Dans la France des années 1970, l’islam ne courait pas les rues. En dehors de la présence plus que discrète, sinon honteuse, des travailleurs maghrébins, la visibilité de l’islam était presque nulle. Pour le premier islamiste algérien que j’étais, il me fallait trouver à mon arrivée en France, des correspondants, c’est-à-dire des hommes capables de m’aider à tenir – notre attente alors était minimale – face à l’assaut du marxisme triomphant qui sévissait alors dans les amphis des universités.

Le décompte des troupes – ou des frères – était vite fait. Une dizaine à peine, de pratiquants, plus ou moins réguliers, parmi les milliers d’étudiants arabes inscrits sur Paris.

Dans le petit cercle de fidèles, les noms de deux petits bonhommes revenaient sur les lèvres : le « Professeur » Hamidullah, comme l’appelleront plus tard ses nombreux disciples turcs, « l’homme du savoir », et une boite aux lettres de l’Islam, appelé Hajri, vieux petit bonhomme tunisien qui proposait ses services aux musulmans des colonies, de passage à Paris. Il assurait la logistique des causeries de Hamidullah quand elles se passaient en dehors de la grande et unique mosquée de Paris.

Ce qui frappait d’emblée, quand on rencontrait Hamidullah, c’était sa capacité à ne pas se laisser impressionner par le tohubohu du siècle, sa distance sereine, sinon son indifférence, vis-à-vis de toutes les clameurs idéologiques ambiantes, son indépendance d’esprit.

Bien ancré dans la foi, ne donnant jamais à voir un tantinet de doute quant aux certitudes de l’Islam, il se dressait tout seul, comme une réfutation incarnée et silencieuse de tous les annonciateurs – nombreux alors – de la « mort de Dieu ». Son attitude semblait dire : Idéologies, je vous sais précaires et révocables et je ne perdrai pas mon temps à vous réfuter. Vous êtes simple écume.

Alors que dans tout le monde, chrétiens et musulmans étaient engagés dans une lutte éperdue – et perdue – pour réduire les effets imparables de la marxisation impitoyable des esprits, Hamidullah poursuivait son chemin de force tranquille consistant à prêcher sur le vieux mode, mais avec des ressources constamment mises à jour et nourries aux sources les plus cosmopolites.

Rien à voir avec les intellectuels musulmans, de la place de Paris, colonisables incurables, musulmans complaisants ou délavés, mariés dans les églises pour mieux se faire accepter, déserteurs de la foi sur le mode arkounien, proposant aux étudiants, nouvellement débarqués, lectures et relectures avec des yeux étrangers.

Armé d’une solide formation polyglotte en urdu, anglais, allemand, arabe, farsi, turc et j’en passe, le Cheikh Hamidullah était vacciné contre la « francitude » – qui se décline comme Servitude –, mal qui frappe tous les intellectomanes – pour parler comme Bennabi – maghrébins ou africains francophones dont l’horizon intellectuel se limitait aux contours de l’Hexagone.

Suffisance béate et infantile, la « francitude » est une formation/déformation mentale, génératrice « d’imbéciles heureux » et qui rend inapte à apprendre d’autres langues et d’autres cultures. Ce concept de francitude, a été forgé par mon ami Ibrahima, du Sénégal, nouvellement débarqué en Amérique, dans les années 90. Y ayant appris l’anglais, il se sentit affranchi de la langue du maitre et se mit à danser et à chanter en anglais… Born again… ressuscité… il en a décrit l’émerveillement dans un article « Servitude, Négritude et Francitude : les trois mamelles de la France » dont je ne retrouve malheureusement pas la référence.

Partie intégrante du « mal français », la francitude–fermeture fait que des milliers d’universitaires maghrébins aujourd’hui installés au Québec, se contentent du pendant du RMI, plutôt que d’apprendre l’anglais qui leur permettrait de trouver du travail au Canada anglophone. Mais passons…

Disposant d’aussi nombreux outils linguistiques lui permettant d’aller chercher l’information ailleurs que chez les coloniaux d’hier et de toujours, Hamidullah échappait à l’aura obligée des Berque et autres Rodinson qui travaillaient à désislamiser les jeunes musulmans.

