Une extraordinaire mobilisation populaire, médiatique et gouvernementale a insufflé aux joueurs algériens une force physique et mentale qui leur a permis de battre une solide équipe égyptienne et se qualifier au Mondial 2010. Cette victoire est celle de tout un peuple uni derrière son équipe nationale. Mais elle est surtout celle d’un homme, l’entraîneur Rabah Saâdane. D’une grande simplicité et humilité, il a acquis popularité et notoriété grâce à un parcours semé de trophées.

Saâdane dirigeait déjà l’Algérie au Mondial 1986, il y a de cela 23 ans. Les joueurs qu’il coache aujourd’hui, et les milliers de supporters qui ont envahi Khartoum, étaient des gamins ou n’étaient même pas nés.

La FAF avait choisi de rappeler Saâdane, pour la cinquième fois en octobre 2007. Il fut déjà membre du staff en 1981-1982, puis coach en 1984-1986, 1999, 2003-2004. Saâdane venait juste de remporter la Ligue des Champions arabes avec l’ES Sétif. Avant de revenir en Algérie, il avait fui la traversée du désert du football national en allant entraîner le Raja Casablanca au Maroc, l’Etoile du Sahel en Tunisie et le Yemen.

La satisfaction sincère de cette qualification tant attendue, qui fait chaud au cœur dans un pays trop habitué aux défaites, ne doit surtout pas nous cacher les anachronismes d’un Etat qui marche à reculons sans jamais savoir consolider ses acquis ni les fructifier. Que s’est-il donc passé entre 1986 et 2009 ?

Comme tous les autres secteurs, le football algérien a été saboté par les impostures, l’amateurisme et l’incurie à la tête des instances dirigeantes des clubs et de la fédération. Des opportunistes obscurs qui n’ont rien à voir avec le football ont chassé les vrais footballeurs qui ont gravé leurs noms dans le marbre de nos mémoires sportives. Tous les ressorts d’organisation et de fonctionnement qui doivent relier les générations et transmettre les flambeaux des victoires ont été cassés.

Rabah Saâdane est un des fruits du travail de fond accompli par les grands joueurs de la glorieuse Equipe du FLN qui ont servi de modèles à des générations de footballeurs (Arribi, Kermali, Maouche, Zitouni, Mekhloufi, Soukhane, Rouaï, Zouba, …).

Le plus célèbre d’entre eux, Rachid Mekhloufi, reste le meilleur joueur et buteur de l’histoire du club de Saint-Étienne avec 116 buts. Des sommités du football français, comme Aimé Jacquet ou Jean-Michel Larqué, qui ont joué à ses côtés, parlent encore de lui sur le ton de la déférence comme leur Maître. Son passage à Saint-Etienne avait marqué le club, suscité des vocations, et lancé les formidables épopées des Verts stéphanois.

Après l’indépendance et à la fin de leur carrière, Mekhloufi et tous ces footballeurs émérites du FLN, qui ont prouvé leur nationalisme sur le terrain, ont pris en main les structures des clubs et des équipes nationales. C’est à eux qu’on doit l’éclosion de toute une pépinière des joueurs talentueux des années 70 et 80, dont l’aboutissement a été la victoire historique contre l’Allemagne au Mondial 1982. Le monde du football découvrait de surprenants joueurs faisant preuve d’une «parfaite maîtrise technique et d’une conduite souveraine du ballon». Une nouvelle génération de footballeurs avait pris la relève de l’Equipe du FLN. A cette époque, tous les joueurs émigrés rêvaient d’endosser le maillot national, comme Dahleb, Zitouni, Korichi, Maroc, etc…

Les joueurs locaux les plus talentueux ont été courtisés par les clubs européens, comme Madjer, Assad, Belloumi, Guendouz, … L’Algérie devenait un producteur de footballeurs de talent qui s’exportaient comme le Brésil, l’Argentine ou la Yougoslavie.

Que reste-t-il aujourd’hui des héritages sportifs de ces générations glorieuses? Rien. Des imposteurs à la tête des clubs et de la fédération ont chassé les Mekhloufi, Madjer, Assad, Belloumi, … D’illustres inconnus qui se disputent comme des joueurs de quartier ont pris la place des professionnels connus et respectés mondialement.

Rachid Mekhloufi se morfond dans sa maison d’El Marsa en Tunisie. Rabah Madjer en a marre de jouer au commentateur sportif pour des télévisions. Salah Assad a été interné quatre ans dans les camps du sud. Meziane Ighil et Lakhdar Belloumi ont été jugés dans l’affaire Khalifa. Guendouz et les autres ont disparu, chassés de l’encadrement du football national.

L’appât du gain a gangrené des dirigeants affairistes et des joueurs «starlettes». Les clubs ne produisent plus de footballeurs de talent, à part quelques exceptions qui confirment la règle et ne cherchent qu’à s’expatrier.

Sur les 24 joueurs sélectionnés pour les matchs de qualification au Mondial 2010, les deux tiers jouent dans des clubs étrangers. La plupart sont nés, ont grandi et ont été formés à l’étranger. Sur la dernière feuille de match du « onze » rentrant à Khartoum, il n’y avait qu’un seul joueur local, le surprenant gardien de but  de l’Entente Sétif, Fawzi Chaouchi, héros d’un soir.

Rabah Saâdane a réussi à bâtir une équipe soudée et solidaire sur le champ de ruines du football national grâce à des joueurs cadres au fort sentiment patriotique comme Ziani, Yahia, Belhadj, Saifi, Mansouri, …

Malgré cette qualification fort bienvenue, il ne faut surtout pas se voiler la face et se bercer d’illusions. Le rappel de Saâdane est en soi un terrible aveu d’échec. Le syndrome du président à vie et du premier ministre à vie va-t-il aussi devenir celui de l’entraîneur à vie ?

Le football n’est pas seul à subir l’incompétence, la régression et la décadence de la gouvernance du pays. D’autres sports qui avaient hissé haut l’hymne et le drapeau algérien ont périclité dans l’indifférence générale, comme le hand-ball de Aziz Derouaz ou l’athlétisme de Nourredine Morceli.

Saâd Lounès
19 novembre 2009

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