La scène médiatique connait plus que jamais un phénomène de plus en plus prenant : le « citoyen-journaliste ». Ce type nouveau d’acteur va même à imposer aux médias de masse de composer avec lui, et c’est pour cette raison qu’il attire la curiosité des chercheurs et des journalistes eux-mêmes. C’est que le « citoyen-journaliste » semble avoir bien des fois plus d’influence que les journalistes professionnels.

On le voit avec l’émergence et le développement d’un nouveau courant de bloggeurs qui, grâce au progrès technologique, ne reconnaissent plus le journalisme traditionnel. Ce phénomène exerce donc de plus en plus de concurrence sinon de pression y compris sur les mass-médias internationaux. Est-ce que le phénomène des bloggeurs est réellement important ? Certainement, parce qu’en plus des épreuves qu’ils ont franchies, on assiste même à la création des « annuaires des bloggeurs ». Ces derniers agissent sur les questions sociopolitiques et c’est à ce niveau que le « citoyen-journaliste » retrouve un cadre juridique plus balisé. A l’opposé, cette condition impose un nouveau défi aux journalistes : celui de faire face à ce nouveau phénomène de journaliste amateur.

A considérer que le « citoyen-journaliste » est un phénomène en implosion, serait-il si important que cela ? Rappelons-nous simplement les séquences de l’assassinat de J-F Kennedy ; les attentats de Londres ; ceux de Sharam El-Cheikh ; le Tsunami ; le 11/9. Et si ces évènements étaient préservés grâce aux séquences vidéo, en 1946 pendant l’incendie de la ville d’Atlanta, un photographe amateur était l’un des premiers arrivés sur les lieux de l’évènement. Il a même pu décrocher un prix, par la suite, en prenant en photo une femme qui se jetait du balcon d’un immeuble.

Tous ces évènements n’ont pas été révélés par les professionnels des médias ni par les journalistes. Même davantage, ces professionnels des médias se sont eux-mêmes référés aux photos et aux séquences vidéo des simples amateurs qui se sont retrouvés au même moment et au même instant que le déroulement des faits, ce qui les aura permis d’immortaliser l’instant. Avec le développement des nouvelles technologies numériques et les APN surtout ceux contenus dans les téléphones cellulaires, une source importante d’information alimente la presse et les canaux de transmission traditionnels de l’information (photographes, journalistes). Un Téléphone portable, plus minuscule que la pomme d’une main, équipé d’une caméra à peine visible, c’est ce qui suffit désormais  à n’importe quel individu pour couvrir un évènement dont il est le témoin. C’est ce qui semble résumer le phénomène du journaliste-citoyen. Il est question aussi d’une étape franchie par les citoyens : on est passé de l’enregistrement des moments conviviaux entre amis ou en famille, et des prises de vues de la splendeur de la nature, à une étape où on guette le moment propice pour « capturer » un évènement majeur qui pourra faire la une des JT et des grands journaux.

Comme on l’a vu, cette participation des amateurs dans le travail journalistique n’est pas récente ; elle date des années cinquante du siècle précédent. Par contre, c’est depuis le 11/9 et le Tsunami que le rôle des séquences enregistrées par des amateurs a évolué. Même avant, pendant les attentats de Londres, on se rappelle, les téléspectateurs ont pu comprendre les évènements grâce aux vidéos amateurs. Ce sont d’ailleurs ces productions, de qualité imparfaite, qui ont appuyé les couvertures médiatiques ; les journalistes étaient interdits d’exercer pour des raisons sécuritaires. Une chaine satellitaire est allée même à adresser un communiqué où elle demandait clairement des photos de l’évènement et, en contrepartie, elle était prête à payer une somme colossale.

Malgré le développement du journalisme, pourquoi alors ce phénomène est devenu si important alors même que ses carences techniques sont apparentes ? Rapidement, on pourrait avancer que ceci est dû au fait que ces photos et séquences fournissent un document précieux qui transmet la réalité vive : les séquences vidéo reflètent instantanément la réalité, c’est ce qui fait qu’elles sont plus crédibles que les témoignages ou les photos, par exemple. Elles transmettent l’évènement pendant son déroulement. Le point fort est de permettre au spectateur de visualiser l’évènement comme s’il le vivait à l’instant de son déroulement.

Sur un autre plan, il est bien sûr important d’être sur la scène des évènements. Le problème pour les amateurs est alors que le journalisme est un ensemble d’exigences, une étude approfondie des scénarios. Bref, l’information a besoin d’un grand professionnalisme pour la véhiculer. C’est pourquoi il est impératif qu’il y ait une production professionnelle à côté de la production amateur.

A ce propos, on pourrait aussi se demander : quelle fonction entretient cet acteur nouveau ? Est-ce qu’il enrichit la couverture médiatique ou est-ce qu’il la menace, dans la mesure où elle est essentiellement professionnelle ? Cette question est de plus en plus légitime surtout depuis l’entrée en scène des séquences numériques dont les auteurs ne sont pas identifiables. Ici, les rédacteurs sont toujours devant l’obstacle de l’authenticité des photos et des vidéos. Ceci étant, il nous semble que cette question n’est pas à concevoir sur un mode binaire, celui de l’amateur comme enrichissement ou menace pour le journalisme. En fait, il est uniquement au journaliste de vérifier ses sources pour s’assurer de l’authenticité parce que la production amateur est une source parmi tant d’autres. Donc le problème n’est pas de savoir si la production amateur est positive ou négative. Le problème est celui de la façon dont use le journaliste de cette production. Pour le reste, la production amateur est à considérer de la même nature que les témoignages.

Les révolutions arabes, qui ont éclipsé complètement le rôle des élites, ont conféré un rôle de premier ordre aux citoyens. Tout comme le journaliste ou le responsable, le citoyen se charge de transmettre des enregistrements et des rapports. Ces productions sont ensuite accompagnées de commentaires et comptes-rendus en plusieurs langues puis adressées par e-mail aux ONG et aux mass-médias internationaux. Ce qui revient à dire que les révolutions arabes ont montré que le journalisme traditionnel intègre désormais la production amateur du citoyen-journaliste. Ce dernier a d’ailleurs gagné en maturité : on n’est plus à la période des séquences très courtes et à peine visibles parce que prises à la sauvette ou mal enregistrées à cause des vertiges d’un photographe pressé. Désormais, on le voit en Syrie, le citoyen-journaliste est méticuleux et n’omet pas pendant l’enregistrement de préciser la date et le nom du lieu ou de la ville où se déroule les évènements qu’il couvre, généralement à travers une pancarte manuscrite ce qui écarte tout doute concernant l’authenticité de la production.

Malgré les retenus qui entourent ce phénomène, le citoyen-journaliste reconnaîtra semble-t-il un essor des plus florissants, surtout que le développement technologique promet des outils d’enregistrement de plus grande qualité et de plus simple usage. Au final, si les médias doivent composer avec le citoyen-journaliste comme nouvelle réalité, une chose parait évidente : l’èpoque de la « politique de la censure » est révolue.

Moussaab Hammoudi
10 mars 2012

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