Le « on » est naturellement impersonnel et mériterait donc d’être précisé. Il s’agit de cette catégorie de producteurs de discours, souvent clamés pour leur vertu d’objectivité, mais qui depuis les évènements qui secouent le monde arabe ont versé dans un discours normatif bien curieux.  Ce sont – cela s’entend – les chercheurs universitaires spécialisés, ou du moins une bonne partie d’entre eux (la partie qui se précipite pour discréditer les nouvelles gouvernances).

Le titre annonce un combat. Quel est alors ce combat ? Mais tout d’abord il faut souligner que vu l’acharnement de leurs réactions, il serait d’une confortable facilité de recourir à l’usage de ce qualificatif de « combat ». Reste maintenant : quel combat ? Là est le vif de ce propos, alors on y reviendra plus loin, parce que ce qui est annoncé jusqu’à présent n’est pas de toute clarté et mériterait des explications, d’autant qu’il est impulsé par des faits de plus en plus tangibles.

Concrètement donc, il s’agit d’un centre de recherche français établi à l’étranger (inutile de le nommer), mais quand même dans le monde arabe et spécialisé dans les sciences sociales (notamment la sociologie et l’anthropologie). Ceci fait de lui un proche témoin des évènements en ébullition. Ce qui est inquiétant, c’est comment ce centre de recherche prend position et comment il va jusqu’à la mobilisation acharnée, spécialement contre le président Morsi.

Dans cette logique précisément, du 3 au 6 décembre 2012, c’est-à-dire en un laps de trois jours, le centre c’est montré assez expressif, surtout que les locuteurs ont bien veillé à la diffusion de quelques uns de leurs articles journalistiques (ce qui est normal) avant que de les reprendre sur le portail Internet du centre de recherche. Ce qui est curieux néanmoins, c’est comment le chercheur se transforme en journaliste pour s’exprimer et prendre parti (En fait, « s’exprimer » n’est pas le mot puisqu’il s’agit de « mobilisation », mais l’essentiel ici est que dans le cas de l’expression comme dans celui de la mobilisation, le caractère intrigant reste intact).  Donc, en premier lieu, c’est le directeur du centre en personne qui met en ligne un article sur la situation en Egypte, le titre est sous forme d’interrogation mais le contenu est une critique sans concession de la figure du président égyptien. A la même date, c’est cette fois l’adjoint du directeur qui met en ligne, à son tour, un article sur l’Egypte montrant que Morsi est un Moubarek mais en plus dangereux puisque islamiste. Et pour que boucle soit bouclée, c’était au tour de l’étudiant-chercheur, en parfait héros stendhalien, de mettre en ligne sa contribution sur la même thématique et dans le même ordre d’opinions. L’ordre hiérarchique est aussi troublant : Directeur, directeur adjoint (les deux sont en même temps directeurs de recherche) et l’étudiant-chercheur pour terminer. Si ce n’est pas une mobilisation acharnée !

Le point commun entre les trois écrits publiés sur un portail censé être scientifique, donc se tenant à une certaine neutralité vis-à-vis de l’objet d’étude (à défaut, se tenant au descriptif davantage que le normatif) est que un même évènement en cours (donc inachevé) est commenté au prisme d’une vive passion, sans même attendre que le recul nécessaire fasse son effet. Ici, le président égyptien est systématiquement  vomi. Clairement formulé, le discours du centre de recherche consiste à dire que le président égyptien Morsi est un dictateur qui annonce un régime pire que l’ancien, surtout qu’il y a risque imminent de théocratie en cours d’installation, ce qui est pour déplaire. A cela, par ricochet, surgit l’obsession (sauce habituelle) du parti islamiste qui évolue dans le sens d’un Etat islamiste fonctionnant par anathèmes et guerres de religions.

Ce discours est dangereux, parce qu’on applique les résultats d’une hypothèse non avérée en dehors de son contexte, tout en se constituant juge et partie tout en s’appuyant sur la caution scientifique (ce qui est un vice de forme). D’ailleurs, au lieu de considérer les évènements en cours comme la manifestation d’un processus nouveau et salutaire dans l’histoire des mentalités égyptiennes, on préfère plutôt recourir à la diabolisation, en évoquant des craintes françaises. Un ancien président américain disait que la sécurité de son pays commençait en Afghanistan. Le centre de recherche scientifique suit la maxime (peu sage et pas du tout docte) à la lettre.

Ce qui est navrant est aussi que notre centre oublie que le président égyptien est issu d’un processus électoral pleinement démocratique et donc il est l’incarnation de la voix des électeurs en grande majorité, quoi qu’il en soit.

Mais s’opposer à la tendance islamiste victorieuse, et soutenir l’opposition séculière (bien qu’il y ait à dire sur le rapport sécularisme et islamisme, surtout concernant les Frères Musulmans) au passé lourd, engage notre centre de recherche dans le combat de la sécularisation. Les deux formations en concurrence étant les islamistes et les séculiers, si on rejette les premiers, on soutient, de fait, les seconds (d’ailleurs, le centre ne s’en cache pas).