Alors que le « doute » était érigé en méthode d’analyse et s’infiltrait dans toutes les sphères du savoir, Hamidullah resta imperturbable devant la fascination universelle que représentait la religion marxiste et à laquelle quasiment personne n’échappait, y compris moi-même qui savourais les écrits d’Henri Lefèvre et de Garaudy, encore membre du PC pour quelque temps.

Refusant toute tentation concordiste qui attelait l’islam à tous les « isme » en vogue alors, du genre « islam socialiste, progressiste, capitaliste, ou républicain », Hamidullah continua à enseigner l’islam dans ses catégories traditionnelles sans aucune concession à l’esprit du temps.

Cette indifférence à l’égard de l’aggiornamento du discours islamique pour l’exprimer dans les concepts modernes et qui ressortait à l’archaïsme, énervait quelquefois et n’apportait pas les armes nécessaires à la riposte intellectuelle que le « musulman militant » – catégorie encore rare à l’époque – se proposait d’apporter au monde.

En revanche, le carré d’étudiants pratiquants savait gré au Cheikh de nourrir notre foi avec des matériaux intellectuels sûrs et sécurisants.

Brosser le profil de Hamidullah demande plus de temps que ne le permet cette conférence. Disons quand même quelques traits qui le distinguent des autres intellectuels musulmans qu’on aurait pu connaitre en France dans les années 70-80.

Tout d’abord, son accès direct à l’épistème islamique, c’est-à-dire à l’ensemble de la production intellectuelle islamique, grâce à sa maîtrise des langues majeures de l’islam : l’arabe, le persan, et le turc.

La capacité à lire dans le texte, Ibn Arabî, Rumî, al-Biruni, Abu Hanifa, Sarakhsi, Yunus Emre et autres, donne une conscience unitaire de la culture de l’islam et une jouissance indicible que seuls peuvent connaitre ceux qui ont eu ce privilège.

Les Arabes porteurs d’une « conscience parcellaire » et qui, aujourd’hui, représentent la « mauvaise conscience attardée de l’Islam », gagneraient à sortir de leur splendide isolement et à renouer avec leurs coreligionnaires porteurs de conscience globale, à l’exemple de Hafez de Chirâz qui composait des vers pour moitié en arabe et pour moitié en persan :

ألا أيها الساقي أدِر كأسا وناولها كه عشق أسا ن نمود أول و لي افتاد مشكلها
Echanson sers-nous donc à boire,
Si l’amour parait si simple à ses commencements,
Il se révèle terrible par ses retournements…

La France a connu un homme qu’il faudra absolument célébrer un jour parce qu’il le mérite à plus d’un titre. J’ai nommé Najmuddin Bammate, réincarnation moderne de la culture de Rumi et qui pouvait déclamer dans plus de dix langues l’hymne à Allah et à notre bien-aimé Prophète (sAaws).

Je me souviens du temps, quand, étudiant, je logeais chez la regrettée madame Eva de Vitray-Meyerovitch et que de Rumi elle me parlait. Je l’écoutais avec courtoisie mais avec l’assurance orgueilleuse qu’un Arabe n’a rien à apprendre sur l’islam qui ne soit pas arabe.

Initié plus tard au Grand Œuvre de Rumi, le Mathnawi, « la Mishna de l’Islam », je fis amende honorable et compris la pauvreté de la culture musulmane amputée de l’intériorité.

C’est lui, notre cher Bammate, qui le premier m’apprit ce vers de Rumi :

مثنوي ما دكان وحدت است…. وحدت آندر وحدت آندر وحدت است
Notre Mathnawi est un traité sur l’Unité
Unité du dedans de l’intériorité…

Ailleurs, Rumi nous dit que le Mathnawi est « l’essence de l’essence de la religion » (lubabe lubabe Dîn est – اين مثنوي لباب لباب دين است)

Cette conscience globale de l’Islam œcuménique, il faut dire que l’Asie musulmane en a produit plusieurs témoins, dont l’un d’entre eux, au moins, influença directement Hamidullah. Tout le monde aura pensé au grand Muhammad Iqbal, penseur et poète, auteur de Reconstruire la pensée religieuse en islam, et qui chanta l’Islam en persan, en urdu et dans bien d’autres langues comme l’anglais et l’allemand.

