«Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux» (Guy Debord, 1931-1994, révolutionnaire français)

Nul doute, le titre de cet article est évocateur à mille égards de bien terribles choses que traîne dans ses hardes la fièvre de «la politique politicienne» quand elle n’est pas traitée au moyen de compresses trempées dans l’objectivité et le bon sens. Il est on ne peut plus une construction logique et un pont dialogique entre deux variables, à la base fort divergentes et aux contorsions ainsi que ramifications quasi convergentes : «la tragédie» et «la comédie». Lesquelles sont mélangées comme dans les utopies donquichottesques au large de la mare du grand spectacle de la vie. Cependant, discerner la bonne graine de l’ivraie incombe incontestablement aux élites politiques conscientes et patriotes qui font de «la politique pédagogue», leur véritable plate-forme éthique et leur ligne cardinale dans la gestion des affaires courantes de l’État. Le totalitarisme et la démocratie seraient de la sorte loin de constituer un parallélisme sémantique ou de tisser une connivence idéologique quelconque car désormais ni «la raison d’État» ni encore moins les défis sécuritaires sous forme de «lutte anti-terroriste» ou de défense de l’unité nationale sous le prisme des surenchères faussement patriotiques ne valent une once de crédibilité aux yeux des élites gouvernantes. Ainsi et par contrecoup l’assentiment et l’avis consensuel du peuple ne seraient-ils mesurés qu’à l’aune de la performance politique, de la compétence des responsables et de leur dévouement à la cause suprême des pays. Mais entre ces deux visions contradictoires l’une par rapport à l’autre, à savoir la tyrannie avec son corollaire sémantique qu’est «la tragédie» et l’ouverture ou l’émancipation avec ses différents référents conceptuels tels que la démocratie, le pluralisme et la société du spectacle, les définitions se superposent, s’alternent et s’imbriquent au point de rendre toute distinction terminologique presque impossible.

C’est alors que l’on a le droit de se poser cette question à la fois simple et complexe: le totalitarisme signifie-t-il vraiment agonie ou mort politique des pays et la démocratie équivaudrait-elle réellement à une vraie renaissance de la sensibilité populaire? A bien y regarder, de par le passé, rien n’a prouvé cette évidence car ni les démocraties européennes contemporaines ni les plus dures dictatures de l’Amérique Latine dans les années 70 ne furent vraiment en mesure d’appliquer à la lettre le fond de leur réalité ou idéologie (les premières obnubilées par l’impérialisme expansionniste, ont accaparé des espaces vitaux dans le Tiers monde sur fond de Guerre Froide au nom de la résistance contre le communisme soviétique et les secondes ont constitué à cette époque-là des exemples triomphants et sans commune mesure dans l’histoire de l’humanité de lutte des peuples pour leur auto-détermination) tandis qu’à l’heure présente, les nouvelles démocraties issues du «Printemps Arabe» semblent, à de rares exceptions près, se complaire dans leur rôle de gestionnaires du statu quo politique, laissé par les défuntes gérontocraties décimées par le dernier vent de révolte et les démocraties occidentales sont, comble de malheur et de hasard, devenues de véritables oligarchies financières ayant obligé la Grèce à se mettre à genoux devant les institutions financières européennes en bradant et sa souveraineté nationale et le droit de son peuple à une vie politique qu’il a choisie de ses propres vœux. Qui plus est, ces démocraties au «look» tranquille et au fond pourri ne font plus rêver les peuples de Sud qui ont découvert le pot aux roses des citadelles des puissants.

Mais au-delà de ce préambule, se pose une myriade de questions sur les possibilités qu’il y ait à désenclaver les peuples qui souffrent de la tyrannie? En Occident, en dépit de la clarté de cette problématique, les élites ont, depuis des lustres, mis les bouchées doubles pour l’expliciter mais en vain. Leur rhétorique volubile sous des dehors faussement humanistes s’est révélé inefficiente à aller aux racines du mal totalitaire. C’est pourquoi, on s’attarde sur le pourquoi et le comment de cette malédiction du pétrole qui enrage les masses arabo-musulmanes, jumelée comme par magie au malin virus de la tyrannie sans faire un tour succinct sur les dégâts collatéraux du colonialisme et de l’esclavagisme sur la conscience intergénérationnelle des peuples. Il semble bien que l’hypocrisie des élites occidentales a prêté main-forte à la couardise des politiques à tel point que les tragédies des autres peuples sont drapées par des stigmatisations aux relents racistes ( esprit de colonisabilité, infériorité civilisationnelle, incapacité de gestion locale, etc.). Ce qui a donné du grain à moudre aux nouveaux théoriciens, spécialistes des religions de surcroît. Lesquels recentrent leurs préoccupations sur des points de détail en essayant d’étudier à titre d’exemple le degré de compatibilité de l’Islam avec la démocratie et vice versa au lieu de s’interroger au moins une fois sur les empreintes et les tatouages du sang et de violence qu’aurait laissés indélébiles dans son sillage la Guerre d’Algérie (1954-1962) sur le corps des mémoires de tant de générations d’algériens et de français. Ces dernières sont somme toute perdues dans la saleté de la haine, de l’aversion et de l’intolérance. Les premiers balbutiements de cette précampagne présidentielle en France en révèlent sans doute un aspect affligeant.

