Le recours sans cesse à la révision de la constitution renseigne immanquablement sur la fragilité du système politique algérien. En règle générale, notamment dans les pays où le pouvoir réel est détenu par le peuple, les éventuelles modifications du texte fondamental conduisent à renforcer davantage le contrôle  du peuple sur les institutions. Hélas, en Algérie, depuis l’indépendance, le pouvoir s’exerce en dehors du peuple. Du coup, l’annonce de la nouvelle révision constitutionnelle ne suscite pas d’engouement particulier dans la société. Et pour cause ! Bien qu’on puisse épiloguer sur les motivations de chaque président, depuis l’élaboration de la constitution en 1963 [un texte rédigé, pour rappel, en dehors de l’hémicycle] à celle de novembre 2008, ces textes ne visent qu’à renforcer, de façon considérable, les prérogatives du chef de l’État au détriment des contre-pouvoirs.

Néanmoins, bien qu’une telle emprise ne puisse être en aucun cas justifiée, la subsistance concomitante de tels régimes en Afrique du Nord ne fut pas de nature à encourager  le développement de la démocratie en  l’Algérie. Or, suite aux changements intervenus dans la région à partir de 2011, l’Algérie reste le seul pays à la traîne.  Bien que le statu quo soit idoine les profiteurs, le peuple algérien, après avoir arraché sa liberté au prix du sacrifice de ses meilleurs fils, mérite, cinquante ans après l’indépendance, de reprendre ses droits fondamentaux, dont il a été spolié par les tenants de la ligne exclusive. Cette période a dure près de trois décennies.  

De toute évidence, bien que les événements d’octobre 1988 soient une machination d’un clan du pouvoir en vue de déstabiliser un autre clan, la jeunesse algérienne, en payant un lourd tribut, parvient à arracher quelques réformes rudimentaires. À ce titre, la constitution de 1989, dont la naissance est survenue au forceps, garantit un minimum de libertés politiques. Ainsi, en peu de temps, la société va  s’emparer des sujets inhérents à l’avenir du pays. Les élections de 1990 et 1991 corroborent la thèse de l’adhésion populaire. Hélas, le commandement militaire qui s’était retiré de comité central du FLN en mars 1989 ne veut pas voir les islamistes à la tête de l’État.

En effet, la victoire du FIS avait de quoi faire peur. Mais peut-on se dire chantre de la démocratie et ne pas accepter le verdict des urnes. En tout cas, opposé à toute évolution du système, comme le décrit si bien Ahmed Dahmani, dans son livre « l’Algérie à l’épreuve », le commandement militaire met fin au processus démocratique. Croyant que l’annulation des élections donnerait lieu à une agitation maitrisable, ce calcul est faussé par l’intransigeance des islamistes radicaux. Résultat des courses : le pays est plongé dans une crise abyssale. Tout compte fait, c’est dans ce contexte que le général Zeroual, désigné chef de l’État en 1994 et puis élu en novembre 1995, révise la constitution en 1996. Bien qu’il renforce considérablement ses pouvoirs, il inscrit également une clause limitant le nombre de mandats présidentiels à deux seulement. Quoique les gens dissertent sur l’ère Zeroual, il n’en demeure pas moins que cette clause limitative allait faire rentrer l’Algérie dans le concert des nations où l’alternance, même restreinte à l’intérieur du système, pouvait être effective.

D’une façon générale, bien que chaque président veuille sa propre constitution, l’actuel chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, fait fort en recourant à deux reprises à la révision constitutionnelle. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ignore, pour le moment, tout de ses intentions. En revanche, malgré des résultats mitigés correspondant aux 13 ans de son règne, et ce, par rapport aux ressources dont dispose le pays, les différents clans du pouvoir, écrit le doyen des droits de l’homme, maitre Ali Yahia Abdenour, se démènent à présenter Bouteflika comme le seul recours possible. « Le pouvoir a démontré son inefficacité non seulement dans le domaine des libertés, mais aussi dans celui de l’économie  et du social, où tous les indicateurs sont à la hausse, au rouge. »

En fait, si les quelques projets avaient été réalisés sans s’appuyer totalement sur les recettes des hydrocarbures, tout le monde devrait applaudir la prouesse. En plus, quelle que soit l’immensité de l’œuvre, le peuple algérien a besoin de tous les droits fondamentaux et non pas ceux relatifs aux besoins élémentaires. Il a besoin, comme c’est le cas à présent de ses voisins maghrébins, d’avoir des représentants qu’il a lui-même choisis et non des représentants imposés en vue de satisfaire des intérêts occultes. À ce titre, la période Bouteflika –et c’est le moins que l’on puisse dire –ne diffère en rien des précédentes où la mainmise sur le pouvoir est l’apanage d’un cercle restreint.  

Par ailleurs, l’annonce de la révision de la constitution intervient au moment où la rumeur [il n’y a pas de fumée sans feu, dit-on] de la représentation de Bouteflika pour un quatrième mandat commence à faire débat. Après avoir abrogé, en novembre 2008, l’article 74 limitant le nombre de mandats présidentiels dans la constitution de 1996, en 2012, y’a-t-il d’autres verrous à sauter pour qu’il s’octroie encore plus de prérogatives ou va-t-il rectifier les abus de pouvoir pratiqués jusque-là ? Est-ce que le pouvoir va être restitué enfin au peuple, comme c’est le cas chez nos voisins ? Enfin, les Algériens vont-ils être de simples spectateurs en adoptant la loi du silence? Ce sont là des questions qui taraudent les observateurs de la scène politique.

Pour conclure, il va de soi que l’évolution de la situation chez nos voisins doit impérativement favoriser le changement de la donne en Algérie. De façon pacifique, le peuple algérien doit revendiquer ce qui lui revient de droit, à savoir le choix de ses représentants et le droit de réclamer des comptes à celui qui a la charge des affaires. Il faut que les Algériens aient en tête que ces gouvernants ne peuvent pas exister sans eux. Quant aux dirigeants, il est temps qu’ils cessent de traiter le peuple comme un éternel mineur. Certes, le peuple algérien a une marge de progression dans l’apprentissage de la démocratie, mais il faut un début à tout. La leçon égyptienne prouve, si besoin est, la maturité de ce peuple.

Boubekeur Ait Benali
19 décembre 2012

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