Dans une de ses œuvres, Iqbal convoqua à un banquet posthume Nietzche et Rumi, que l’on peut encore savourer de nos jours, et qui n’a pas perdu de son actualité.

Comme tous les Indiens de sa génération, Hamidullah subit l’influence d’Iqbal comme modèle de l’intellectuel musulman exigeant. Nul doute que l’un des premiers traits de la personnalité de notre Cheikh, fut sa quête inlassable de science, sa soif insatiable de savoir.

L’on n’est jamais sorti de chez Hamidullah comme on est rentré. Il vous a toujours appris quelque chose, une fois sur la Sira, une autre fois sur le Coran, le Hadith, le droit musulman, la Bible et j’en passe. Hamidullah cherchait à rattraper Iqbal, fierté de l’islam indien, sinon de l’Islam tout court, et qui venait de disparaître.

J’ai parcouru lors de mon séjour parmi les siens, à Heyderabad, – et je veux leur rendre hommage ici pour toute l’aide qu’ils m’ont apportée à chaque instant – les premiers articles de Hamidullah dans les revues en urdu de l’époque : curiosité tous azimuts avec des articles aussi inattendus qu’une linguistique comparative sur les structures grammaticales française et allemande, des articles sur l’histoire de l’Islam, des monographies assez hétéroclites et beaucoup d’articles de Droit, sa formation première, etc.

Autre trait distinctif de Hamidullah, c’est qu’il n’était pas d’ici, c’est-à-dire, pas de France ni de Navarre. Il ne partageait pas les tares coloniales des Arabes ou des Nègres de service, commis pas leurs maitres à critiquer la culture indigène et à célébrer la langue du Maitre. Grâce à sa maitrise de l’anglais et de l’allemand, il n’avait aucun complexe vis-à-vis des régisseurs gestionnaires de l’islam de France. Il avait même un ascendant que j’ai eu à constater à maintes reprises quand il citait des sources non françaises devant ses pairs. Ce seul fait suffisait à désemparer les Français, fussent-ils les plus lettrés, ne supportant pas qu’un Arabe – c’est-à-dire tout musulman – ose aller voir ailleurs… au-delà des Pyrénées. Cette ouverture, partout ailleurs louangée, était perçue ici comme une atteinte à la majestueuse culture franco-fermée. Hamidullah commettait au quotidien, et à notre grande satisfaction nous les quatre chats maghrébins, ce péché vengeur de toutes les hogra (mépris, en arabe algérien), du fait qu’il n’a jamais été un sujet de l’empire français.

Le troisième trait, c’est son attachement simple, fervent et éclairé à sa religion. Pratiquant régulier et exigeant, il garda toujours la simplicité du musulman ordinaire qui ne veut rien en remontrer. En somme le contraire de la variété salafite fossile qui sévit en France et en Europe aujourd’hui et dont l’arrogance n’a d’égal que l’obscurantisme.

Piété et humilité, voilà deux qualités qui caractérisent plus que toute autre l’homme Hamidullah et qu’il a héritées du milieu où il a grandi, c’est-à-dire Hayderabad.

Pour comprendre le fait qu’il signait ses lettres par « el faqîr ilà Allah » (celui qui ne peut se passer de Dieu), et en plus de sa signification piétiste, il faut savoir que la plupart des articles qui paraissaient dans les revues où il écrivait dans les années 50, portaient d’abord la mention « Nâ tchîzî », c’est-à-dire le moins-que-rien, celui qui n’est rien, en guise de signature, et ensuite seulement le nom de l’auteur.

