Entretien avec François Burgat

Rachid Ramda a été extradé en France après 10 ans d’emprisonnement en Angleterre. Comment se fait-il que son extradition fut si laborieuse et que peut-on attendre de son procès ? Le cas de Rachid Ramda est-il un cas à part ?

Je ne suis pas un spécialiste des relations judiciaires entre la GB et la France. Je joins sans réserve ma voix à tous ceux qui dénoncent la stupéfiante lenteur avec laquelle ce dossier d’extradition a suivi son cours. Il ne saurait y avoir de nuance ou de réserve, de la part des analystes, dans ce genre d’affaire où la transparence est indispensable. Mais c’est bien là qu’est tout le problème. Sur toute l’affaire des attentats de 1995 en France plane jusqu’à ce jour un doute très lourd, concernant le rôle d’un individu nommé Ali Touchent, alias Tarek, aujourd’hui disparu après avoir séjourné en toute liberté dans les locaux des appareils algériens de sécurité, et qui pourrait fort bien avoir coordonné ces attentats à leur instigation.

L’affaire des époux Thévenot (enlevés à Alger en octobre 1993 par de prétendus "islamistes", et en réalité au terme d’une opération coordonnée par les services algériens avec cette fois la coopération de leurs homologues français, dans le but de justifier la répression anti-islamiste en France, ndlr) montre que ce type de scénario est très loin d’être imaginaire. Sur ce terrain, il existe une liste de révélations inattaquables, venues de dissidents des appareils de sécurité de l'Etat algérien. Elle est aussi impressionnante qu’elle est peu médiatisée. C’est cette vérité-là, approchée par Lounis Aggoun et Jean Baptiste Rivoire dans leur livre "Françalgérie", judicieusement sous-titré "Crimes et mensonges d’État" (La Découverte), que chacun voudrait voir également, aujourd’hui, apparaître enfin au grand jour en marge de la condamnation, tout aussi nécessaire, des "petites mains" des attentats de 1995.

L’islamisme actuel est-il différent de l’islamisme algérien responsable des attentats du RER en 1995 ? Comment en expliquer les évolutions ?

La situation politique algérienne est toujours aussi bloquée, même si la stratégie du pouvoir n’est plus exactement la même.

La répression reste toutefois très présente, derrière le paravent d’une représentation parlementaire préfabriquée depuis toujours à l’aide de scrutins largement truqués.
L’environnement européen continue à soutenir explicitement cette formule. Comme ailleurs dans le monde arabe, inévitablement, la tentation persiste de lutter par la violence armée contre cette coopération méditerranéenne qui assure la permanence et l’impunité des "Pinochets arabes". D’où les risques de ce que l’on appellera un peu vite du terrorisme "islamique", sans se soucier de ses causes profanes et de la part de responsabilité qui nous incombe dans cette vieille "machine à fabriquer des poseurs de bombes". Cette tentation radicale est assurément présente au sein de toute une génération politique. Victime d’un profond déni de représentation, elle en vient à faire une lecture sectaire de l’"Autre" européen qui "justifie" à ses yeux toute les conduites radicales.

Qu’en est-il de l’islamisme algérien aujourd’hui ? Est-il encore potentiellement dangereux ? Le GIA est-il toujours actif en Algérie ? En France ?

On entend plus parler aujourd’hui des GIA pour une simple raison: ceux que bon nombre d’observateurs ont fini, après la majorité des Algériens, à nommer les "Groupes Islamiques de l’Armée", étaient infiltrés, manipulés ou créés purement et simplement par le pouvoir. Cette réalité est désormais reconnue de tous ceux dont c’est le métier de savoir. L’ampleur sans équivalent de la répression conduite par l’armée depuis 1992 (plus de 200.000 morts) semble bien avoir considérablement affaibli les "vrais" réseaux engagés dans la violence armée. Le "terrorisme résiduel" –selon le terme des autorités– semble, pour l’essentiel, être comme par le passé, constitué de noyaux manipulés et contrôlés par les services secrets de l’armée. Les "menaces" que ferait aujourd’hui peser sur la France le fameux GSPC, selon les avertissements répétés des services de renseignements français, incitent donc à la plus grande prudence.

Certes, nous ne sommes plus en 1995, quand le pouvoir militaire algérien avait choisi de porter la "violence islamiste" en France pour faire pression sur le gouvernement Juppé; mais on ne peut exclure des opérations manipulées qui serviraient cette fois de justificatifs à de nouveaux durcissements de la législation antiterroriste.

Derrière le brouillard des manipulations, il n’en demeure pas moins que le malentendu reste profond entre une large partie de la société –dont la voix est tenue à l’écart des médias des deux côtés de la Méditerranée — et la diplomatie de la France dans cette région. Les dividendes acquis par Paris grâce à sa relative autonomie vis-à-vis de Washington aussi bien en Irak que dans le conflit israélo-arabe ne suffisent pas à compenser le malaise que produit notre soutien aux régimes autoritaires de toute l’Afrique du Nord, Khadafi inclus.

Des "passages à l’action directe" ne peuvent donc en aucune manière être exclus. C’est le traitement politique de cette crise et une plus grande transparence de l’information qui écarteront la menace et non point la "benladenisation" de toute opposition aux régimes autoritaires arabes et la manipulation de l’information qui va de pair.

Propos recueillis par François Sionneau
NouvelObs.com, 2 décembre 2005

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