En réalité, il s’agit, dans cette posture, de deux problèmes didactiques : le premier est lié au temps ; ces chercheurs n’ont pas pris le soin de digérer le cours de l’histoire avec le recul nécessaire, mais surtout un problème de lieu entre le proche et le lointain. Ici, les obsessions locales françaises sont transposées dans le contexte lointain égyptien. Celui qui est concerné pourtant c’est l’Egypte et son citoyen. La confusion est tellement profonde qu’un salafi, souvent accusé d’être hors espace/temps, serait content d’apprendre que les chercheurs séculiers de ce centre sont aussi décalés que lui, et donc salafis à leur manière.

A partir de cela, revenons à notre question initiale : on se trompe de quel combat ? – Celui de la sécularisation. A l’heure actuelle, l’Egypte (aussi bien que cette région qu’est le monde arabe) a besoin d’émancipation. Poser les débats en termes de sécularisation serait une fausse anticipation. En premier lieu, l’émancipation. Des vocables comme « sécularisation » ou « laïcité », il faut le comprendre, sont encore suspects et surfantasmés dans la mentalité d’une bonne catégorie des citoyens arabes, et de la même façon qu’en France on évoque la crainte des guerres de religions, dans le même ordre, dans les pays arabes, on évoque la crainte des guerres de laïcisations (chacun ses phobies). Recourir à l’imposer par-dessus la réalité serait donc indubitablement le mauvais des positionnements.

Concernant, pour terminer, la posture des centres de recherches scientifiques (et au lieu d’être ce plongeur, en tenue et bien équipé, mais décrivant les profondeurs des océans depuis la surface de l’eau) il serait certainement plus concluant pour notre plongeur (puisqu’il est si bien équipé !) qu’il aille au fond de l’océan pour le voir, et comme le voient les poissons qui y vivent. Il y aurait surement quelque chose à admirer.

Moussaab Hammoudi
17 décembre 2012

3 commentaires

  1. Quel combat ?
    Sallamou Alaykum M. Hammoudi !

    1* « Centre de recherche spécialisé dans les sciences sociales (notamment la sociologie et l’anthropologie).»

    Il n’y a et y il n’y aura jamais de « sciences sociales », pour la simple raison que ces centres ne peuvent rien prouver.
    Pire encore, leurs théories se réfutent tous les jours par des découvertes par des faits naturels et scientifiques.
    Il n’y aura que des théories d’individus avides d’argent et de pouvoir.
    Il n’y a rien de scientifique, seulement des centres de conditionnement et d’uniformisation de raisonnement de l’homme, instaurer une unité de pensée et d’action, des réflexes et réactions communes, un homme consumériste, avide de loisirs et de plaisir.
    Et comme l’Islam est une loi, et dans cette démarche, il n’entre pas dans ce formatage pour la simple raison que le musulman est tout le temps musulman. Il n’y a pas un lieu et/ou un temps, où il ne le serait pas !
    Alors M. Hammoudi, pensez à la sanction de chacun, faites confiance à Allah en vous tenant à Lui, ils ne font que brasser du vent comme leur prédécesseurs depuis plus des millénaires.

    2* « Qu’il aille au fond de l’océan pour le voir, et comme le voient les poissons qui y vivent. Il y aurait surement quelque chose à admirer.»

    Ces messieurs sont bien des chercheurs, mais pas scientifiques, [b]ils y sont [/b] dans l’océan musulman pour le « combattre » et le vaincre s’ils le pouvaient. (Il y a un verset du Qoran qui l’affirme).
    Par manque d’argument loyal et honnête, ils adoptent des Postulats, pour ne pas dire discrédits, de leurs donneurs d’ordre, qui ne sont pas évident en eux même. Autrement dit une proposition première indémontrée parce que indémontrable. C’est leur Axiome !
    Ils ne sont pas à la recherche de principe auquel s’attache une vérité ou de vérités qu’on ne saurait mettre en doute. Ce n’est pas le but de leur recherche !
    Sallamou Alaykum

    • rep
      Quel combat ?

      Je pense que la réponse était claire ! le centre de recherche mène un combat de sécularisation/laïcisation, ici il se trompe : parce que le monde arabe n’a pas besoin de sécularisation mais d’émancipation.
      Votre point de vue religieux est intéressant, mais ici j’ai situé mon propos au niveau international, où la religion ne tient pas beaucoup de place, même chez les pays qui semblent « musulmans » (Arabie Saoudite, Maroc, etc.)

      Amicalement,
      MH

      • RE: rep
        Sallamou Alaykum M. Hammoudi !

        Je ne sais pas si je me suis mal exprimé, mais je tiens à assurer que j’adhère à votre billet M. Hammoudi, loin de moi sa mise en cause.
        Cependant, en ce qui concerne mon point de vue, il n’est pas religieu mais se réfère à l’Islam et à propos duquel il n’est nullement question « d’émancipation »

        Fraternellement

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