Néanmoins, la réponse à ce flux d’interrogations, aussi partielle soit-elle, n’a pas tardé à venir, son auteur-expéditeur d’outre-tombe est un certain tunisien, jeune paumé et diplômé qui a souffert sous l’ère de «la flicocratie» du fuyard Ben Ali et de sa ribambelle de truands invétérés au sérail. Ce jeune-là que d’aucuns, par mépris condescendant ou négligence spontanée, croient naguère une âme anonyme, est devenu, contexte politique aidant, le mythe moderne et sans partage de la lutte des peuples contre «l’impérialisme-maison» et qui mérite le sobriquet du «Che» arabe. En effet, ce nouveau syndrome-là, la tyrannie s’entend, qui aurait fait son macabre apparition sur les terres des anciennes colonies, plus particulièrement les pays arabo-musulmans, au lendemain de la grande épopée indépendantiste menée par la vieille garde nationaliste, a généré durant son long périple et surtout dans sa dernière descente aux enfers, effet boule de neige oblige, des extrémismes tout azimuts sur fond d’ouverture démocratique (la recrudescence du phénomène islamiste avec des variantes de modération et la résurgence d’un certain laïcisme minoritaire avec un assaisonnement local). En revanche, la conscience citoyenne a fustigé tous les partis-pris et les double-faces, raison pour laquelle les autocraties restantes et qui sont au demeurant rétives au changement commencent à grelotter de peur. Dorénavant, aucun discours trompeur ou mystificateur d’ici et de là-bas sur ce concept fort séduisant de «bonne gouvernance» que chérissaient naguère les dictateurs vu qu’il colmate leurs brèches n’est plus acceptable, aucune tricherie ou manigance pour cirer les bottes crasseuses des régimes n’est plus permise, aucune manipulation, aucun mensonge n’a, ne serait-ce qu’une chance, pour être avalé. Les peuples en ont marre, ils ont tout compris! Ce jeu pervers du pouvoir et de la puissance ne les convainc plus jamais dans la mesure où ils savent pertinemment que le bât qui les blesse, c’est la tyrannie, la manne maudite, c’est le pétrole, le vice de forme, c’est l’humanisme et les «droit de l’hommisme», version guerre humanitaire. Tout le hic est là présent tandis que l’on cherche ailleurs les raisons du dégel à priori subit, puis progressif de ce trop plein du totalitarisme à l’échelle interétatique dans la région arabe. Il n’est plus inutile de signaler à ce titre que ces peuples qui vivent sur des îles lointaines à la lisière du monde en cachent sans doute dans leur subconscient quelques secrets. Ils savent maintenant que leur destin est entre les mains de leurs hommes et femmes. C’est pourquoi, la spontanéité de leur réaction a pu, en un temps record, déboulonner ces tyrans rouillés et pourris sur leurs chaises. Cette assertion n’est guère un constat surgi des analyses amatrices des plateaux de télévisions occidentales mais un postulat aux allures de l’évidence. Le monstre totalitaire et tyrannique qui aurait englouti des peuples entiers a tiré sa révérence en tant que système psychologique enraciné dans les esprits mais reste sur le plan des idées, des agissements et des comportements, songeons un peu au cas libyen actuel (la vendetta des milices, la guerre tribale, les représailles contre les anciennes tribus loyales de Kadhafi, etc.). Il est si judicieux de rappeler à cet égard que le despotisme prend plusieurs formes et apparences. En ce sens, l’on pourrait affirmer qu’il n’est guère limité à la structure brute des dictatures accomplies mais les dépasse pour dépeindre les fascismes d’après-guerre ayant caractérisé les temps modernes. Les exemples dans l’histoire sont légion, au terme de la libération de la France en 1945, les «collabos» du Vichy sont lynchés dans les rues par les résistants parce que accusés de s’être ralliés à la Wehrmacht hitlérienne et d’avoir été traîtres de la patrie. De même en Roumanie, après l’exécution du dictateur Ceausescu (1918-1989), nombre de ses adeptes