Sarkozy vient de réussir son pari d’une UPM chargée de symboles, en faisant tourner tous les regards de la Méditerranée vers l’Europe pour ne pas voir les préparatifs de guerre contre l’Iran.

Face aux effets d’annonces superficielles et aux fausses incertitudes, rares sont ceux qui ont dénoncé le nouvel ordre colonial qui se met en place. Avec le recul qui s’impose dans l’analyse de tout événement planétaire, il faut savoir reconstituer dans l’ordre les éléments du véritable puzzle que façonnent les états-majors des grandes puissances. Sarkozy et l’Europe confortent les principes directeurs de l’allégeance globale des dirigeants des pays du Sud face aux stratégies de domination occidentale.

Sarkozy renforce le protectorat français sur la Méditerranée

En surfant rapidement sur l’idée d’Union Méditerranéenne, le président français, fraîchement élu, n’avait qu’une idée fixe en tête: «servir les intérêts d’Israël» et se proposer en sous-traitant de l’impérialisme américain, contrairement à Chirac qui avait fait de la résistance dans la tradition du Gaullisme.

Contrarié par Angela Merkel, Sarkozy a accepté le remodelage formatif du projet, tant que cela n’entrave pas ses objectifs réels. Tout en préservant ses propres intérêts au sud de la Méditerranée, l’Allemagne a davantage renforcé la vocation unioniste de l’Europe qui accentue en parallèle la division des pays du Sud.

En faisant rentrer dans le rang Bouteflika, rendu volontairement invisible par les médias, Sarkozy vient de parachever le protectorat que la France exerce sur tout le Maghreb. Le FLN demandait des «éclaircissements» sur le contenu de l’UPM dans un dernier sursaut de nationalisme. La «réponse de la France», annoncée très maladroitement par François Fillon, a été le limogeage du secrétaire général du FLN Abdelaziz Belkhadem de la chefferie du gouvernement. Son remplaçant, le «bachagha» Ahmed Ouyahia, a tout de suite clamé son allégeance à l’UPM de Sarkozy, sans s’inquiéter de son contenu, tout en déclarant son indifférence sur le sort réservé aux palestiniens. Quant à la «tendance nationaliste» au sein de l’ANP, qui a manifesté ses réticences dans un éditorial de la revue El Djeich, elle a subitement été réduite au silence par la publication «très opportune» d’un article dans le journal italien La Stampa. Un haut fonctionnaire français y raconte comment l’armée a tué les moines de Tibhirine après avoir organisé leur enlèvement. Les médias français sont restés unanimement muets ou très discrets sur cette révélation fracassante en raison des intérêts du protectorat de la «françalgérie».

L’épisode du faux bond du roi Mohamed 6 est significatif des manipulations troubles de la France au Maghreb. Alors que l’on savait depuis longtemps que M6 ne voulait pas participer au sommet de l’UPM, il s’est ravisé pour jouer le jeu de Sarkozy. Sa venue fut annoncée pour appâter Bouteflika et le faire participer personnellement au sommet parisien. M6 a donc sagement attendu que Bouteflika monte dans l’avion pour annoncer sa défection. Le roi du Maroc ne veut plus rencontrer le président algérien qu’à une condition : l’ouverture des frontières fermées depuis 1994 et la normalisation économique. Aux demandes réitérées du gouvernement marocain d’ouverture des frontières, de livraison de gaz, etc. Bouteflika se mure dans un silence lourd et méprisant. M6 réagit par le silence et le mépris. Si l’on excepte la zone tampon du Sahara Occidental qui débouche sur le désert mauritanien, le Maroc a cette particularité d’être enclavé et «mis sous embargo» par son seul voisin algérien qui, en 46 ans d’indépendance, a fermé sa frontière plus de 30 ans. Les tissus économiques de l’Ouest algérien et de l’Oriental marocain souffrent énormément de ce sous-développement imposé.

Une des stratégies du protectorat français sur l’Afrique du Nord est de faire de cette zone un «pare-choc» contre la misère africaine dont l’Europe n’a pas le temps ni les moyens de s’occuper en raison de la double crise énergétique et financière qui risque de durer.

Un des points forts du sommet de l’UPM a sans doute été la consécration définitive du retrait du «protectorat syrien» sur le Liban qui se replace sous «protectorat français» comme au début du siècle. La capitulation de Bachar Al Assad est doublement compréhensive. Isolé et enclavé au Moyen-Orient après l’invasion de l’Irak, mis sous pression internationale et constamment menacé, Bachar n’a plus qu’une idée en tête: sauver son «royaume du Cham», hérité de son père et qu’il lèguera certainement à son fils. Ravalant les rêves de grandeur et de leadership de son père Hafez Al Assad, Bachar a bien raison de jubiler de cette nouvelle reconnaissance internationale qui le sécurise sur son «trône». Pour l’Occident, la Syrie est un petit pays sans pétrole, ni richesses, à qui il suffit de couper ses relations avec le Hezbollah libanais et l’Iran pour le neutraliser complètement. Le maintien du dictateur syrien empêchera l’émergence d’une démocratie ou pire encore d’islamistes au pouvoir.