En somme, ce trait personnel se trouvait porté et conforté par une tradition scripturaire.

Autre trait de notre Cheikh : Hamidullah est un homme très traditionnel, quasiment allergique à toute velléité de « moderniser » l’islam.

Ce trait aussi, il le doit à Hayderabad, ville dans laquelle il a grandi et dont je rapporte un petit détail suffisamment signifiant. Me rendant à la grande mosquée (Makka Mesjid) pour la prière du vendredi, je découvre à mon grand étonnement que la khotba est dite en arabe devant quinze à vingt mille fidèles qui ne comprennent pas cette langue. Quand, à la fin du sermon, j’interpelle – furieux de voir cette atteinte à la raison – l’imam sur le pourquoi de la langue arabe, que je ne chéris pas moins que lui, sa réponse est on ne peut plus claire ni plus « orthodoxe » :

« Les hanafites considèrent comme détestable (makrûh)
de dire la prière dans une autre langue que l’arabe ».
الأحناف يرون كراهة في القراءة بغير العربية
Al-ahnâfu yarawna karâhatan fi l qira’ati bi-ghayri l-‘arabiyya

J’avais beau lui opposer que les Turcs, eux aussi hanafites, disent bien leur prêche (khotba) en langue turque, rien n’y fit. La tradition – ainsi comprise à Heyderabad – est de rigueur.

Autre qualité assez unique : Sa capacité à parler devant deux ou trois personnes sur le même ton que s’il s’adressait à mille. Cette qualité mérite d’être soulignée car je ne l’ai vue chez aucun autre homme de l’Islam, et je pense en avoir côtoyé les plus grands. Exception faite des soufis, les vrais, bien entendu, qui ne parlent pas beaucoup et donnent à voir en silence.

Cette impassibilité devant l’auditoire, assez unique, n’est pas sans rapport avec l’ego. Il y a ceux qui lisent dans les yeux pour les flatter. Il y a ceux qui parlent pour eux-mêmes, et qui s’écoutent pour se valoriser. D’autres enfin parlent aux autres en les regardant dans les yeux, mais pour leur livrer des éléments vérifiés.

Hamidullah n’a jamais décommandé une conférence en raison du nombre (quelquefois deux personnes au cours des années maigres de la nuit marxiste). Son ton et sa conviction n’ont jamais varié parce que les auditeurs étaient inférieurs à trois. Le contenu de l’exposé prévu n’a jamais été abrégé parce que le nombre d’auditeurs s’est désagrégé.

Autres traits du Cheikh admirable :

Sa capacité de travail. Presque 14 heures de travail par jour à lire et à écrire dans une dizaine de langues. Sa journée commençait avec la prière de l’aube.

Sa capacité d’écoute. Tout le monde allait voir le Cheikh, qui pour demander un conseil matrimonial, qui pour emprunter l’argent que peu lui rendront, et la plupart du temps pour en savoir davantage sur notre religion. De la satisfaction, tous ses visiteurs en auront, et de toutes les contrées du monde ils viendront. De toutes les langues et couleurs ils seront.

Sa capacité unique à répondre au courrier le jour de sa réception, à quelques exceptions près justifiées par le besoin d’apporter la réponse pertinente.

Sa ponctualité. Je l’attends à l’aéroport et aussitôt arrivé, il me presse de le conduire directement à la mosquée pour ne pas faire attendre l’assemblée.

Sa gestion économe du temps. On ne va pas chez le Cheikh pour bavarder. Il vous rappellera gentiment qu’il est là pour répondre à vos questions et il vous aidera à partir au cas où…, gentiment mais fermement.

Traditionnaliste et raide, avec des idées bien arrêtées – trait distinctif de l’Islam indien –, le grand Cheikh prendra patience pour me traduire, à la suite de tant d’autres, des pages entières de l’ouvrage de Mawdudi – qu’il n’aimait pas beaucoup –, intitulé al-khilâfa wa-l Mulk.

Ils sont légion ceux qui ont fait appel dans leur thèse, ou dans leur vie, au concours toujours enthousiaste, sérieux et généreux du grand Cheikh.

