mai45-1La date du 8 mai 1945 est gravée dans les mémoires, les imaginaires et les réflexes politiques algériens, toutes opinions et générations confondues.

Le 8 mai 1945 signifie la fin du nazisme. Il correspond aussi à l’un des moments les plus sanglants de l’histoire nationale. L’Algérie allait connaître un des événements les plus sanglants de son histoire. Suite à un soulèvement des Algériens contre l’occupation coloniale française, une répression hallucinante devait s’abattre sur les populations de Sétif, Guelma, Kharata, dans l’Est du pays. 45’000 morts à Sétif, Guelma et Kharata, tel est le bilan macabre de ces tragiques évènements.

Sur tous les continents, l’Humanité célébrait dans la joie son premier jour de paix et de liberté, après l’écrasement du nazisme. Mais l’idéologie raciste et dominatrice de ce dernier demeurait présente dans le régime colonial français. Il en donna alors une illustration qui lui vaudra un rang peu captivant dans les histoires des crimes contre l’Humanité. D’abord par l’ampleur des carnages et des hécatombes (en milliers, voire dizaines de milliers de personnes selon les évaluations) commis contre la population algérienne de la région de Sétif. Mais aussi par la barbarie des méthodes et leur signification politique, en contradiction certaine avec le vent de liberté qui soufflait sur l’échelle mondiale.

La « Charte de San Francisco » avait peu auparavant proclamé solennellement le droit des peuples à leur liberté et autodétermination. Les Algériens y avaient cru et le proclamèrent sur les banderoles de leurs manifestations pacifiques. Hélas, les porteurs furent froidement abattus dans plusieurs villes, dont Sétif, Guelma et Kharata. C’était le point de départ des troubles sanglants et des représailles massives. Les colons français, mais aussi les dirigeants depuis Paris, général de Gaulle en tête, pourtant prestigieux symbole des idéaux patriotiques et de paix, avaient cru que par la « manière forte » déjà pratiquée en Algérie depuis 1830, ils allaient réparer la déchéance de leur puissance impériale, entreprise avec la deuxième guerre mondiale.

La mort d’un scout tué par la police française mettra le feu aux poudres à Sétif. Ce sera l’émeute. Un soulèvement spontané, appuyé par des militants nationalistes laissera place aux frustrations trop longtemps enfouies. On s’en prendra aux colons européens, à Sétif, Kharata, dans les campagnes environnantes et même à Guelma, pourtant éloignée de plus d’une centaine de kilomètres.

Pour toute réponse, la barbarie coloniale continue. L’après-guerre allait donc sonner le glas de la révolte et du changement. Les Français ont voulu frapper fort, du fait même qu’ils appréhendaient déjà cette révolte. Appréhension compréhensible quand on connaissait les recrues limitées dont pouvait disposer à ce moment la puissance coloniale pour un pays aussi grand et aussi rebelle. Il fallait massacrer le plus pour assurer la survie du système.

Ainsi, après mai 1945, le général Duval qui dirigea les semaines de répression impitoyable, en rendit compte à son gouvernement en énonçant l’avertissement suivant, qui était aussi sans qu’il le sache une vraie prophétie : « Je vous ai assuré la paix pour dix ans ».

(Photo: Arrestations de civils menés vers leur propre exécution avant de finir brûlés dans des fours à chaux de Guelma)

Ces massacres appelés la « Toussaint rouge », vont marquer le début de ce qui allait, 9 ans plus tard, devenir la guerre de libération déclenchée le 1er novembre 1954, que les colonialistes s’étaient chargés eux-mêmes de déclarer neuf ans auparavant, comme l’ont souligné nombre d’historiens non algériens. Déjà deux ans après mai 1945, un congrès clandestin du Parti du Peuple Algérien (PPA) avait décidé la création de l’Organisation Spéciale (OS) paramilitaire.

En fait, les machinations colonialistes avaient convaincu l’ensemble de la population, jusque dans ses couches les plus réformistes ou les plus timorées, que l’alternative du soulèvement armé devenait de plus en plus inévitable. L’Algérie, corps central du Maghreb, ne pouvait rester insensible aux agitations et aux flammes insurrectionnelles qui dans la première moitié des années cinquante embrasaient déjà ses flancs tunisien et marocain.

(Photo: Propagande coloniale – à la mode Tartarin de Tarascon : on distribue des armes sans munitions aux civils pour un besoin de propagande : « les insurgés déposent les armes ». Ils feront TOUS partie des victimes assassinées, jetées vivantes du haut de la falaise de Kharata (voir les gorges de Kharata au fond de la photo) et enfin ramassées et brûlées dans des fours à chaux.)

En 1945, d’un côté avaient grandi dans le monde colonial des aspirations nationales et sociales actives qui n’avaient pas encore acquis l’expérience et la maturité politique suffisantes. D’un autre côté, l’entêtement et l’arrogance raciste des puissances dominantes barricadaient sauvagement les issues démocratiques et les évolutions constructives souhaitables.

Que de tourments auraient pu être évités en deux décennies avant que De Gaulle parvienne à une vision qui concilie réalisme et intérêts nationaux avec les droits des peuples ? Quel prix économique et humain a-t-il fallu et va-t-il falloir encore payer des deux côtés de la méditerranée pour avoir trop longtemps considéré que les peuples arabes, berbères et tant d’autres maghrébins et orientaux, étaient héréditairement imperméables aux ambitions démocratiques et sociales modernes ?

Le 8 mai 1945 fut une cérémonie funèbre en Algérie. Les innocents massacrés ne l’étaient pas pour diversité d’avis, mais à cause d’un idéal. La paix et la liberté. Ailleurs, il fut célébré dans la joie et la sérénité. Ce fut la fin d’une guerre. Cela pour les Européens. Mais pour d’autres, en Algérie, à Sétif, Guelma, Kharata, Constantine et un peu partout, ce fut la fête dans la barbarie et la sauvagerie d’une colonisation et d’un impérialisme qui ne venait en ce 8 mai qu’imposer une loi de redressement des volontés farouches et éprises de ce saut libertaire.

Laakri-Louise Cherifi
23 mai 2014

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