En ce « dérèglement du monde » (1), au fil des lectures, on déniche un article relatant des souvenirs réjouissant tant les cœurs que les âmes éprises de justice sociale de par le monde. L’article signé d’un capitaine devenu général de réserve, Franco Charais, s’adonnant à la peinture, rappelle les moments heureux quand les bruits des bottes s’étaient faits sourds, enthousiasmant les jeunesses du monde entier, militants de gauche entres autres, affluant des quatre coins du monde pour saluer les militaires portugais instaurant la démocratie.

Que reste-il de la « révolution des œillets » ? (2)

Trente cinq ans après le renversement de la dictature par les militaires, le Portugal est devenu un pays néolibéral comme les autres, déplore à l’Express de Lisbonne en cette année 2009 Franco Charais l’un des acteurs du mouvement de 1974. A cette époque le programme des forces armées (MFA : groupe de militaires à l’origine de la « révolution des œillets ») enjoignait à l’exécutif de développer une politique en faveur des classes défavorisées. Le MFA prônait un développement économique croissant qui permettrait au Portugal d’en finir avec la pauvreté. Selon nombre d’historiens, la Constitution adoptée par l’assemblée constituante élue le 25 avril 1975 fut l’une des plus avancées du monde.

Les élections de 1976 permirent la victoire des socialistes qui décidèrent de se défaire du socialisme pour gouverner avec une politique néolibérale. Et en trente cinq ans d’alternance des deux plus importants partis démocratiques (parti socialiste et parti social démocrate de droite), une société composée d’une élite de plus en plus riche et d’une population de plus en plus fragile a vu le jour. L’appareil économique nationalise a été peu à peu privatisé et les moyens obtenus ont servi à couvrir les déficits publics. L’adhésion à l’euro a imposé des règles strictes en matière de déficits sous peine de sanctions. Et les Portugais voient disparaitre des acquis qu’ils avaient conquis ces 35 dernières années même si le pays s’est amélioré (construction de nombreux hôpitaux et autoroutes, les universités se sont multipliées, les marinas ont fleuri et se sont remplies de yachts etc.).

En conclusion, on peut dire qu’au Portugal, comme en Algérie, la politique néolibérale améliore le sort de l’élite et laisse la majorité du peuple dans le dénuement, les pauvres devenant de plus en plus pauvres, les classes moyennes étant en voie d’extinction. Ce qui est loin de la « révolution des œillets » et des idéaux de la révolution algérienne.

Nourdine Amokrane
15 octobre 2009

Notes

(1) Le dérèglement du monde : Quand nos civilisations s’épuisent, Amin Maalouf, Grasset & Fasquelle (2009).
(2) « Balayée, oubliée la révolution des œillets » in Courrier International du 20 au 27 mai 2009.

Un commentaire

  1. Mali & Niger : la mondialisation néolibérale con
    L’une des caractéristiques de l’année qui s’achève est qu’elle a été riche de promesses concernant l’avenir de l’Afrique. Les grandes institutions des métropoles capitalistes ont presque rivalisé d’intentions généreuses à son égard, de la Commission pour l’Afrique de Tony Blair à la Société du Compte du Millénaire de G.W. Bush, de la Banque Mondiale sous la direction de Paul Wolfovitz au G8 réuni à Gleneagles, des Objectifs du Millénaire pour le Développement onusiens à l’engagement japonais lors du Sommet sur les Affaires Asie-Afrique (avril 2005, Djakarta). La manifestation la plus médiatisée de cette générosité a été l’annonce de l’effacement de 40 milliards de dollars de dette multilatérale, de 18 pays parmi les plus pauvres, presque tous africains.

    Cependant toute cette générosité semble être sans effet sur la réalité. L’Afrique subsaharienne demeure soumise aux mécanismes ravageurs de la mondialisation néolibérale, que nous présentons à partir des cas du Niger et du Mali, deux pays des plus pauvres de la planète, selon le Programme des Nations Unies pour le Développement, dont les peuples ne font pas preuve de résignation

    (Niger, pays le plus pauvre)

    Pendant le premier semestre 2005, trois millions de personnes de tous âges ont été exposées à la famine et abandonnées à leur sort au Niger. Des centaines de victimes surtout parmi les enfants qui mourraient au rythme d’une dizaine par jour de la sécheresse et de l’invasion des criquets ayant détruit les champs. Situation que le gouvernement de ce pays sahélien n’a pu contrecarrer par quelque dispositif préventif, hésitant même d’en accepter la réalité. Quant à la « communauté internationale », elle a attendu des mois et des morts, avant de se mobiliser, malgré l’alarme lancée par des associations locales et par maints observateurs [1] .

