Ma mère a dit
demain sera autre.
J’ai répondu par mon silence
et me suis incliné
sur mes souvenirs…

Mes noires pensées dans la nuit sont comme le reflet d’un écran télé. Plongé dans le vide sidéral de la disparition subite de ma mère, tout désormais est rempli de son absence. Ma mère n’est plus, ma douleur est indéfinissable. Je me retourne et c’est le néant. Je n’entendrai plus le frou-frou de ses belles gandouras sétifiennes, qui lui donnaient toujours, un air de fête et d’élégance. J’essaie de trouver du sens au monde autour de moi, mais tout s’est engouffré dans le néant que je porte. Tout a perdu son sens, les êtres, les choses, la manière de les dire…

Ma douleur, est indéfinissable et je suis désormais orphelin. Ah ! Combien me peine l’instant de ton absence subite… L’olivier noueux de la tribu des Ouled Gacem, a été foudroyé. Si pour Oscar Venceslas de Lubicz Milosz, « toute maladie, est une confession par le corps », ma mère Maïssa, a raconté par le menu détail de son calvaire physique, son destin de femme homérique. Les grands êtres ont cette marque qui fait qu’ils ont confiance en la vie et se mesurent toujours à l’impossible ; ma mère est de ceux-là. Une force tranquille et sereine, ne quittait pas son visage, avec un œil malicieux, d’une intensité pénétrante. La quiétude de ma mère, ressemble à celle des gens humbles. Elle évoque les temps durs de jadis, l’attachement à la terre et le souffle poétique qui rime avec l’Algérie. Elle descend de la tribu des Ben Ghamès d’El Ouricia, qui a donné la branche des Aggoun et celle des Bensemra. Je comprends pourquoi, il faut avoir une mère, pour avoir une patrie.

J’ai vu des fois, les éclats d’un rire franc et communicatif qui venait gerber de mille feux, sur ce visage d’habitude pondéré qui s’éclairait subitement. Comme dit le sage, « le pessimisme est d’humeur, l’optimisme de volonté ». Je l’ai vue, à un âge avancé, faire sa valise truffée de cadeaux, et essayer de faire le tour du monde de tous les bonheurs possibles. Quand elle les raconte, ses voyages, sont toujours heureux. Il n’y a pas d’hiver, dans le cœur de ma mère. Il y fait beau et le ciel est bleu comme celui de mon pays. La quête du bonheur, au bout du compte, n’est qu’une manière de prendre du champ par rapport à elle-même, à la douleur, la perte cruelle de mon frère Boubaker, celle de mon oncle Amar, la disparition de mon père et celle toute récente de sa sœur, ma tante Zakia. Pour elle, c’est toujours un instant volé à la douleur, un instant volé au deuil. Ma mère a développé et affuté un savoir vivre qui nous lègue une certaine manière du savoir mourir. Elle se donnait tant de mal, pour souffrir moins. S’il faut paraphraser Malcolm de Chazal, pour qui chaque oiseau à la couleur de son cri, on peut sans crainte de se tromper affirmer que le cri familier de Maïssa, était la fureur de vivre. La vie pensait-elle, est une voie qu’il s’agit de parcourir de bout en bout. Elle n’arrêtait pas de marcher, le sourire toujours accroché aux lèvres. Même en équilibre instable, elle continuait de marcher. C’est bien simple, elle qui n’a presque pas été à l’école, à part un passage rapide dans un ouvroir, pour apprendre à tisser les tapis, elle a développé une attitude très scolaire, par rapport aux choses de la vie. Elle allait toujours voir.

De ma mère, j’ai appris, je crois, que vivre, c’est être tout le temps en difficulté. Elle nous a légués, cette perception vitale du métier de vivre. Elle n’était pas vieille car elle donnait l’impression d’être tout le temps projetée dans l’avenir et de défier le temps qui passe et l’angoisse existentielle. Elle contemplait le monde, sans vouloir prendre part au temps qui passe et à l’inéluctable destin. Des fois j’étais pitoyable devant tant de caractère : « Ce n’est rien ! C’est un cap difficile à passer », disait-elle.

Elle vécut orpheline toute petite et fut privée d’affection. Elevée par son oncle maternel Ali qui, dans la société sétifienne, faisait partie un peu de la classe des évolués en quête d’une possible intégration dans la société coloniale, ma mère venue d’un monde infra-social, mon grand père étant un manœuvre journalier de la société coloniale des chemins de fer, est propulsée dans un univers citadin, en plein centre de la ville européenne. Son oncle Ali, qui a le certificat d’études primaires, ce qui est un signe distinctif des élites indigènes, est un fonctionnaire de l’administration française des postes, téléphone et télégraphe (PTT, à l’époque). Oncle Ali, comme on l’appelait lorsqu’on était enfant, était affilié au parti des élites algériennes, l’UDMA, de Ferhat Abbas, dont Sétif était le berceau et le fief. Son éveil à la conscience nationale va être progressif et il va, plus tard, servir la cause nationale à travers sa fille Fatima Zohra, qui sera une héroïne de la lutte de libération nationale, dans les maquis de Jijel.

