A un jour du début de l’année 2008 on nous a appris la mort d’un détenu du camp de détention de Guantánamo Bay. Après quatre « suicides » dans ce camp de sinistre réputation, trois simultanés (un Yéménite et deux Saoudiens) le 10 juin 2006 et un quatrième le 30 mai 2007 (un Saoudien), nous voilà avec une cinquième victime (un Afghan). Abdul Razzak, âgé de 68 ans, ne s’est pas, lui, suicidé ; il est décédé le 30 décembre d’un cancer colorectal après avoir subi une chimiothérapie depuis le mois d’octobre. Arrêté en janvier 2003, Abdul Razzak est présenté par les autorités américaines comme « ayant eu de nombreux liens avec des forces hostiles à la coalition ».

À Guantánamo près de 300 détenus croupissent encore dans des conditions inhumaines, certains d’entre eux souffrant de graves pathologies, sans être jugés ni même inculpés. Ils sont pris dans un véritable piège. Ils ne veulent pas être remis aux autorités de leurs pays d’origine où ils risquent de subir un traitement pire qu’à Guantánamo, les autorités américaines qui ne cherchent qu’à s’en débarrasser leur refusent l’accès au sol américain de peur qu’ils n’intentent des procès contre le gouvernement étatsunien, et aucun pays tiers n’est disposé à les accueillir.

La fin de l’année 2007 a aussi été une période où l’épouvantail « Al-Qaïda » à été agité à outrance.

Deux explosions endeuillent le 11 décembre deux quartiers d’Alger (Benaknoun et Hydra), et le ministre de l’intérieur algérien, Yazid Zerhouni, livre immédiatement à la presse sa « conviction » que c’est l’œuvre d’« Al-Qaïda », alors que beaucoup d’observateurs y voient l’expression habituelle en Algérie d’une lutte inter clanique au sommet du pouvoir, cette fois-ci vraisemblablement au sujet du troisième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika. Et lorsqu’on lui a reproché de ne pas attendre le déroulement et les résultats d’une enquête, les médias algériens « libres et indépendants » produisent dans les heures qui suivent un communiqué de la « Branche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique » revendiquant les attentats.

Quatre Français sont tués, et un cinquième grièvement blessé par balles, le 24 décembre en Mauritanie, dans une attaque d’hommes armés non identifiés sur une route près d’Aleg, à l’est de Nouakchott. Les médias, notamment français, ont d’abord parlé d’un crime crapuleux et d’une « tentative de vol à main armée par trois hommes circulant à bord d’une berline », mais le ministre de l’intérieur mauritanien, Yall Zakaria Alassane, est venu affirmer deux jours plus tard qu’il s’agit d’un « acte terroriste » commis par des groupes affiliés à Al-Qaïda. Ce sera l’occasion d’opérer des purges dans les rangs de la mouvance islamique en Mauritanie, dont de nombreux membres n’ont été libérés que récemment suite à la pression internationale. Le porte-parole de Yall Alassane expliquera que les actes terroristes, c’est le prix que la Mauritanie doit payer par avoir accédé à l’ère de la mondialisation.

Un attentat à Rawalpindi près d’Islamabad coûte la vie le 27 décembre à l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto. Beaucoup de Pakistanais suspectent les services de renseignement de son adversaire farouche Pervez Musharraf, mais le ministre pakistanais de l’intérieur, Hamid Nawaz, s’empresse de déclarer : « Nous avons la preuve qu’Al-Qaïda et les talibans sont derrière l’attentat-suicide contre Benazir Bhutto ». En quoi consistent ces preuves ? En une communication téléphonique interceptée par ses services dans laquelle le chef présumé d’Al-Qaïda au Pakistan, Baïtullah Mehsud, « félicitait un de ses hommes après l’attentat ». Ce dernier démentira de suite cette version des faits et niera toute implication dans ce meurtre.

A part leur atrocité, ce que ces événements ont en commun, c’est qu’ils représentent des « opportunités politiciennes » pour des régimes répressifs et corrompus qui, désomais, ne jurent que par Al-Qaïda pour être agréés par leur maître locataire de la Maison blanche. Le régime algérien, au bord de l’écroulement en 2001, a provisoirement retrouvé un second souffle après les événements du 11 Septembre et a même réussi à « se vendre » outre Atlantique comme étant « l’Expert » en matière de lutte antiterroriste, moyennant soutien multiforme.

