L’Histoire retiendra que l’humiliation du viol constitutionnel du 12 novembre 2008 a signé l’acte de décès du multipartisme né des événements d’octobre 88. L’Algérie est revenue à la case départ du parti unique, l’Alliance Présidentielle militaro-islamo-nationaliste.

Vingt ans après, le champ des batailles politiques est en ruine. On ne dénombre que 21 survivants dans l’hémicycle parlementaire et des milliers de «déserteurs du territoire national» entre exilés, harragas, dissidents, et clandestins politiques. Aucun ministre, général ou élu quelconque n’a démissionné dans une capitulation générale. A qui la faute?

D’abord à l’infantilisme politique. Le multipartisme a été compris comme une fragmentation des leaderships aggravée par un incroyable turn-over des militants.

Ensuite à la stratégie d’entrisme dans les arcanes du pouvoir qui a été aussitôt contrée par une stratégie de clonage partisan et de contre-entrisme à l’intérieur même des partis redressés ou poussés à la dissidence ou la dissolution.

Enfin à la corruption de l’opposition. C’est le constat grave mais légitime exprimé par Yasmina Khadra : «Ce qu’on appelle «opposition en Algérie» est constituée de prédateurs, qui pensent que les partis ne servent pas à défendre des idées, mais à assurer une rente aux membres de leurs bureaux politiques. D’un seul coup, toutes les voix se sont tues. C’est qu’on ne parle pas la bouche pleine».

Après l’intermède 1992-1995 et le retour au processus électoral, le paysage politique s’était scindé en trois forces distinctes: nationalistes, islamistes et démocrates. Ce triptyque, constamment manipulé par le DRS, est aujourd’hui largement dépassé pour ne laisser place qu’à un bipartisme. Une alliance islamo-nationaliste au pouvoir face à une opposition démocratique composée de deux partis, RCD et FFS. Quant aux clones et partis microscopiques, ils ne méritent plus qu’on les prenne en considération.

On en revient donc au «bipartisme clandestin» que nous avions connu à l’université dans les années 70-80 et dont sont issus les principaux leaders d’opinion d’aujourd’hui. D’un côté les «arabo-islamo-baâthistes», et de l’autre les «berbéro-progressistes». Les étudiants fougueux et engagés avaient déjà compris que le combat nationaliste avait pris fin en 1962 et que plus personne ne pouvait s’en prévaloir pour garder le pouvoir… et qu’il fallait se battre soit pour le panarabisme pour les uns, soit le modernisme pour les autres.

Si on remonte plus loin dans le temps, on peut retrouver l’essence de ce bipartisme à l’algérienne dans l’énoncé même de la déclaration du 1er Novembre 1954: «La restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.»

A l’heure du tout informatique et de l’Internet, il faut de nouveau réécrire les logiciels politiques, obsolètes et inopérants, des uns et des autres. L’entrisme politique a vécu. Les deux protagonistes doivent inéluctablement s’entendre pour que ni l’un, ni l’autre ne puisse corrompre l’arbitre, c’est-à-dire l’Etat. Il faut donner aux institutions souveraines (armée, justice, administration) la neutralité et l’impartialité qui doit les animer et opérer une réelle séparation des pouvoirs.

Le clan militaro-nationaliste, à travers sa police politique du DRS, s’est d’abord joué des démocrates en s’alliant à eux pour éliminer l’islamisme radical et insurrectionnel du FIS. Puis il s’est détourné d’eux pour s’allier aux islamistes modérés avec lesquels il gouverne depuis 1995. On est passé d’une bipolarisation Pouvoir-FIS à une bipolarisation Pouvoir-Démocrates.

Face à ces tactiques visibles et déclarées, les démocrates n’ont pas su réagir ni par des alliances stratégiques entre eux, ni par des alliances tactiques avec les islamistes quand il le fallait.

Les appels à une alliance insurrectionnelle islamo-démocrate pour faire tomber le DRS sont de plus en plus insistants, notamment parmi les exilés dans un cri de désespoir. Mais la réalité est plus amère. Le concept de «régression féconde» énoncé par le sociologue Lahouari Addi a fini par devenir une réalité. Aussi bien chez les islamistes radicaux que les modérés, on ne parle plus d’un utopique Etat islamique ni de charia, mais de démocratie et de volonté populaire. Le courant islamiste est en lambeaux éparpillés. Entre ceux qui s’opposent à la révision constitutionnelle et ceux qui la soutiennent, qui est plus crédible que l’autre ? Ni les uns, ni les autres. Les méfaits du terrorisme sont passés par là. Leur isolement prolongé découle aussi d’une défiance populaire réelle, car il s’est avéré que les premiers arrivés sur les tapis de prière et les plus assidus à la mosquée ne sont forcément les plus vertueux lorsqu’ils gèrent une APC, une administration, une entreprise ou un commerce.

D’un autre côté, l’infantilisme politique des démocrates n’a pas su profiter des divisions et des errements islamistes. Alors que la maison Algérie brûle, trop de «leaders» se complaisent encore dans le zaimisme en attendant qu’on vienne les chercher, que dire les supplier de s’asseoir sur le koursi du pouvoir. Comme l’incroyable destin de Bouteflika après ses vingt ans d’errance et de «désertion du territoire national».

La division des forces politiques, l’isolement et la dé-crédibilisation des leaders d’opinion et des meneurs de révolte sont en partie aussi l’œuvre de la police politique, incompétente par ailleurs à éradiquer le terrorisme.

Face à ce pouvoir totalitaire clanique et corrompu, l’Algérie a besoin de clarifier les enjeux et fédérer ses forces dans une sorte de nouveau Congrès de la Soummam des forces patriotiques et démocratiques quitte à créer un ou deux nouveaux partis.

La situation appelle les deux courants politiques à faire rapidement une nouvelle synthèse qui tienne compte des multiples visages de l’Algérie berbère, méditerranéen, arabe et africain.

Saâd Lounès
17 novembre 2008

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