D’origine Kabyle, Tahar Djaout (1954-1993) est un écrivain, poète et journaliste algérien d’expression française. Il fut l’un des premiers intellectuels victimes de la « décennie du terrorisme » en Algérie. Il menaçait par ses vertus tant morales qu’intellectuelles et il obstruait sans doute les sermonneurs de la violence et de l’obscurantisme.

La vie de l’écrivain

En 1970, sa nouvelle, Les Insoumis, reçoit une mention au Concours littéraire « Zone des tempêtes ». Il achève ses études l’année suivante au lycée Okba d’Alger et obtient en 1974 une licence de mathématiques à l’Université d’Alger, où il s’est lié avec le poète, Hamid Tibouchi.

En 1975, il débute sa carrière de journaliste à l’hebdomadaire, Actualités de l’émigration, puis il collabore à la rubrique culturelle du quotidien El Moudjahid qu’il quitte pour l’hebdomadaire Algérie-Actualités, dont il dirige la rubrique culturelle.

En 1985 il reçoit une bourse pour poursuivre à Paris des études en Sciences de l’information. Deux ans plus tard, de retour à Alger, il reprend sa collaboration avec Algérie-Actualité, où il publie de nombreux articles sur les peintres et sculpteurs (Baya, Mohamed Khadda, Denis Martinez, Mohamed Demagh, Hamid Tibouchi) comme sur les écrivains algériens de langue française dont les noms et les œuvres se trouvent alors occultés, notamment Jean Amrouche, Mouloud Féraoun, Mouloud Mammeri, Mohammed Dib, Jean Sénac, Bachir Hadj Ali, Hamid Tibouchi, Malek Alloula, Nabile Farès, Youcef Sebti…

Parallèlement à son métier de journaliste, Tahar Djaout mène une carrière littéraire, en premier lieu en tant que poète. En 1972, à l’âge de dix-huit ans, il publie son premier poème dans la revue bruxelloise, Le Journal des poètes. Suivront de nombreuses publications dans d’autres revues, entre autres Action poétique, Le Fou parle. Il est également l’auteur de plusieurs recueils de poésies : Solstice barbelé (1975), L’Arche à vau l’eau (1978), Insulaire et Cie (1980), L’Oiseau minéral (1982).

A partir de 1981, il se consacre également au roman. Il nous laisse une œuvre remarquable de lucidité et de sensibilité : L’Exproprié (1981), Les Chercheurs d’os (1984), L’Invention du désert (1987), Les Vigiles (1991), Le Dernier Été de la raison (publié à titre posthume en 1999). Dans ses romans, Tahar Djaout démonte les mécanismes d’un monde en déliquescence, qu’il tente de reconstruire différemment. Ses mots en liberté dessinent un monde en accord avec son rêve de fraternité, de paix et de générosité.

Les poésies de Tahar Djaout sont le lieu où toute forme d’autorité (divine, religieuse, politique ou sociale) est rejetée. Le jeune poète se choisit comme figure tutélaire, Nabile Farès et Mohamed Kheïr-Eddine, notamment en ce qui a trait à la quête des origines et de l’Histoire nord-africaine. L’Exproprié est son premier roman. Il est question d’un train-tribunal qui transporte des inculpés devant descendre à la gare que leur assigne le verdict des « Représentants » de l’Algérie. Le narrateur fouille dans sa mémoire. Il comprend rapidement qu’il est dépossédé de son espace natal, de son histoire et de sa mémoire.

Il quitte en 1992 Algérie-Actualité pour fonder avec quelques-uns de ses anciens compagnons son propre hebdomadaire, Ruptures, dont il devient le directeur. Le premier numéro paraît le 16 janvier 1993.

Le 26 mai, Tahar Djaout est victime d’un attentat. Il meurt à Alger le 2 juin et est enterré le 4 juin dans son village natal d’Oulkhou.

Ecrire pour « différer la fissure »

Tahar Djaout aborde les violences historiques qui ne l’ont pas épargné. Le retour de la violence suscite chez le poète le sentiment de vivre dans une temporalité close, où le corps et l’âme étouffent. Il s’en libère en fracturant l’espace du monde pour produire des grottes où l’individu peut se réfugier. Ces espaces éclatés sont en réalité des lieux de réflexion, des points de vue qui analysent sous des angles différents la question du retour de la violence en Algérie.

Tahar Djaout est très angoissé par la dissolution du corps comme dissolution de l’espace-temps historique. L’angoisse de mourir est transformée par l’auteur en espoir de « se survivre » dans ses œuvres. C’est tout naturellement que le cheminement d’un endeuillé est consacré au sort réservé au langage sacré dans les sociétés marquées par la violence. Pour perpétuer leur autorité, les dominants agissent de manière à priver les dominés de leur langage sacré, afin de les priver de leurs références culturelles en mesure de maintenir la violence à l’extérieur de ses frontières.

Écrire sur la violence, c’est aussi se situer contre un système politique. Le poète prend sa position à travers ses personnages qui reproduisent un certain clivage du « moi » pour résister à la psychose ambiante d’un intégrisme au-delà de l’horreur.

Cela reflète donc la conception pessimiste de l’Histoire algérienne. En effet, l’Histoire de tous les pays est faite de violences réelles et symboliques. Cependant, l’émergence du thème de la violence fondamentaliste chez Djaout est le fait d’un imaginaire marqué par un certain nombre de dates traumatisantes dans l’Histoire algérienne et qui cristallise toute l’attention du poète. Ces dates marquent des moments de grande violence et affectent le symbolique.

Le poète, pour qui le temps est l’équivalent du « je » et pour qui l’espace évoque le « nous », vivent cette période noire comme une malédiction. Cette référence à une condamnation divine s’inscrit dans les œuvres de la majorité des poètes algériens. La question la plus importante, pour Djaout, est de découvrir l’origine de cette malédiction, puisqu’elle signifie qu’une loi a été transgressée sans préciser pour autant laquelle, ni par qui, ni quand. Cette condamnation à perpétuité nous situe dans un hors-soi englué dans le temps historique comme épreuve toujours d’actualité ; une épreuve qui n’a aucune autre fonction que celle d’exister et n’est vouée à aucune autre issue qu’elle-même.

Djaout cherche la résolution du problème de la violence dans la faille entre le « moi » et le monde. Il s’appuie sur l’autobiographie qui sert de médiatrice. Il s’agit, en effet, de se donner à lire aux autres et de se donner à lire les autres. Pour le poète, le récit autobiographique n’est pas une fin en soi mais cela revient à saisir l’œuvre d’une vie comme œuvre de l’Histoire et, ne serait-ce qu’en partie, l’œuvre de l’Histoire comme l’œuvre d’une vie.

Laakri-Louise Cherifi
8 juin 2014

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