Etant donné la situation actuelle en Algérie, j’avoue que j’étais réticent à répondre à certaines inexactitudes contenues dans l’article de M. Boubekeur Ait Benali « Le vingtième anniversaire de la rencontre de Sant’ Egidio« .

D’abord parce que nous nous sommes mis d’accord – les signataires du Contrat National – de ne rapporter publiquement que les conclusions de nos rencontres historiques, c’est-à-dire le Contrat National. Cependant, vu les « révélations » des uns et des autres sur nos délibérations, je me vois dans l’obligation de revenir en détail sur ces rencontres, peut-être dans un ouvrage qui sera dédié à ces rencontres ainsi qu’à nos efforts pour trouver une solution politique et pacifique à la crise algérienne.

Ensuite, parce que le groupe de politiciens appartenant au plus ancien des mouvements islamiques algériens post indépendance, al-Bina’ al-Hadhari (établi au courant de l’année universitaire 1967/1968 et appelé al Djaz’ara par ses détracteurs, appellation que nous rejetons), nous nous considérons comme un allié naturel du FFS.

En effet, en tant que sociaux-conservateurs, de par notre vision politique, nous considérons que le gouvernement devrait assumer un rôle plus important dans les questions sociales pour tous les citoyens afin d’améliorer l’harmonie sociale, d’incarner la souveraineté du peuple sur son territoire, et de protéger sa sécurité nationale et ses intérêts stratégiques.

Ainsi, nous partageons certains objectives avec les sociaux-démocrates, comme la justice sociale, les libertés, la démocratie et le droit du peuple à choisir librement ses représentants, l’Etat de droit avec la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et la liberté de la presse.

En outre, nous sommes pour le maintien des valeurs et principes de la société qui ont été transmis de génération en génération, y compris les valeurs et les principes de l’Islam, les valeurs familiales qui permettent l’existence et le renforcement du réseau des relations sociales, notion chère à notre maitre le défunt Malek Bennabi rahimahoallah. Ceci afin de construire une société algérienne avec une identité enracinée dans son passé spirituellement, culturellement et civilisationnellement, et ouverte en toute confiance à son environnement maghrébin, arabe musulman, africain et méditerranéen.

J’espère donc que nos amis du FFS accepteront sans rancune le fait que j’exerce ici mon droit de réponse ; car de notre part nous souhaitons continuer à considérer le FFS et tous les sociaux-démocrates comme des alliés politiques.

Je me contenterai de répondre aux inexactitudes contenues dans le premier paragraphe de l’article attribuées par son auteur au frère Hocine Ait Ahmed. Oui, je le considère comme un frère dans la citoyenneté et le militantisme pour une Algérie du 1er Novembre 1954.

Un minimum d’intégrité intellectuelle aurait dû amener l’auteur de l’article en question à vérifier auprès de moi, et/ou auprès d’autres participants, encore vivants, des rencontres du Contrat National, les accusations émises à mon encontre avant de les publier.

Notre groupe ci-dessus défini et moi-même avions, depuis le début et jusqu’à aujourd’hui, considéré que la crise en Algérie est d’essence politique, et ainsi la solution devrait être politique.

Pour rappel, c’était notre groupe (sous la direction de Cheikh Mohamed Saïd rahimahouallah) qui activait alors au sein du FIS, qui avait tout fait au lendemain de l’arrestation des premiers dirigeants du parti, afin que le FIS soit maintenu en tant que parti politique non-armé et qu’il participe aux élections parlementaires de décembre 1991.

C’était notre groupe (toujours sous la même direction de Cheikh Mohamed Saïd) qui avait organisé, du moins du côté du FIS-ligne originale, la fameuse rencontre des trois Fronts (FIS, FFS, FLN) au lendemain du coup d’Etat militaire contre le choix du peuple en janvier 1992, qui a regroupé Hocine Ait Ahmed, Abdelhamid Mehri, Abdelkader Hachani et Mohammed Saïd.

C’était également notre groupe au sein du FIS, sous ma direction, dans le cadre de la Délégation Parlementaire et ses consultants, qui, avec certains amis et certains membres de Sant’ Egidio, étions les initiateurs des rencontres historiques de Sant’ Egidio pour le Contrat National.

Ainsi, en réponse à la première inexactitude contenue dans cet article, le FFS n’était pas l’initiateur des rencontres de Sant’ Egidio, ni la première celle de novembre 1994, ni la seconde de janvier 1995.

Je rends hommage ici au feu Cheikh Al-Hocine Slimani de Médéa, rahimahouallah, et son fils le frère et ami Dr. Mohammed. Ce sont eux qui ont introduit notre groupe à Sant’ Egidio en demandant à cette organisation catholique de faciliter des rencontres entre Algériens au sujet de la crise de leurs pays.

