Israël ne se contente pas de violer le droit, il s’emploie à détruire le droit. Il soutient l’impunité et s’oppose à la justice internationale applicable à ses ressortissants.

L’Etat hébreu a asséné deux coups durs à la compétence universelle et il est en train de lui porter un troisième coup. Il s’évertue à mettre en échec plusieurs décennies d’efforts dans le sens du progrès des droits de l’homme. Il s’érige de la sorte en défenseur des tyrans et des tortionnaires, en soutien des crimes internationaux les plus abominables.

Rappelons que la compétence universelle est un instrument qui permet de poursuivre les présumés coupables de crimes de guerre, de crimes de torture, de génocide ou de crimes contre l’humanité devant les tribunaux de tous les pays, quels que soient le lieu de ces crimes, la nationalité des auteurs et celles des victimes.

La compétence universelle est un outil extrêmement important de la lutte contre l’impunité. Son effet dissuasif permet de réduire sensiblement les atteintes les plus graves aux droits humains.

Aujourd’hui le monde se rétrécit, les frontières ont de plus en plus tendance à disparaître, la compétence universelle contribue à la bonne marche de la justice en contournant les obstacles de nationalité et du lieu de l’infraction pouvant servir d’alibi à des criminels. Ceux-ci, au moyen de la compétence universelle, peuvent être poursuivis et jugés où ils se trouvent sur simple dénonciation ou plainte.

Ce principe est le fruit d’une longue lutte contre la tyrannie et les multiples violations des droits de l’homme. Dès l’arrestation de Pinochet, les militants des droits de l’homme ont vu dans cet événement un début de victoire de la justice sur le crime et l’impunité. La peur commençait à gagner certaines figures emblématiques de la dictature, d’autant plus que le développement des moyens de communication contribuait à leur dénonciation.

Le premier signe de l’application connue de cette règle fut l’inculpation du dictateur chilien Augusto Pinochet par le juge Baltasar Garzón, qui ordonna, sur la base d’une plainte déposée par des victimes espagnoles, l’arrestation du général à Londres en octobre 1998 par le truchement d’un mandat d’arrêt international.

La loi belge de 1993 fut une heureuse initiative et un espoir de justice également aux yeux de beaucoup de victimes pour lesquelles toutes les portes de la justice étaient closes. Ce qui explique l’avalanche de plaintes déposées en Belgique, concernant notamment le génocide du Guatemala, du Tchad, du Rwanda l’affaire Hissène Habré, l’affaire Pinochet, Sabra et Chatila, la plainte à l’encontre du général Tommy Franks de l’armée des États-Unis, pour des atrocités qui auraient été commises à l’occasion de l’invasion de l’Irak, l’affaire Bush, etc.

Suite à l’inculpation d’Ariel Sharon, alors premier ministre, impliqué dans les massacres de Sabra et Chatila, Israël a décidé de rappeler son ambassadeur. La presse israélienne se déchaîna contre la Belgique. On y pouvait lire entre autres :

« Israël n’a pas caché sa fureur à la suite de cette décision qu’il a qualifiée de « scandaleuse provocation » et de « calomnie » et a immédiatement réagi en rappelant son ambassadeur à Bruxelles, Yehoudi Kenar, pour « consultations » (1).

De son côté, Ariel Sharon, mène une campagne diplomatique intensive contre la Belgique avec menaces de rupture de relations diplomatiques.

Du coup, un projet d’amendements fut élaboré, limitant cette loi à « des cas ayant de manière claire un lien avec la Belgique, par exemple quand les victimes ou les suspects sont de nationalité belge ».

De nombreuses ONG, dont Amnesty International, ont vivement critiqué ce « revirement brutal » (2).
 
Le 29 juillet 2003, la loi de compétence universelle de 1993 est définitivement abrogée.

« Cette loi pionnière du 16 juin 1993 concernant « la répression des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et aux Protocoles additionnels I et II du 8 juin 1977 » avait été saluée par certains comme un pas en avant vers une démocratie mondiale » (3).

« Avec son ancienne loi de compétence universelle, la Belgique contribuait à détruire le mur d’impunité derrière lequel les tyrans du monde entier s’abritent pour couvrir leurs crimes. Il est vraiment regrettable que la Belgique oublie, aujourd’hui, les victimes pour lesquelles son système judiciaire représentait un espoir de justice. » (4).

En Espagne, la compétence universelle est mise en œuvre à partir de 2005, quoi que légalement reconnue bien avant cette date.
 
Il est énoncé au paragraphe 4g) de l’article 23 de la loi n° 6/1985 du 1er juillet 1985 portant organisation du pouvoir judiciaire que la juridiction espagnole est compétente pour connaître des (crimes de torture et de génocide commis en dehors de l’Espagne) délits qui, en vertu des instruments ou Conventions internationaux, doivent être poursuivis en Espagne.

Par décision du 5 octobre 2005, le Tribunal constitutionnel, rappelant que le principe de compétence universelle est exclusivement fondé sur les caractéristiques particulières de crimes contre l’humanité et du génocide qui, par leur nature, blessent non seulement les victimes de ces crimes mais également la communauté internationale dans son ensemble, a affirmé que la justice espagnole est compétente, quelle que soit la nationalité des victimes et que « le principe de compétence universelle prime sur l’existence ou non d’intérêts nationaux ».

Dans la même décision, le tribunal constitutionnel assure que « pour l’activation de la juridiction universelle extraterritoriale, il devrait suffire que des indices sérieux et raisonnables de l’inactivité judiciaire soient apportés ».