    L’invasion des criquets et la sécheresse de l’année n’ont fait qu’aggraver une situation déjà déplorable due aux politiques économico-sociales exécutées par les différents régimes néocoloniaux qui se sont succédés depuis l’indépendance. Le passage du néocolonialisme classique des trois premières décennies à la néolibéralisation présentée comme solution n’a nullement produit l’effet promis [2] . Bien au contraire, malgré sa mise sous tutelle des institutions de Bretton Woods, sous forme de Programme d’ajustement structurel, depuis 1981, le Niger est ainsi, de nos jours, le pays le plus pauvre de la planète, selon les Indicateurs du développement humain (IDH) du PNUD : 63 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté , environ 83 % sont analphabètes, la mortalité infantile atteint 121,69.

    Le fardeau de la dette publique extérieure, dont l’encours en 2005 s’élève à 832,1 milliards de Francs CFA (1,27 milliard d’euros), soit 66,3 % du PIB nominal est l’une des raisons de l’incapacité de l’État nigérien d’éviter ou de parer à cette catastrophe sociale. S’il était objectivement impossible d’agir sur la pluviométrie, au moins la lutte contre l’invasion des acridiens aurait été menée avec quelque efficacité, si l’État nigérien n’avait pour priorité le respect de l’échéancier du service de la dette publique extérieure, qui représentait 22,4 % des recettes budgétaires en 2004. Embarqué dans l’Initiative pays pauvre très endetté (PPTE), censée réduire le fardeau de la dette, l’État nigérien ne connaît, ces dernières années (à l’exception de l’an 2001), aucun arriéré de paiement du service de la dette. Ceci au détriment des secteurs sociaux, comme la santé et l’éducation dans lesquels l’économie des coûts a, par exemple, conduit au recrutement massif des volontaires sans formation et faiblement rémunérés, en remplacement d’une grande partie du personnel formé, qualifié [3]. Même pour répondre à l’urgence sociale d’éviter ou réduire l’impact de la crise alimentaire, il ne pouvait y avoir dérogation à l’exigence du « renforcement de la gestion publique pour aider à bien cibler et hiérarchiser les dépenses » [4] du programme de facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance, dont l’État nigérien est ( bénéficiaire) (Humanisme néolibéral)

    Les victimes de cette famine ne correspondaient pas, sans doute, au profil du pauvre dessiné par le FMI et la Banque Mondiale. Ainsi, a-t-il fallu attendre la mise en spectacle médiatique du drame pour que soit, en partie, entendue la revendication de la distribution gratuite des vivres aux affamés. Une revendication de bon sens qui semblait une énormité pour le gouvernement et ses partenaires de la « communauté internationale » (États-Unis Union européenne), car leurs options c’était la vente des vivres à prix « modérés » aux affamés ou l’échange des vivres contre du travail.

