Le but ici n’est pas de récuser la mobilisation civile et, encore moins, dénigrer les efforts de protestation citoyenne, lesquels sont louables sinon souhaitables, pour que puisse être constituée une « société civile ». Donc le présent développement n’est pas à lire comme un réquisitoire mais, plutôt, en partant d’une observation primaire, comme autocritique. Parce que le phénomène intrigant qui s’était donné à voir – et dans un laps de temps très réduit – est l’implosion quasiment sans précédent des « mouvements de protestations ». Cette prolifération pousse à l’interrogation, surtout qu’elle n’est pas freinée ni perturbée par des mesures sécuritaires habituellement draconiennes. Nous essaierons alors de retracer les itinéraires récents de quelques-uns de ces mouvements. Puis, grosso modo de préciser leur dynamique, leur vocation et donc leur mécanique.

Même principe, différents mouvements

Ce qui apparait à première vue et directement, c’est l’insistance, par ces différents mouvements, que leur mobilisation ne s’inscrit que dans un cadre non-violent (Cf. chartes et communiqués officiels). Ce qui en sort moins, par contre, c’est que cette notion de non-violence (à la fois subtile et élastique) est appréhendée de manière superficielle. Elle est, à dire vrai, réduite au stade de slogan. Impact premier : elle est utilisée comme caution non comme notion. Pour preuve : il n’y a pas d’actions conforme aux codes de la lutte non-violente à proprement parlé – qui sont souvent des actions et procédés très ostensibles obéissant à des formes de revendication très esthétisées, même théâtralisées –.

Par-dessus le slogan, toutefois, ressort un autre point, plus réel et plus palpable. Il se traduit dans une sorte de négation intra-protestataire, et donc au sein des mouvements civils d’une même mobilisation. Il s’agit, à ce niveau, de cette quasi-discrimination à base référentielle et donc prioritairement idéologique.

Sans trop se perdre derrière les noms des protagonistes, le paysage protestataire, tel qu’il s’est dessiné depuis l’apaisement méfiant de la confrontation qui a eu lieu au sommet du régime – ce qui est en soi sujet à méditation – nous donne à voir une multiplication des naissances au niveau des mouvements  « d’opposition au régime ». Tous les dénominatifs du refus sont utilisés, revendiqués et assumés. Mais ce qui est plus curieux encore, c’est la dynamique de dissidence au sein de ces mouvements qui semblent, à prime abord, homogènes et complémentaires. En fait, aussitôt un mouvement voit le jour, aussitôt il est fragmenté : auto-fragmenté, disons.

Cette fragmentation prend une forme pour le moins effritée. Ainsi, on a vu que du « mouvement  Barakat » est sorti le « mouvement Barra » et « ACA », alors que « Barakat » est déjà un melting-pot de dissidents (essentiellement du « MJIC » et du « 8 mai ») ; le « Front Rafdh » est un schisme au sein de « Rachad » privilégiant l’alliance avec la « CNDDC » (mouvement des chômeurs) et le mouvement des « familles des disparus » (kidnappés pendant les années 90) ; de la même « CNDDC » est sorti le mouvement de « lutte contre la corruption » ;  alors que l’ « OADH » (droits de l’homme) s’est éclatée en plusieurs branches qui, faute de consensus, se sont recroquevillées localement au niveau des wilayas ; l’action « Bezzaf » initialement liée à « Barakat » s’est détachée et ne reconnait aucune opposition civile excepté le « MJIC »  ; le mouvement du « 8 mai » se cherche encore une voie tout comme le mouvement « ACDA » ; Alors que le « Mouvement Liberté et Changement » : une alliance d’activistes sur le terrain et surtout sur internet revendique l’appartenance à plusieurs mouvements de protestation, au moins pour provoquer une mobilisation généralisée.

A préciser, ce qui est d’autant plus dramatique et énigmatique pour une mobilisation, que cette « confrontation » intra-protestataire se fait aussi à cause des querelles de leadership souvent liées à un militantisme professionnalisé, donc balisé prioritairement par les conflits d’intérêts et les enjeux pécuniaires. Le problème ici est que le militantisme professionnel cultive souvent les schèmes de l’autoritarisme. Il menacerait alors de les reproduire.

Différents mouvements, différents référents

Que des mobilisations se forment à base d’affinités idéologiques est tout à fait naturel. Ce qui l’est moins, par contre, c’est le fait que ces mobilisations s’excluent et s’annulent alors qu’elles sont au stade de première mobilisation, stade où d’ordinaire se forment les coalitions.

Au final ces mouvements sont en total désaccord et, plus encore, ils ne manifestent aucun intérêt majeur quant à la conduite d’une action collective, au point que même la mise en place d’une communication intra-protestataire est exclue. Dans bien des cas, des mouvements vont jusqu’à piétiner l’agenda de mobilisation d’autres mouvements pour faire échouer des sit-in. Il sort que la motivation première de ces confrontations (combien même elle est niée) est du à l’écart au niveau des affinités politiques et idéologiques, puisque c’est le motif idéologique qui revient le plus pour expliquer le rejet de l’autre. Le plus inquiétant est que ce rejet amorce des postures éradicatrices. Ceci conduit surtout, et contre l’esprit proclamé en apparence, à des confrontations internes très proches symboliquement (et même effectivement) du fratricide.

A bon développement, bon enveloppement

Contrairement à l’idée propagée, le régime algérien n’est pas un simple assemblage désuet de vieillards sans ambitions autres que de mourir sur des trônes. La réalité est plus complexe. Et on pourrait se demander qui est derrière cette dynamique d’effritement (du moins parce qu’elle semble être savamment orchestrée) ? L’hypothèse que le régime en place est derrière cette dynamique peut bien être plausible ou, du moins, elle est à retenir. Comment l’exclure quand on connait le jeu d’infiltration et de clonage des mobilisations civiles (années 80), des groupes armés (années 90), ou des formations politiques (années 2000).

On peut se demander aussi quel va être le futur de ces mouvements après le dépassement de l’évènement qui les a fait naitre ?

Comme on l’a vu, ces mouvements se fédèrent et se prolifèrent, mais, disparates, ils n’arrivent pas à entreprendre une action collective et souvent par manque de volonté (donc situation voulu), alors même que chaque mouvement se veut rassembleur de toutes les sensibilités et orientations politiques connues. On se demandera alors : est-ce qu’une société civile est, réellement, en germination ou est-ce de la poudre aux yeux, le temps d’une élection jouée d’avance ?

En tout cas, dans une mobilisation émergente, pour se développer il faut envelopper. Loin des querelles restreintes. Les jours diront si le mouvement civique, louable malgré tout, sera une conscience durable ou effet de mode, un élan de liberté, ou si tout ce vacarme n’était qu’une noyade dans un verre d’eau.

Moussaab Hammoudi
13 avril 2014

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