Son œuvre majeure est sûrement la Vie du Prophète (sAaws) ou Sîra du prophète, mais chacune de ses publications est le résultat de recherches laborieuses, souvent sans précédent. Signalons sa traduction de la Première Constitution de Médine, Muslim Conduct of State, etc. Mon ami turc, Ihsan Sureyya Sirma, en a fait un recensement qui ne sera jamais exhaustif.

Sa traduction du Coran n’est pas le mieux qu’il a commis, mais elle ne manque pas d’intérêt pour des musulmans de naissance. Ses notes marginales sont par contre intéressantes.

Peut-on critiquer Hamidullah ?

Le dernier siècle a vu émerger un nombre de penseurs musulmans au savoir islamique mal assuré, en tout cas non reconnu par les instances classiques dispensatrices de la science traditionnelle.

Contrairement à Khomeini, que j’ai eu le privilège de rencontrer, sorti directement de la Feyziyya, haut lieu de la science traditionnelle à Qom, les penseurs, comme le pakistanais Mawdudi, dont j’ai été l’hôte à Lahore, deux mois avant sa mort en 1979, les égyptiens Hassan el Banna et Seyyid Qotb – ce dernier m’a valu une nuit de prison à Alger en 1966 pour avoir dénoncé sa pendaison par Nasser, dont je fus par ailleurs un admirateur pour un temps – qui ont exercé une influence importante sur des millions de gens, ne sont pas le produit des foyers classiques du savoir islamique. Ces hommes, sincères, porteurs d’une foi solide, ont beaucoup plus agi comme agitateurs d’idées, réagissant aux pressions qui s’exerçaient sur l’Islam en leur temps. Leur formation relevait plus du bricolage idéologique que d’une véritable construction intellectuelle, endogène, à l’instar de l’Imam Khomeini. D’où la surpolitisation de l’Islam dans laquelle ils sont tombés et que des hommes comme Hamidullah leur reprocheront.

Pour avoir suivi sa formation dans les enceintes des universités modernes, et acquis ses connaissances auprès de maitres non-certifiés (ijaza), Hamidullah s’est vu reprocher – à son tour – de donner une connaissance non-fondée en tradition, surtout de la part de l’école « Déobandi ».

Je me rappelle, à ce propos, sa conférence sur l’Islam et la femme qu’il avait donnée à Alger en 1971 devant un parterre de gens sceptiques ou marxistes. L’ayant invité pour nous apporter des cartouches pour notre combat identitaire, Hamidullah apporta des armes à nos ennemis idéologiques hilares.

Expliquant le sens du sadaq – la dot que le mari doit fournir à son épouse lors du mariage –, Hamidullah s’exprima ainsi : « J’ai fait des recherches à ce sujet, et je suis tombé sur cette explication chez Sidi Khalil (grand commentateur du fiqh malékite), qui dit : « a-sadâqu ka-thamani » (الصداق كالثمن). Hamidullah traduit : le sadaq est le prix de la femme !

Panique dans nos rangs et jubilation chez l’ennemi communiste d’alors.

Un professeur syrien de droit musulman, blessé dans son amour pour l’Islam, et ayant eu son doctorat en… France, se propose de rectifier le tir.

« Khalil, dit-il, ne représente pas la culture musulmane ! »

Scandale encore plus grand et attente vite déçue.

Si le faqih vénéré Sidi Khalil ne représente pas l’Islam, ce n’est sûrement pas un produit sorbonnard qui va nous éclairer sur notre religion !

La soirée se termine, plutôt perdue pour nous qui voulions réhabiliter la femme en islam face aux détracteurs. Le vrai sens de cette formule, il me faudra aller le chercher en Mauritanie.