    Les familles qui avaient encore quelques têtes de bétail, décharnées, les vendaient à des prix on ne peut plus dérisoires. D’autres arrivaient à s’endetter, à défaut d’avoir la force de travailler. « Trade, not aid » [5], tel est le principe de la politique de « coopération » du gouvernement des États-Unis sur lequel veillait USAID, soutenu par l’Union Européenne et le Programme alimentaire mondial. Ce drame a été l’occasion de consolider les rapports marchands dans la société et l’individualisme qui les accompagne, amplifiés à l’époque néolibérale. Il va de soi que cet humanisme néolibéral et spectaculaire ne pouvait que réduire l’ampleur du désastre, non lui apporter une solution radicale. Le projet de la « communauté internationale » tant répété est la « réduction de la pauvreté » à long terme, non pas son éradication, pourtant objectivement possible. Ainsi la crise alimentaire perdure : « Les prix sont toujours très élevés sur les marchés, ce qui empêche de nombreuses familles d’acheter la nourriture, à cause de la décapitalisation subie pendant la crise : pour rembourser les dettes contractées, les familles empiètent sur la récolte d’octobre, alors que seulement 2/3 de la terre ont pu être cultivés par manque de semences et de main-d’oeuvre, ce qui accroît leur vulnérabilité et le risque de malnutrition. Les effets de la crise vont se prolonger pendant l’année 2006 » [6]. Dans certaines régions, la situation des enfants s’est même aggravée. La « communauté internationale » manque de volonté pour réunir les 80 millions de dollars qu’exige la situation : seulement 16 millions de dollars ont été réunis au premier semestre 2005, alors que « les guerres d’Irak et d’Afghanistan coûtent aujourd’hui 5,6 millions de dollars par mois, soit, à quelques décimales près, l’équivalent du produit intérieur brut du Niger en un an. Et une rallonge de 202 milliards (pour les six prochaines années) vient d’être accordée au Département de la sécurité intérieure, chargé de protéger le territoire et les intérêts américains .On est tenté de parler de « famine néolibérale » comme Mike Davis parle de « famines coloniales » [8]. Car, une famine déclarée c’est pour les généreux « donateurs » un futur marché possible. De façon classique, il s’agissait de faire changer les habitudes alimentaires des sinistrés. Par exemple, à une population traditionnellement consommatrice de mil, les « donateurs » offraient plutôt du maïs ou du riz qui deviendrait ainsi, subséquemment, un produit de consommation courante à importer.Mais, de nos jours, il s’agit plus d’une opportunité à saisir pour faire accepter les produits génétiquement modifiés. Ainsi, la position du gouvernement nigérien en la matière a connu une évolution assez rapide depuis la reconnaissance officielle de la crise alimentaire. Alors que le Cadre national de biosécurité, élaboré en 2005, exprime une certaine prudence, en novembre 2005, Niamey, la capitale du Niger, est le lieu choisi pour organiser un séminaire régional sur « La couverture médiatique de la biotechnologie agricole – Contraintes et opportunités pour la presse en Afrique de l’Ouest ». Un séminaire organisé par l’Institut international de recherche sur les cultures en zones tropicales et semi-arides (ICRISAT), l’International Service for Acquisition of Agribiotech Applications (ISAAA) et l’UNESCO. L’ISAAA est un organisme qui a pour vocation la lutte contre la faim et la pauvreté dans les pays dits en développement, surtout par la promotion des cultures transgéniques. Ses principaux financiers sont Cargill, Dow AgroSciences, Monsanto, Pionneer Hi-Bred, Syngenta qui sont aussi les principales multinationales des OGM. A l’occasion de cette opération de consolidation de l’endoctrinement des journalistes [9] , a été ôté le cache-sexe sur l’expérimentation des céréales génétiquement modifiées dans la station de recherche de l’ICRISAT, à quelques kilomètres de Niamey, visitée par les séminaristes. A quelque chose malheur est bon pour les marchands d’OGM. Ainsi, cette crise alimentaire va légitimer un processus de mise en dépendance agricole accentuée, en matière de semences, de la paysannerie nigérienne, voire de disparition des plus pauvres, en tant que petits agriculteurs et petites agricultrices indépendants qui iront grossir les rangs du lumpen-prolétariat.Vu qu’il s’agissait d’une ancienne colonie française, restée dans le giron de la Françafrique [10], il y avait une générosité très intéressée. Celle de la Compagnie générale des matières nucléaires (Cogema, du groupe Areva) [11]. Celle-ci est en grande partie redevable à l’uranium nigérien, pillé de façon jalousement monopolistique pendant longtemps. Mais les forfaits de la Cogema-Areva sont désormais exposés publiquement, grâce à la relative « ouverture démocratique » locale et au développement de la conscience antinucléaire, par l’ONG locale Agherin’man (bouclier de l’âme), la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD, France) et l’Association Sherpa (des juristes contre l’impunité dont jouissent les multinationales en matière de violation des droits des travailleurs en particulier, des droits humains et de l’écologie en général) [12]. Cette mise à nu des conditions de travail dans les mines (faible rémunération, exposition des travailleurs à la radioactivité sans véritable système de protection et de contrôle médical), de la pollution de l’environnement aux conséquences fâcheuses sur les populations voisines et l’environnement risque d’aboutir à une réduction des profits en cas de conformité aux normes internationales.La néolibéralisation s’est en grande partie déroulée dans le respect des rapports françafricains. C’est par exemple Vivendi qui a pris le contrôle de la distribution d’eau [13]. Cependant, la privatisation des télécommunications du Niger a plutôt bénéficié à la firme chinoise ZTE en progression sur le marché africain. Ce malgré l’appartenance du Niger à la zone monétaire du Franc CFA. Cette concurrence parfois défavorable risque de se reproduire concernant l’exploitation à venir de l’or, des phosphates et du pétrole. C’est sans doute pour maintenir les relations privilégiées, quelque peu érodées, que l’État français semble accorder une grande importance à la bonne organisation des 5ème Jeux de la Francophonie (7-17 décembre, Niamey ). Alors que 2 millions de Nigériens risquent de manquer de « pain » pendant le déroulement des jeux [14] . La Francophonie, sauf pour les gogos, est en fait la vitrine culturelle d’une affaire plutôt politico-économique, pour l’État du capital français. Mais, avant ces jeux et pendant le calvaire des enfants et adultes malnutris, les projecteurs de l’actualité françafricaine vont être tournés sur le pays voisin, aussi bien géographiquement que dans le classement en matière sociale ou d’indifférence de la part d’une grande partie de l’humanité, comme le dit cet animateur d’Action contre la faim : « Le Mali et le Niger sont des pays oubliés par la Communauté internationale, qui réagit aux crises de manière ponctuelle et non sur le long terme.

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