, c’est un produit assemblé par une main-d’œuvre algérienne (bon marché), dans l’intérêt exclusif de l’économie française.

Vice de Fond

C’est connu, la « Renault Symbol », est une sous-version de la Dacia Logan. C’est surtout un véhicule destiné au marché intérieur algérien, à la différence, par exemple, de l’usine Renault de Tanger qui exporte le même modèle, dans les pays sous-développés. La question qui reste cependant suspendue : Pourquoi la « Renault Symbol » est interdite de commercialisation en France, et interdite même de circulation ?

Laissons de côté l’usine et la Renault.

Concernant le crash du MIG 25 près de Tiaret, à vrai dire, il n y a pas beaucoup d’explications à chercher, puisque, tout simplement, il s’agit d’un modèle tellement désuet qu’il devait être retiré du service. La seule chose qui peut être soulignée est qu’il s’agit là du quatrième crash d’un appareil militaire en l’espace de quelques mois. Dès lors, l’interrogation qui se pose est la suivante : Comment expliquer que, dans un régime militaire, il y ait autant de défaillance, dans l’équipement militaire ? Question cruciale si on tenait compte que le budget du ministère de la défense y est fixé à 13 milliards de dollars pour l’année 2015 (budget public). En outre, comment se fait-il que plus il y a de défaillances techniques militaires, plus on nous montre une excellence technique civile, alors que l’infrastructure lourde et l’industrie ne représentent que 5% du PIB ?

Une nouvelle stratégie politique

Puisque les prix affichés de la « Renault Symbol » semblent déjà hors de portée du citoyen ordinaire. Et puisque les récits d’un avancement technologique ont tout d’un fabliau. L’explication ne serait envisageable que sur un mode symbolique. D’ailleurs, rien que par son nom : « Symbol », et par son statut (commercialisée en Algérie et dans les pays sous-développés), l’objet « voiture » nous pousse à interroger la dimension extra-technique, où l’élément « moteur » serait en effet plus politique que technologique. Autrement dit : toute cette mise en scène (très mal ficelée d’ailleurs), semble être l’inauguration d’une nouvelle stratégie politique, qui consiste à montrer la mobilité là où il y a immobilité.

Il semble que le régime algérien entre dans une nouvelle logique de légitimation de l’exercice du pouvoir/domination. Une logique qu’il conviendrait de désigner comme « mécanique », puisque, plus il y a une immobilité (sclérose), plus on nous montre que les choses sont mobiles, bougent et changent. Ceci, à travers le recours exclusif à des démonstrations mécaniques.

Il nous semble que cette logique vient dans la continuité des dernières élections présidentielles. Souvenons-nous, l’argument pour appuyer la candidature de Bouteflika était que même si ses membres ne sont pas fonctionnels, ces capacités mentales ne sont pas du tout déficientes. Un peu comme si on disait qu’une voiture a le moteur en parfait état de marche, même si sa tôle est abimée. Le chef de la diplomatie française lui-même expliquait, à la suite de la rencontre avec Bouteflika que ce dernier : « a un petit problème de locution, mais du point de vue intellectuel, il fonctionne très bien » (BFM TV 10 novembre 2014), à noter surtout l’emploi du mot mécanique « fonctionne ».

Le seul problème, pour le moment, est cet air de ridicule qui décore le paysage politique, puisque plus le régime s’efforce de montrer des prouesses technologiques stupéfiantes, plus des évènements mineurs dévoilent son inefficacité chronique (le crash du MIG 25 est survenu lors d’une banale séance d’entrainement). Et même si l’usage de cette stratégie dans le cadre politique s’avère fructueux, une chose est certaine : la « Renault Symbol », symbolise à merveille une Algérie qui a beaucoup de mal à fonctionner.

Moussaab Hammoudi
14 novembre 2014

Comments are closed.

Exit mobile version