furent torturés et humiliés par les révoltés «libérateurs». Incontestablement, les tortures de la prison irakienne d’Abu Ghraib en 2005 ont révélé et de façon fort humiliante l’envers du décor de la pseudo-démocratie de l’Oncle Sam. Au niveau de la sphère des «totalitarismes institutionnalisés», le dogme et les oukases deviennent monnaie courante, le despotisme atteint de la sorte un stade avancé de perfectionnisme, la terreur dirait Hannah Arendt (1906-1975) dans son ouvrage «les origines du totalitarisme» n’est pas seulement une méthode mais l’essence de la domination totalitaire, elle vise essentiellement la transformation des hommes en animaux résignés par le biais d’un endoctrinement pervers des consciences. Ainsi le verrouillage de la société rend-il les structures élémentaires et basiques de l’armature sociétale sujettes à une forme effrénée de déshumanisation et de désagrégation. Le rêve, cette fraîcheur des yeux comme dirait l’anthropologue et orientaliste franco-algérien Jacques Berque (1910-1995) devient un bandage des regards. Il n’est plus question désormais pour l’individu de se libérer de ses démons intérieurs, ou qu’il puisse effacer ses tragédies privées ou ses catastrophes historiques. Au contraire, il se jette à bras raccourcis et sans prévision sur la rationalité en s’acoquinant avec la logique de l’enfermement, du rejet de l’autre et de l’intolérance (idéologique, religieuse, et même culturelle). C’est dans cet esprit que les sociologues notamment l’anglais Karl Popper (1902-1994) parlent de «la société close». Laquelle est incapable de s’imaginer construire seule son avenir. Car, gagnée par l’esprit et la lettre du «folklore contestataire», elle s’endort sur les lauriers de l’anarchie. En ce sens, l’irréductibilité du phénomène totalitaire, ce mal radical est tel que les peuples se mettent devant le fait accompli, ou bien ils se révoltent ou bien ils restent prisonniers toute leur vie de la terreur. Atteinte d’un certain hiatus qui l’empêche de croire ne serait-ce qu’un bref instant à la réalité de sa présence au monde, la société qui vit sous ce régime, meurt dans l’anomie et la routine. Sous cette grille de lecture, l’on pourrait dire que les citoyens n’auront absolument aucune alternative pour survivre, sauf celle d’être sourdement plaintifs en rejetant et les responsables politiques et les institutions étatiques dont ils sont dépendants. Plus qui est, ils construisent «un mur de rupture» entre eux et le système social dans son ensemble en se terrant dans le repli ou la logique de «la dénonciation victimaire», un phénomène qui colle généralement comme des orties à des corps sociaux parsemés d’escarres, les contraignant de la sorte à une démangeaison parasitaire. A vrai dire, une société indisposée politiquement n’est plus en mesure d’accoucher du génie. Pire, elle est condamnée à ravaler ses nausées et à dépérir à petit feu «quand il y a saturation de contradictions et de conflits, quand un système ne peut pas résoudre de lui-même ses problèmes, soit il s’écroule, soit apparaît un système nouveau: «un métasystème» dirait le sociologue français Edgar Morin. Mais qu’est ce qu’un système social? Y-a-t-il vraiment un référent psychologique ou un paradigme structurel quelconque sur lesquels l’on saurait en bâtir une conception exacte? Nul doute, le phénomène de «décomposition-recomposition» des ensembles sociaux ou des unités sociologiques que ce soit dans le domaine politique, économique ou religieux devrait être le fait d’une dynamique endogène ou exogène de socialisation. C’est pourquoi, il est presque impossible de parler de l’existence d’un système social sans se référer à ses embryons primaires socialisés, c’est-à-dire ses sous-systèmes ou ses sous-structures (l’individu, la famille, la tribu…). Autrement dit, la société qui aspire à évoluer n’a qu’à renforcer ses assises d’en bas, l’individu est la source première de sa dynamique.