Pour faire croire à leurs thèses, les autorités de ces pays nous produisent des « communiqués », des « appels téléphoniques », impossibles à authentifier, et d’autres « indices » impossibles à vérifier. Ceci me rappelle les années 90 lorsque le GIA sévissait en Algérie. Des communiqués se déversaient d’Alger sur les rédactions mondiales, sans que personne ne puisse les authentifier, et des porte-paroles du GIA à l’étranger étaient branchés sur des casernes militaires en Algérie pour prendre leurs instructions (voir Paris-Match du 9 octobre 1997).

Pour les Algériens qui ont vécu les événements tragiques des années 90, et qui ont découvert par la suite comment certains cercles du régime militaire algérien avaient instrumentalisé la violence, les attentats, les massacres et autres crimes contre l’humanité, à des fins stratégiques et politiques – dans le cadre de la lutte contre insurrectionnelle – Al-Qaïda ne représente que le mutant du GIA à l’échelle mondiale.

Et si Al-Qaïda n’était qu’un fantôme fabriqué par des experts de la stratégie COIN (COunter INsurgency), outil bien rôdé, et discipline bien établie dans la plupart des académies militaires du monde, notamment occidentales, car plusieurs fois éprouvée dans les continents du Sud durant la seconde moitié du 20ème siècle ? Pourquoi ce fantôme épouvantable ? Afin de faire diversion sur ce qui se passe dans les nombreux Guantánamo érigés dans les quatre coins du monde, afin de faire oublier la guerre menée contre l’Humanité (répression, humiliation, pillage, etc.), dans les Etats de non droit, de plus en plus nombreux

Je sais que c’est une question qui dérange. Elle met mal à l’aise parce qu’on refuse d’admettre, en tant que citoyen vivant au 21ème siècle, à l’ère d’Internet et du téléphone portable, que l’on puisse être une victime malheureuse d’une grosse « escroquerie intellectuelle » ? Parce qu’on porte en soi l’assurance, voire l’arrogance, de celui qui a perdu la capacité de questionner les choses et d’interroger les événements. C’est le mal de ce siècle naissant, l’absence de sens critique, non pas chez le commun des mortels, mais chez les « élites », formées pourtant pour chercher à démêler le vrai du faux.

Autrement, comment peut-on expliquer que les citoyens fassent une confiance aveugle aux discours officiels dominants ?

En réalité, si on « avale » si facilement ces discours, sans avoir le temps de les « mâcher » convenablement, c’est parce qu’on est soumis à une machine médiatique redoutable qui les propage en continu, une machine directement ou indirectement aux ordres, qui fait appel pour les « valider », à des « experts », autoproclamés, es terrorisme, es monde arabe, es Maghreb, es islam, etc. qui viennent nous livrer leurs exégèses fumeuses des thèses décrétées par des régimes criminels à l’échelle nationale ou mondiale. Le dernier scoop émis récemment par un prétendu « expert es Al-Qaïda » invité sur le plateau de la chaîne France 24, est que la « Branche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique » vient d’instituer un diplôme en « sciences du jihad » pour concurrencer les branches traditionnelles ! Cette nouvelle lui a permis évidemment d’expliquer pourquoi un bus d’étudiants était près du site de l’une des explosions d’Alger.

Si on « avale » si facilement ces discours, à en subir une « indigestion intellectuelle », c’est parce qu’ils sont accrédités par le silence compréhensible des services de renseignement, au fait de ce qui se trame derrière la scène, et surtout le silence complice des chancelleries qui taisent ce qu’elles savent pour préserver des intérêts politiques et/ou économiques. A ce sujet, je me rappelle les propos de cet officier de la DST française, que j’ai rencontré il y a plus de dix ans, au sujet des attentats commis à Paris en 1995 : « Notre police scientifique a fait son boulot. Nous avons pu identifier des pistes qui mènent aux services algériens. Nous avons établi un rapport d’enquête, mais les autorités politiques ont préféré le mettre dans le tiroir. »

Puisse l’année 2008 nous ouvrir les yeux et le cœur pour y voir plus clair afin de ne pas mourir idiots.

Abbas Aroua
1er janvier 2008

* Le calendrier de l’abrutissement a comme date d’origine un 11 Septembre 2001.

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