« J’ai appris une chose et je sais en mourant Qu’elle vaut pour un chacun : Vos bons sentiments, que signifient-ils ? Si rien n’en paraît au dehors ? Et votre savoir, qu’en est-il ? S’il reste sans conséquences ? […] Je vous le dis : Souciez-vous, en quittant ce monde, Non d’avoir été bon, cela ne suffit pas, mais de quitter un monde bon. » (Bertolt Brecht, Sainte Jeanne des abattoirs)
 
Il se murmura quelques mots, chagriné : « Oui j’ai tant connu toute cette faune d’universitaires de gens de gauche, de droite et même beaucoup comme tombés du ciel…venus s’amuser, apitoyés, et l’aider quelque peu… à se sortir de son égarement». C’était à Lausanne, Paris, Londres… Et le voilà, maintenant par ici, parmi toute cette foultitude envahissante d’instruits, de plus en plus visible. L’Algérie grouille elle d’intellectualités ? C’est une banalité, qu’un fils de tel ou tel villageois, professe à l’université du chef lieu de wilaya. Et même tant de diplômés chômeurs, pullulant ! Puis il imagina l’un d’eux, même pas offusqué, mais perturbé que tant de son savoir, reste toujours « inconsidéré » dans sa société d’origine, condamnée par beaucoup d’autres « érudits » dont certains préférant l’exil, à ne jamais évoluer, à ne jamais s’en sortir un jour. Il le vit se mettre face à lui, pour lui rétorquer : « Et toi tu te prends pour qui ? »

L’homme se complaisant toujours de son dépit lui répondit : « Pour très peu de choses, mon ami». Car il se rappelait qu’effectivement, tous ces êtres d’outremer pétris de tolérance, avaient depuis tant de temps intégré tous ces droits pour chacun en ce vaste monde, mais aussi restaient conscients de ce qu’est devenu l’humain lorsqu’il commença à se « civiliser », à sortir des temps primitifs, des ténèbres des temps de disette… En l’impossibilité de l’avènement de la justice, pour tous, en ce bas monde. Les guerres ! Que des guerres ! Toujours des guerres et cela depuis toujours.

« Amuse-toi mon petit, ce n’est pas tous les jours qu’on a vingt ans ! »

Puis l’homme resta indécis. Faut-il se saisir d’un livre instructif pour apaiser ses maux, en faisant semblant de fournir des efforts, se souvenant qu’il n’avait pas pu, inadapté en exil, réussi à se tenir coi ? Il avait compris, que tant que sa vie n’était pas sanctionnée d’un quelconque diplôme, les êtres aussi chez lui, en son pays, se feront toujours ce malin plaisir de le rabrouer. Ce qu’il aimait tant chez ces adultes avec lesquels il s’accordait de sa « punition » pour avoir failli à sa mission de parachever un jour ses études afin de contribuer au bien être de son pays. L’erreur et l’échec n’étaient pas permis. Car il ne pouvait pas ignorer comment des hommes avaient tout sacrifié aux temps héroïques de la révolution : leurs études, leurs vies pour les libertés, « dans des révolutions qui finissent persiste-t-il toujours à penser à leur confiscation par d’autres »…

Ou alors, ignorer les livres pour continuer à s’enfoncer, encore à son âge avancé, dans son éternel « désespoir » d’imbu de lui-même ?

Il regrettait de toujours rester au bord du chemin à regarder œuvrer les vivants. On ne lui avait donné de nouveau aucune chance. Et il sait combien il pouvait servir si ce n’est « cette maladie des contrastes des mondes ». Puis enfin qu’importe tout par ici : cette absence de sens de laïcité, de mixité, quand subsiste ce doux souvenir d’avoir tant aimé, tant séduit outre-mer, quand subsiste l’amour de celles dont juste, le souvenir entretient encore la vie, et malgré cette femme si près de lui, qui lui a tant donné et qui n’en peut plus aussi de vivre, avec quelqu’un peut-être un peu encore comme elle, prisonnier du passé et de ces lendemains enchanteurs de l’indépendance et de ces années de jeunesse et d’espoirs d’avoir tant cru… qu’on finirait un jour avec l’obscurantisme des « civilisés ».

Et si ce n’est, lui répète-t-il encore souvent, qu’une question de moyens ?

Amokrane Nourdine
29 janvier 2014

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