Le ministre de l’Education Nationale français a récemment proposé de développer au collège un enseignement   laïc   de   l’arabe   écrit.   Cette   suggestion   a   donné   lieu   à   des   réactions vigoureuses d’opposants de droite (extrêmes) qui y ont vu une volonté d’arabiser la France en l’imposant à tous (sic), « au lieu de » perfectionner l’apprentissage du français dans le primaire et le secondaire. La qualification de l’arabe comme « une grande langue littéraire » par plusieurs intervenants (y compris par la bouche du grand spécialiste devant l’ Éternel et les intelligentsias au pouvoir qu’est Mr Jack Lang) s’est révélé être un élément de langage pour ceux qui opposent cette qualité jugée intrinsèque permettant d’occulter les autres qualités cognitives et surtout spirituelles (dangereuses pour divers intérêts opposés au monde arabo-musulman ; ainsi a-t-elle pu passer pour un compliment propre à faire avancer la cause mise sur le tapis.Tous ont oublié de rappeler qu’au Moyen-âge occidental (le célèbre « Age d’Or de l’Islam »), la Fus’h’â a fait progresser l’avancement des sciences et techniques et préparé la Renaissance européenne, y compris à travers les affrontements des Croisades en Méditerranée orientale. On a également passé sous silence que, depuis un demi-siècle, la Fus’h’â est une des cinq langues officielles des institutions internationales. Bien entendu, les esprits jaloux n’ont subodoré là que l’effet des pouvoirs économiques du pétrole et du gaz !

En fait, il faut savoir que ce consensus de nos intervenants repose sur une mauvaise dénomination de l’arabe écrit, sempiternellement appelé « arabe littéraire » (ce qui   détourne l’adjectif   technique « littéral »   que   comprend   mal   le profane).   C’est,   chez les   malintentionnés,   une   formulation   habile   qui   rejette   dans   l’ombre l’histoire de son développement multiséculaire dans la Péninsule Arabique et les marches des deux grands empires (byzantin et perse), dans l’oralité dominante de ses locuteurs, sans le secours de l’écriture (contrairement aux autres Sémites), mais avec un tel niveau technique du système lexical en vertigineuse expansion qu’il est devenu, il y a plus de deux mille ans, le registre supérieur commun aux Arabophones de tous milieux, de   tous métiers. C’est son enregistrement graphique qui, au VII ème siècle de l’ère commune, a libéré les convertis à la Révélation du Message coranique des pièges de la simple mémorisation, et a fixé la norme de l’arabe dit “pur” (la Fus’h’â). Les structures profondes de ce système, par-delà les règles d’une grammaire largement partagée avec les autres langues sémitiques, bien plus simples que celles du français, de l’allemand, du russe, du latin ou du grec ancien, interconnectent les mots aux deux plans des sons et des contenus, selon une algèbre naturelle, intuitive, oralement établie autrefois, et c’est ce qui a établi formellement la poéticité de l’arabe, mais aussi la thésaurisation classificatrice de sa description du monde. La Fus’h’â a été, après l’an Mille, l’outil d’expression préféré de grands savants internationaux : iraniens tels que Birouni, Avicenne, et tant d’autres ; arabes tels qu’ Averroès et de nombreux pionniers des sciences et techniques ; juifs, tels que Maïmonide, etc. Et c’est lui qui nous a sauvé, en le traduisant, une partie de l’héritage manuscrit de l’Antiquité grecque et hellénique.

Si ses propriétés communicatives, entre autres, lui ont permis jadis de se hausser au premier plan de la pensée métaphysique, de la littérature, et surtout des sciences et techniques jusqu’à la Renaissance occidentale (notamment en   philosophie, médecine, astronomie, sciences naturelles, etc.), ce ne fut pas par ses études grammaticales introspectives pourtant remarquablement florissantes, mais par les capacités formatrices des structures profondes des interconnexions aux deux plans des signes (les sons et les sens), restées méconnues, mais profondément agissantes. Un enseignement universitaire durant 48 ans et une recherche de six décennies m’ont donné la matière d’une prochaine publication, mon  encyclopédique  Océan   des   signes   arabes,   destiné, non  aux collégiens malheureusement  qui   devront  attendre   sa  future vulgarisation par les premiers lecteurs de mon travail, mais aux cerveaux artificiels auxquels sa structure profonde phono-sémantique (autrement plus riche et bénéfique que sa structure grammaticale de surface) lui ouvre le possible rôle de devenir enfin une interface entre le langage binaire des ordinateurs et le langage humain articulé. Elle rectifiera bien des fausses vérités en cours, venues de conceptions médiévales obsolètes   qui   masquent   encore   –   y   compris   dans   les   manuels   et   les   enseignements   des orientalistes, les   réalités   non   grammairiennes   de   ce   langage   exceptionnel. On comprend que l’on peut s’attendre à une levée de boucliers des tenants de sa littérarité, mais … adversaires masqués de son rajeunissement en profondeur et de son entrée en cybernétique. Non par son transcodage actuel en caractères ASCI qui, pas plus que les alphabets hérités de l’Antiquité et complices des fantasmes des numérologies religieuses ou agnostiques, ne véhiculent le Sens lexical et ne peuvent donc le faire comprendre, mais par sa numérisation motivée des formes symboliques. Les interconnexions des contrastes phono-sémantiques binaires dont j’ai pu relever un corpus de plus de cent cinquante mille items à ce jour, une fois exploitées par les cerveaux artificiels, sont à même de soulever une lame de fond cognitive (extra-grammaticale) qui aurait des effets prodigieux pour le développement intellectuel et culturel des générations à venir ! Je   ne   peux prolonger ces observations, sinon en rappelant que le chinois mandarin n’a pas été empêché par sa grammaire très rudimentaire de développer, depuis des millénaires, les brillantes sciences et techniques de l’Empire du Milieu. Et leur histoire des temps modernes ne fait que commencer…

Professeur Amin Abdulkarim (Michel) BARBOT

Docteur Honoris Causa en Lettres et Sciences Humaines, Alger 2005.

30 septembre 2018

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