Ma mère a été adoptée par son oncle, comme sa propre fille. Elle a grandi avec sa fille aînée, Fatima Zohra et considérait cette dernière comme une sœur. Avec Hadda, la femme de khali Ali, ma mère a fait ses premières classes de la vie domestique, avec toute la rigueur qu’exige un tel apprentissage, pour une enfant de sept ans. Elle a gravi les échelons de la vie ménagère, avec tout ce que cela implique comme échec recommencé et crainte de décevoir la rigueur sévère de la maîtresse de maison qui était d’une exigence somme toute très élevée, reconnaissait ma mère. Les leçons apprises et payées à prix fort, ont fait de ma mère une maestria, comme maîtresse de maison. Ma mère a appris, a réappris à manger avec parcimonie, à marcher, à regarder droit devant elle. Rien ne peut détourner son attention du but qu’elle s’est fixée.

Layachi Mahdi
18 septembre 2010

14 commentaires

  1. le paradis pour l’ homérique
    Je comprends qu’il vous est difficile sinon impossible de conclure votre ode à l’ homérique

     » Rien ne peux détourner son attention du but qu’elle s’est fixé ». Pas même la mort., elle a sa place au paradis des humbles qui avancent tête haute et le regard droit . Je ne peux pas encore parler de la mort de ma mère que j’essaie « d’oublier tous les jours »( Alexakis ) et vous texte ma touché.

    Allah Yarham Maïssa.

    • Votre lecture a été pour moi un bol d’air. Je vous en remercie. J’ai partagé une profonde douleur avec quelqu’un qui sait de quoi il s’agit.

    • Magnifique Hommage
      Merci pour cet Hommage légitime au noms de toutes les mères du monde…..

      • très beau… c’est un texte qui exprime toute la douleur du monde et l’amour pour une mère que l’on admire. Cela fait du bien de prendre du recul pour exprimer cela. Amicalement, eric

        Eric Tistounet

        Chief of the Human Rights Council Branch

        Office of the High Commissioner for Human Rights

        • douleur est tristese
          j’essais de faire comme ils sont tourjours parmis

          nous tout les matin.

          ma douleur es profand caché par mes paroles matriste et visible par mon regards

          le mondeest grand la vie trops petite.

          merci de cette hommage .

        • Eric, mon ami
          Merci. Très sensible à ton message et de la lecture que tu fais de mon texte. J’ai lu de mon côté, avec grand plaisir, une partie de ton oeuvre et je voudrais que tu trouves ici l’expression de ma profonde amitié.

        • Eric, mon ami
          Merci. Très sensible à ton message et de la lecture que tu fais de mon texte. J’ai lu de mon côté, avec grand plaisir, une partie de ton oeuvre et je voudrais que tu trouves ici l’expression de ma profonde amitié.

  2. une pensée
    Nous somme à Dieu et à lui le retour…..

    j’ai les larmes au yeux mon frére.

    on dirait que c’est un rêve ce n’est pas vraie que maman nous a quitté.

    Je prie Allah qu’il l’agré amin

    Merci frère.

  3. Une très grande dame
    Pour l’avoir cotoyé, il s’agissait d’une très grande dame par le coeur la foi en dieu et l’amour pour ses enfants.

    Un regard d’une grande profondeur d’âme et qu’Allah l’agrée au paradis et qu’elle soit heureuse auprès d’Allah.

    Salam

  4. Merci
    Merci de nous avoir fait partager ce magnifique texte qui rend hommage à ta maman que nous avons aimé, nous associons nos mamans qui nous ont quitté.

    • Merci Saïd de m’avoir fait partagé ce magnifique hommage à ta maman. J’aurais aimé la connaître …mais j’ai la chance de connaître son fils depuis des années et je suis fière d’être son amie.
      Bri

  5. J’ai vu des fois, les éclats d’un rire franc et communicatif…c’est ce qui m’a marqué en khalti maissa toujours souriante;douce et caline avec nous.

  6. La mort ne peut être imaginée, puisqu’elle est absence d’images. Elle ne peut-être pensée, puisqu’elle est absence de pensée. Il faut donc vivre comme si nous étions éternels.
    [André Maurois]
    trés touchent. quand je lis votre article ses personnage qui m’ont donné la tendresse et affection de la famille surtout les deux tantes cousin mes tantes sont agravé dans ma pensée hacine …..

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