Envoyé deux mois plus tard à Nouakchott comme conseiller technique, je trouve à mon retour au bureau un occupant qui ne se croit pas obligé d’expliquer sa présence inattendue. Prévenu que les va nu-pieds de Mauritanie en savent davantage sur l’Islam que tous les docteurs des universités modernes, j’en profite pour interroger mon hôte de passage, auto-invité, mais néanmoins bienvenu, sur le sens de la formule de Sidi Khalil. Et, fatalement la bonne réponse arrive :

معناها يشترط في الصداق ما يشترط في الثمن أن يكون حلالا و أن يكون حاضرا
Le sadaq est soumis aux mêmes conditions que le prix :
1) La dot doit être halal (licite) ; 2) Elle doit être présente et disponible.

Enfin, soulagés de savoir que nous avions raison même si nous ne savions pas pourquoi. La science sorbonnarde, et le savoir autodidacte, pris en défaut parce qu’acquis en dehors des foyers traditionnels tel al-Azhar, al-Qarawiyyin, az-Zeytuna et autres Hawza ‘Ilmiyya de Qom, Najaf, etc.

Voila ce qu’on peut reprocher à tous nos penseurs musulmans plus ou moins improvisés, de n’avoir pas suivi le cursus traditionnel de l’Islam avant de prétendre à l’enrichir ou le rénover.

Traditionnaliste, Hamidullah partageait avec ses coreligionnaires indiens une sorte d’anti chiisme primaire, qu’il chassa un moment pour revenir au galop, comme tout fait de culture acquis dans la prime enfance. Consulté par une jeune étudiante algérienne sur la licéité du mariage avec un chiite iranien, le Maitre la découragea en laissant planer un doute sur la validité de l’union qu’elle projetait de faire. Le Cheikh avait oublié qu’il avait écrit le contraire – quelques années auparavant – dans un livre Verse et controverse. Il y préconisait précisément le mariage comme moyen de dépasser la fracture historique chiites/sunnites. Là encore, c’est toujours le fanatisme anti chiite de l’Islam indien qui remonte à la surface. J’ai eu à le constater à Varanase (Benares) – haut lieu de l’Indouisme –, où des sunnites fermaient les yeux sur des faits scandaleux pour tout musulman, alors qu’ils se montraient prompts à condamner les chiites « qui insultent les sahabas ».

Comment classer Hamidullah ?

Erudit de l’Islam, chercheur infatigable, prédicateur de notre religion et fervent pratiquant, artisan de paix, initiateur du dialogue inter religieux, serviteur de tous les hommes de bonne volonté, Hamidullah fut sans doute tout cela. Réfugié en France, après l’annexion par l’Inde de l’émirat de Heyderabad, Hamidullah resta apatride toute sa vie, mais pas du genre gémissant. La patrie pour lui était spirituelle, et l’esprit soufflait toujours chez lui, sans déficit. Serviteur de Dieu, Hamidullah se sentait chez lui, en France et ailleurs, sur toute la Terre, qui appartient à Dieu. Citoyen du monde, il fut, par dessus tout, un témoin de Dieu parmi les Hommes.

Un Témoin éclairé et éclairant.

Et une figure honorable parmi « les Hommes de l’Islam ».

L’hommo Islamicus, par excellence, en France, dans la deuxième moitié du 20ème siècle des chrétiens.

Nous en sommes témoins.

Ayant servi ses frères toute sa vie, les musulmans le laissèrent tomber dès lors qu’il n’avait plus de pieds pour courir les mosquées. Merci à Sedida, sa nièce, qui ne le connut pas beaucoup plutôt, d’être venue d’Amérique, pour le ramener avec elle, s’en occuper laborieusement et l’aider à partir… rejoindre le Seigneur. Honte à nous, musulmans de France, à qui il a tout donné et qui l’avons laissé tomber…

Rahima Allahu shaykhanâ wa ustâdhanâ Hamidullah.
Wa jazâhu ‘annâ wa ‘an millat al-Islam khayra l-jazâ’.

Et salam à tous ceux et à toutes celles qui l’ont aimé, l’aiment ou l’aimeront !

Rachid Benaïssa
Intervention à l’occasion de 5ème édition de la Journée-Hommage du Collectif Hamidullah
Paris, samedi 15 décembre 2007

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