Le 20 janvier 2009, le juge Fernando Andreu Merelles décida d’ouvrir une enquête pour crime de guerre contre sept responsables israéliens impliqués dans le bombardement d’un immeuble d’habitation du quartier Al-Daraj de Gaza. Parmi les inculpés, le général Dan Haloutz, alors chef d’état-major de l’armée ; Benjamin Ben-Eliezer, alors ministre de la Défense ; Moshe Yaalon, ancien chef d’état-major ; Doron Almog, ancien commandant de la région Sud.

Pour rappel, le dirigeant du Hamas Salah Shehadeh fut tué lors de cette opération avec quatorze civils, pour la plupart des enfants et cent cinquante blessés, dont la moitié grièvement. «Des habitations voisines furent partiellement ou totalement détruites. […] La plainte avait été déposée sept mois auparavant par six victimes palestiniennes « du fait [qu’il avait été] impossible d’engager des poursuites pénales devant les autorités judiciaires israéliennes.» (5).

En août 2008, la cour espagnole demanda aux autorités israéliennes si une procédure était en cours. Elle déclara cinq mois plus tard que « les faits peuvent et doivent être instruits par la cour espagnole, d’autant qu’aucune réponse n’a été apportée par l’Etat d’Israël et qu’aucune preuve n’a été donnée sur l’ouverture d’une enquête sur ces faits. » (6).

Il n’empêche que l’Etat d’Israël finit par protester contre la justice espagnole, lui demandant de s’en dessaisir du fait qu’une procédure était en cours en Israël.

Israël multiplie les pressions contre l’Espagne, certes les Etats-Unis et la Chine s’y sont jointes, mais C’est l’Etat hébreu qui avait agi plus activement et sans relâche jusqu’ à ce que le Sénat espagnol ait limité, le 19 mai 2009, la loi sur la compétence universelle laquelle ne devait s’appliquer désormais qu’à des plaignants de nationalité espagnole ou à des sujets présents sur le territoire de l’Espagne.

Les organisations de défense des droits de l’homme ont condamné cette décision. La section espagnole d’Amnesty International a parlé d’un « jour de deuil pour la justice internationale ».

Ces jours-ci, Londres s’est trouvé confronté au même problème. La justice britannique est sur la ligne de mire de la propagande israélienne, toujours pour le même motif : torpiller la compétence universelle.

Suite à une tempête médiatique au sujet d’un mandat d’arrêt émis par « un tribunal britannique » contre l’ex- ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Livni, pour son implication dans l’attaque sur Gaza l’hiver dernier, celle-ci aurait annulé sa visite à Londres.

La machine de propagande sioniste est mise en mouvement.

«Israël rejette la procédure judiciaire cynique engagée par un tribunal britannique contre Tzipi Livni à l’incitative d’éléments extrémistes», a déclaré dans un communiqué le ministre israélien des affaires étrangères.

Mardi, l’ambassadeur de Grande-Bretagne en Israël, Tom Phillips, a été convoqué au ministère des Affaires étrangères à Jérusalem pour « se voir signifier une protestation du gouvernement israélien. La plainte déposée à l’encontre de Tzipi Livni porte sur ses fonctions de chef de la diplomatie israélienne durant l’opération menée par Tsahal l’hiver dernier à Gaza. »

Cette mise en garde amena le chef de la diplomatie britannique David Miliband à déclarer le soir même « examiner les façons de changer son système pour éviter des cas similaires à l’avenir ».

« Les autorités britanniques ont assuré mardi qu’elles cherchaient de façon urgente à changer leur système légal, après les vives protestations d’Israël contre un mandat d’arrêt émis par un tribunal britannique à l’encontre de l’ex-ministre israélienne Tzipi Livni. » (7).

A propos du pseudo mandat d’arrêt britannique contre Tzipi Livni, rien ne permet de croire à l’émission d’un tel mandat. Quel est le juge qui aurait émis ce mandat ? Aucun nom de magistrat n’a été cité ! Ce n’est qu’une manœuvre du Mossad israélien dans le souci de parvenir à cette même fin : anéantir la compétence universelle.

On assiste donc à des agissements à contre-courant de l’évolution du doit en général et des droits de l’homme en particulier. Cette situation interpelle plus que jamais les juristes indépendants et les Organisations de défense des droits de l’homme dont le silence ne saurait être toléré, car il y va non seulement des droits de l’homme mais de la paix mondiale. Il n’y a que la violence comme alternative au droit, et la guerre comme alternative à paix.

Il n’est guère étonnant de constater ces dernières années un certain débrayage, voire un recul de la lutte pour le respect des droits de l’homme. Certaines ONG parmi celles que je connais personnellement pour leur dynamisme, leur courage et leur abnégation, semblent faillir baisser les bras.

Il est temps de se mobiliser d’une part pour barrer la route à ces menées subversives contre le droit, la justice et tous les moyens permettant le bon fonctionnement de leurs mécanismes juridiques et institutionnels, et d’agir, d’autre part, de manière à ce que les auteurs des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité soient déférés devant la Cour pénale internationale ou, pour les crimes commis avant 2002, devant les juridictions nationales et internationales non encore affectées par lesdites attaques.

Il y a lieu de rappeler, en guise de conclusion, les dispositions de l’article 146 de la IV° Convention de Genève faisant obligation aux Etats parties de « prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention définies à l’article suivant.

Chaque Partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes. »

Ahmed Simozrag
17 décembre 2009

Notes

(1) Libre Belgique (lalibre.be), 13 février 2003.
(2) Source Fil-info-France.
(3) Compétence universelle : Wikipédia.
(4 Ibid. Citation conjointe Amnesty International Belgium, la Ligue Belge des Droits de l’Homme, Liga voor Mensenrechten, Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), Human Rights Watch et Avocats sans Frontières.
(5) Le Monde diplomatique, septembre 2009
(6) Ibid.
(7) AFP 15 décembre 2009, 16H 24.

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