Louiza Hannoune, la porte-parole du PT, rejette le bien fondé, le principe même, d’une transition du régime militaire vers l’état de droit. Vendredi dernier, elle estimait que cette démarche n’était pas une priorité ; l’urgence, estime-t-elle, est la question sociale. Outre ce qu’elle perçoit comme une inversion dans l’ordre des priorités prévues dans les agendas des partis politiques, la transition vers un Etat de droit serait une aventure périlleuse. Le risque, telle que la situation politique est évaluée par le Parti des Travailleurs, est que le changement revendiqué par la société civile pourrait évoluer vers un réveil des oppositions idéologiques qui s’achèveraient dans le chaos que nous avons connu durant les années 90.

Après tous les drames et les destructions nés d’une folie collective, on pensait légitimement que le pays était définitivement immunisé contre ce type de démence même si personne n’a demandé pardon à personne et même si aucun homme ne semble être suffisamment costaud pour établir un solde de tous comptes, permettre à chaque victime de faire son deuil et faciliter la sortie du traumatisme collectif. Ici, L. Hannoune nous apprend qu’il n y a pas plus faux qu’une telle croyance. Les niais ont donc intérêt à se pincer la mémoire parce que la menace serait bien réelle et il est donc recommandé de réactiver son syndrome de stress post-traumatique pour mieux gérer le stress pré-traumatique auquel il faut sans doute s’attendre si changement il y a. Message reçu cinq sur cinq, devrait-on dire. Mais il y a un hic ou plutôt deux objections.

La première objection: la question sociale, bien qu’elle soit pertinente, n’est pas un argument politiquement dissuasif face à la situation de blocage qui s’éternise pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas d’économie du tout. Dans ces conditions, comment pourrait-on résoudre la question sociale si, au préalable, les questions essentielles, déterminantes sont systématiquement esquivées ? Le chômage atteint des niveaux  jusqu’à en avoir ras-le-bol, le pouvoir d’achat jusqu’à en avoir ras les fesses, l’inflation jusqu’à en avoir ras la cafetière, un dinar en voie d’extinction ; le tout, effet d’une croissance aux ras des roses de sable, bricolée par des équipes gouvernementales qui naviguent à vue  et un PIB formé à moitié par une économie noire où domine la main noire d’une gouvernance noire.

Le PT qui nous a habitués à des analyses correctes ne semble pas avoir fait, au moins sur cette question, l’analyse à laquelle on s’attendait.

La deuxième objection : qu’est ce qui prime, est-ce la question sociale ou celle des institutions ? La question de l’état sécuritaire, celle de l’état profond ou celle de l’état de droit ? Serait-il plus avantageux de continuer avec le filet social pour les adultes, l’ansej pour les jeunes, le couffin du ramadhan pour les indigents, la nasse sécuritaire et le filtre politique et perpétuer ainsi la confection des garrots comme l’ont si bien fait les régimes Irakien, Libyen, Syrien jusqu’à ce que les très gouvernementales ONG auront estimé que la situation a muri et que le temps d’une Algérie en miettes est arrivé ?

De l’aveu de tous, la souricière ne produit plus les effets autrefois utiles à la castration de la société et le personnel qui incarne le régime se découvre piégé dans ses propres chausse-trappes. Il y a bien une situation de blocage. Et à l’unanimité, cette crise est reconnue comme étant celle d’un régime atteint d’apoplexie. Quel est l’état des lieux fait par le Parti des Travailleurs et quelles sont les options imaginées par cette formation qui pourraient emporter l’adhésion de la majorité sans tomber dans nos vieux démons ? Voilà les questions que Louiza Hannoune évite. Pourquoi ? Serait-elle membre de cette confrérie que Paul Nizan désignait sous l’indépassable locution de chiens de garde ?

Ouas Ziani
17 juin 2014

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