Je suis Jean Mohammed de la Bastille ! Je suis descendant de sans-culotte ! Moi, je suis français. Vous ne me croyez pas ! Venez donc me voir dans les galeries du Louvre. Je suis à côté de Gavroche et de Marianne, La Liberté guidant le peuple. Le basané, c’est moi, en 1832. J’étais déjà là pour la Bastille.

Je suis héritier de la liberté comme tous les enfants de la communauté française. Je suis français depuis toujours. Et je ne comprends pas que l’on me pose la question de mon identité depuis ma naissance. La naissance, c’est bien cela dont il est question à la vérité. Comme sous l’Ancien Régime.

En effet, l’unique cause des tensions sociales qui s’amplifient et se teintent d’un voile communautariste et religieux, est la non-redistribution des richesses, conjuguée à l’appropriation par notre société, dirigeants politiques et médias en tête, du modèle sociologique de la maison mère d’outre-Atlantique.

Vos petits « rebeus » en mal d’intégration, « baby-terroristes en devenir », sont des purs produits du terroir média-politico-financier français. Ils se prennent pour des Blacks Panthers américains qui luttent contre l’esclavage. Ils dealent, ils volent, ils braquent, ils brûlent, ils agressent en jurant à tour de bras. Tout cela au nom de ce que l’on a fait à leurs parents. Leur icône : Tony Montana. Scarface. Superproduction américaine. Leur musique : 50 Cent, Eminem,Marvin Gaye… Leur resto préféré : le McDo. Tu parles de rebelles, de terroristes… ils sont labélisés depuis leur caleçon jusqu’à leur ceinturon. Ils sont américains.

Et c’est un peu normal quand on sait que la seule activité qu’on leur proposait, enfants, en dehors de l’école ou de la rue, c’était la télé. Leur communautarisme grandissant n’est que l’écho de la mosaïque éclatée qui sévit à Harlem, à Watts, dans le Bronx. D’ailleurs nous sommes tous américains. Nos élites intellectuelles et artistiques, quand elles ne vivent pas à New York, même lorsqu’elles se revendiquent labélisées « Terroir de France », oublient tout dès qu’un contrat, un studio, une interview leur sont proposées à l’Ouest. Aujourd’hui nombre d’entre eux sont les vecteurs de cette « saxonite » chronique. Ils sont loin, nos Gabin, de Gaulle, Coluche, Hugo, Jaurès, Brel…

Je suis Jean Mohammed de la Bastille ! Je suis héritier de la liberté mais pas de l’égalité. Il me semble que, contrairement à nombre de mes concitoyens, je n’y aurai jamais droit. Et je ne vous parle pas d’égalité des chances. Non, je me débrouille, je travaille. Je vous parle de silence. Qu’une année s’écoule sans que des stratégies marketing électoralistes viennent remettre en cause ma conviction intime d’être français. Le droit à l’anonymat.

Cela fait trente et un ans, depuis mon premier souffle, que ce qui me distingue, me caractérise et on peut même dire me résume, c’est le fait que je sois un rebeu. Attention ! Je suis rebeu mais sympa, je m’intègre, je suis agnostique.

Je suis un rebeu mais je fais la fête, je joue de la guitare pour chanter du Brel, du Brassens. Je suis un rebeu mais je travaille, j’ai fait des études. Le pire, c’est que cette manière de concevoir ma place dans la société n’appartient pas seulement à ceux qu’on pourrait appeler « racistes ». Non, je vous parle de l’ambiance générale. Les bobos, les babas et les bling-bling ont tous dans leur caboche une ou deux petites blagues, deux ou trois craintes sur ces chers Français… d’origine maghrébine.

Tout ce que je revendique, c’est le droit à l’anonymat. Mais c’est dur, parce que moi je ne suis pas comme les autres. Et le problème, c’est que, à tous les étages sociaux de notre pays, on n’invite pas ou peu ces derniers arrivés, à venir manger un bout, écouter de la musique… Cette réalité suit un gradient qui se confond avec celui du niveau social. Remarquons que, dans les réceptions de l’ambassadeur ou de l’Elysée, il importe peu que l’on soit rebeu, ou pygmée, ou… l’argent remplace tous les passeports.

Je vous demande au moins de bien vouloir considérer que tous les rebeus ne sont pas musulmans. L’islam est une religion à laquelle il faut croire, ce n’est pas un gène conquérant qu’on se transmet de génération en génération. Un rebeu, ça a un cerveau, malgré ses manières un peu sauvages, violentes.

Parfois même ça réfléchit. Et des fois, quand ça réfléchit, ça construit des idées personnelles. Ça peut même s’intéresser à l’évolution, à Darwin et faire des études en paléontologie sur l’origine des hominidés…

Je suis Jean Mohammed de la Bastille ! Je suis français ! J’aime la France, sa culture, sa cuisine, son culot ! Mais je n’aime pas ce qu’elle est devenue. Qu’elle n’assume pas l’importation des dysfonctionnements du modèle social, économique et diplomatique de la nouvelle Rome, et qu’elle interprète auprès du public son incompétence et son manque d’honnêteté intellectuelle par un prétendu problème d’identité nationale, là je dis non.

Mounir Aberkane
30 décembre 2009

Source : http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/12/30/je-suis-jean-mohammed-de-la-bastille-par-mounir-aberkane_1286019_3232.html

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