Comme prévu, les palestiniens ont été les dindons de cette farce méditerranéenne. Ils n’ont rien obtenu d’autre que la promesse du statuquo des pourparlers de paix qui s’éternisent.

On peut ajouter à ce tableau de bord de la domination occidentale, la neutralité bienveillante de la Turquie qui aspire toujours à intégrer l’UE et ne court aucun risque de se faire agresser, même avec des islamistes au gouvernement.

Sarkozy est tout heureux de penser qu’à peine un an après son élection, toute l’Afrique du Nord est placé sous son contrôle de la même façon que le Machrek est placé sous contrôle américain. Il sait bien qu’il n’aura aucun mal à colmater la brèche libyenne d’un Kadhafi isolé.

Maintenant que les rapports de force en Méditerranée sont figés jusqu’au prochain sommet de l’UPM, l’alliance occidentale s’est donné les coudées franches pour programmer l’anéantissement de l’Iran.

Pourquoi l’Occident veut anéantir l’Iran

La pression occidentale sur le programme nucléaire iranien n’est au fond qu’un faux prétexte comme l’étaient les «armes de destruction massives» de Saddam Hussein.

Les enjeux que représente l’Iran sont en réalité beaucoup plus complexes. Il suffit de relire l’Histoire pour s’en apercevoir. Un passé de plusieurs millénaires a donné à la Perse antique une identité immémoriale et un privilège de l’ancienneté qui en font un des très rares pays à être considéré comme les berceaux de la civilisation universelle.

«Si le monde est un corps, l’Iran en est le cœur», disait déjà au 12è siècle un poète iranien. A l’intersection de plusieurs mondes (arabe, turc, russe, indien, chinois), l’Iran au centre de l’Eurasie, a toujours été un enjeu majeur de la politique internationale. Ce pays a un accès direct à l’Europe par la Turquie, à la Chine par l’Afghanistan, à l’Inde par le Pakistan et à la Russie par la Mer Caspienne.

Après avoir été au centre de la Route de la Soie à l’époque des caravanes pour la Chine, l’Iran a vu le passage de la Route des Indes pour l’Angleterre. Et maintenant il est à l’épicentre des Routes du pétrole et du gaz.

L’Iran est une puissance régionale de 1ère importance avec un territoire de 1,648 millions de km2 et plus de 70 millions d’habitants. Il partage 7500 kms de frontières avec une quinzaine de pays dont certains sont enclavés ou quasi-enclavés.

L’Iran est aussi une puissance économique classée au 3ème rang des pays exportateurs de pétrole et au 2ème rang des réserves mondiales de gaz. Premier pays de la région où le pétrole a été découvert en 1908, il a aussi été le premier à le nationaliser en 1951.

L’Iran est surtout devenu une puissance politique. Premier pays de la région à élire un Parlement et adopter une Constitution en 1906, il est surtout le premier pays musulman à avoir réussi une révolution islamique en 1979. Après la mort de l’imam Khomeini en 1989, l’Etat iranien s’est stabilisé en instaurant la collégialité, l’alternance des élites et la séparation des pouvoirs. L’assise et la légitimité populaires du pouvoir iranien rendent très aléatoires toute tentative de coup d’Etat ou de renversement du régime.

Cette réussite dans la durée des islamistes au pouvoir constitue pour l’Occident le véritable danger, bien plus que la maîtrise de la technologie nucléaire, que possèdent aussi le Pakistan et l’Inde. Face aux dictatures archaïques et corrompues des pays arabes, l’Iran constitue un «mauvais exemple», d’autant plus que le discours belliqueux du président Ahmadinejad contre Israël attise les tensions et fait très peur aux monarchies du Golfe.

Avec l’arrimage de l’Afrique du Nord à l’Europe, l’Iran sait maintenant que le monde arabe ne bougera pas le petit doigt en cas de déclaration de guerre, comme ce fut le cas pour l’Irak de Saddam Hussein. Le seul salut de l’Iran pour éviter la guerre ne peut venir que d’un veto russe et chinois.

Mais avant de s’engager dans un nouveau conflit majeur au Moyen-Orient, le nouvel empire américain et ses alliés devraient réviser l’Histoire. Malgré toutes les invasions qu’il a vécu et tous les conflits armés qui l’entourent, l’Iran n’a jamais été vaincu, ni colonisé.

Saâd Lounès
15 juillet 2008

www.saadlounes.com

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