A cet effet, l’État ou la nation ne devrait plus s’atteler au bout du processus à un dressage social de son corps (répression, chape de plomb sur les libertés et dogmatisme idéologique) mais se verrait dans l’obligation de le nourrir et de l’entretenir au jour le jour au moyen de l’éducation et de la culture car la logique des exclusivismes et de la contrainte n’engendre que des dérapages et des violences. La socialisation dans ce cas précis ne sera guère conçue dans le sillage d’«un fatalisme bourdieusien» qui s’enlise dans la reproduction des inégalités et le renforcement d’une relève d’héritiers suiviste et dépourvue de créativité mais devrait se lire comme une dynamique optimiste et optimale de «reproduction de l’intelligence et du savoir-faire». Autant dire, une socialisation réactive et dynamique comme l’a décrite le sociologue Henri Wallon (1879-1962). Les expériences historiques l’ont amplement prouvé, le phénomène totalitaire se fracasse et disparaît de lui-même sur les brisées du rêve de solidarité sociale, du destin collectif et d’engagement citoyen. En effet, la conscience sans complaisance de la société est le principal frein à «sa barbarisation». Laquelle ne serait vraiment grave et contagieuse que lorsque le cancer du matérialisme grignoterait ses assises et entamera sa santé. Si l’on parle ici du matérialisme, ce n’est plus seulement sur le stade financier et matériel que l’on veut en circonscrire les contours mais surtout au diapason de la pensée. Il n’y a plus de mystère, les individus qui se rabattent sur le matérialisme comme ultime recours de survie ne seront plus en mesure de faire une synthèse valable et cohérente de leurs problèmes dans la mesure où ils ne sont pas élevés dans le giron d’«une pensée matérialiste», constructive et cohérente mais touchés par les effets collatéraux d’un «matérialisme réflexif», anarchique et destructeur. Dans l’autre versant, les responsables trouvent là matière à diversion. La polémique sur les dernières révoltes de janvier 2011 est à inscrire fondamentalement dans ce créneau. Les algériens se sont-ils seulement soulevés afin de faire baisser les prix de l’huile et du sucre? Sont-ils à ce point des gloutons de matières de base pour s’insurger pour une telle raison et de vaciller au gré de circonstances jusqu’au point de faire accroire le monde entier à ces inepties du vox-populi et de la nomenclature? De même les événements du printemps noir de 2001 en Kabylie sont balayés de la scène médiatique par une ambiguïté étourdissante sur leurs tenants et aboutissants. On n’a jamais su de quoi il s’agissait. De revendication identitaire, sociale, économique? Pour cause, l’élite a été malheureusement mise à la remorque du système au lieu d’en être la locomotive. Pourquoi les algériens sont-ils, à ce point, incapables de s’entendre sur leurs vœux, espoirs, enjeux ainsi que perspectives et les politiques tournent-ils le dos à leurs devoirs et surtout aux revendications des masses? L’on serait contraint d’induire de cette équation que l’Algérie a fait un bond symbolique mais combien mortifère de la logique totalitaire des années 70 et 80 au bruit de «la société de spectacle» des années 90 durant laquelle, la barbarie terroriste, agissante sur le terrain a été confrontée aux mensonges médiatiques et étatiques sur le «terrorisme résiduel». En ce sens, la machine de la propagande et des rumeurs a désacralisé les institutions de l’État et plongé le peuple dans l’hystérie et l’angoisse. On ne pourrait le dire autrement, les valeurs morales et l’éthique sont déracinées de leur sens civique et les postes de responsabilité sont convoités non sur la base des honneurs et du crédit qu’ils donnent mais hélas sur les gros pactoles qu’ils génèrent, le statut de député si honorifique soit-il, est devenu source de toutes les manigances. Ainsi, l’appartenance et l’adhésion à un parti politique quelconque en Algérie se fait, à quelques rares exceptions près, sur la base de logiques purement végétatives, tribales ou carriériste. Point d’idées ni de projets en tête pour devenir représentant du peuple, l’essentiel est que tu contribues à la montée de l’applaudimètre strictement démagogue de la nomenclature et du cercle des «décideurs». A cet effet la compétence n’est plus considérée comme un critère dans la confection des listes électorales mais comme un appendice certain au culte du mensonge, à la maîtrise des tours de passe-passe et de la soumission sans concession aux vœux du chef. D’un autre côté, le régime comme s’il est touché il y a longtemps par un daltonisme chronique, redécouvre en fin de compte juste à côté de lui les citoyens qu’il aurait oubliés depuis au moins une législature de 5 ans et diligente une large campagne d’envoi des sms pour les inciter à accomplir leur devoir patriotique: le vote. Mais qui va garantir demain la transparence des prochaines élections législatives? Le régime qui est coincé dans ses contradictions existentielles, les partis politiques qui n’arrivent même pas à structurer leurs rangs en raison des embrouilles internes qui les étouffent ainsi que la maladie de la gérontocratie, du zaîmisme et des navettes vertigineuses dans l’orbite du régime qui les mettent à la marge du potentiel lectorat, la société civile qui peine à s’arracher une autonomie réelle, le peuple qui est atomisé par les affres de la guerre civile (1992-2000) et qui nécessite une thérapie qui le soulagerait ou tout simplement ceux-là qui ont fait un hold-up de la volonté populaire à la Neaglen en 1997? Qui donc va garantir la transparence de ces élections, inspirer la confiance populaire et éviter ainsi le syndrome de boycott? A dire vrai, aucun élément de réponse n’est décelable à l’heure présente. Car, l’Algérie qui devrait choisir sa voie et tracer ses objectifs à moyen et long terme pour rattraper le retard de presque trois décennies de sous-développement, s’enlise encore davantage dans des dérives totalitaires très graves, badigeonnées par les mensonges de la société de spectacle.

Kamal Guerroua
9 mars 2012 

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