Pour l’anecdote, Mohammed Slimani avait contacté le frère Ahmed Zaoui, qui était alors membre de la Délégation Parlementaire du FIS, lui proposant de rencontrer à ce sujet un membre de Sant’ Egidio en Belgique. Voyant que les membres de cette organisation semblaient sincères dans leur désir de paix dans le monde, et vu que notre Délégation était activement en quête pour une sortie de la crise que traversait le pays, Ahmed Zaoui les a conseillés de prendre contact avec moi. Ainsi donc ont commencé les préparations effectives de ces rencontres.

Je donnerai ici un seul indice parmi d’autres qui prouvent clairement que le FFS ne pouvait pas être l’initiateur de ces rencontres de Sant’ Egidio. Lors des préparations de la première rencontre, c’était moi qui avais demandé au vice-président de Sant’ Egidio, mon ami le Dr. Andrea Bartoli à Washington DC, d’inviter tous les acteurs politiques algériens sans exclusion, en premier lieu les partis qui ont été élus lors des élections parlementaires de décembre 1991, ainsi que des représentants des putschistes.

Pour l’anecdote, quelques semaines plus tard, Bartoli m’a exprimé sa surprise quant à la réaction du frère Ait Ahmed face à l’invitation à ces rencontres lorsqu’on lui a fait savoir que Anwar Haddam en ferait partie aussi. Il a essayé de s’opposer à ma présence, m’accusant bien entendu d’extrémisme. J’ai tout de suite signifié à mon interlocuteur que notre Délégation Parlementaire pourrait envoyer quelqu’un d’autre que moi, notre objectif étant la réussite de l’initiative. Andrea m’a répondu qu’il n’en était pas question, et que la direction de Sant’ Egidio avait déjà signifié clairement à si Ait Ahmed qu’il n’y aurait pas de rencontre à Sant’ Egidio sans la présence d’Anwar Haddam. C’est la même réponse qui a été donné par Sant’ Egidio aux autorités américaines (aux affaires étrangères plus précisément) lorsqu’elles m’ont refusé en premier lieu de sortir des USA afin de participer à la première rencontre ; mon voyage a été retardé de 48 heures.

Une autre inexactitude : l’auteur de l’article dit que « Dans la foulée, il [Hocine Ait Ahmed] contacte Anwar Haddam, réfugié aux USA. Bien que ce dernier veuille poser le problème en termes militaires, en invoquant notamment l’existence d’une armée liée au FIS, Hocine Ait Ahmed le refroidit en disant que la démarche en question vise à trouver la solution à la crise politique plombant le pays depuis trois ans. » !

Je n’ai jamais posé le problème en termes militaires, comme je n’ai jamais « [invoqué] notamment l’existence d’une armée liée au FIS] ». Car, tout en soutenant politiquement le droit du peuple à se défendre et à défendre ses institutions élues démocratiquement, en condamnant tout acte de terrorisme, j’ai toujours prôné et œuvré pour une solution politique à la crise du choix de l’autorité politique en Algérie.

Aussi, je ne sais de quel contact « dans la foulée » il s’agit ici. En tous les cas, lors des rencontres de Sant’ Egidio, on se rencontrait en séance plénière, ou, à ma proposition et dans le souci de faire avancer les négociations, dans des rencontres discrètes entre les chefs des délégations des trois fronts (FIS, FFS, FLN). Des fois, ces rencontres discrètes ont été élargies aux membres des trois Fronts. Des années plus tard, nous nous sommes rencontrés à Washington une fois mais en présence du vice-président de Sant’ Egidio.

Donc je n’ai jamais rencontré Ait Ahmed tout seul ; il y’avait toujours d’autres personnes présentes à mes rencontres avec lui, et ils pourraient en témoigner ici.

Il se pourrait qu’Ait Ahmed fait allusion ici à l’une de mes propositions, faite non pas en tête-à-tête comme l’auteur semble suggérer ici, mais plutôt en séance plénière et en présence de toutes les délégations, lors des discussions concernant l’une des mesures qui devraient être prises précédant les négociations.

En effet, dans le souci de faire arrêter effectivement l’effusion du sang, tout en renforçant l’aspect politique de la solution à la crise, c’est-à-dire ne faire participer à la table des négociations avec le pouvoir putschiste en place que des parties à caractère civile non armées, j’avais proposé de faire engager, d’une manière indirecte et non pas directement, les groupes armés dans la solution de sortie de crise. Cela en proposant de laisser au FIS la liberté de négocier avec eux, mais en assurant aux dirigeants du FIS toutes les facilités et garanties nécessaires leur permettant de rencontrer librement tous ceux dont la présence est jugée par les dirigeants du FIS nécessaire pour une prise de position commune. Cette proposition a été acceptée et introduite à ma demande dans le Contrat National (voir section B) 1- de la plateforme du Contrat).

Pour l’histoire, la Délégation Parlementaire du FIS était la seule délégation à avoir par écrit, dès la première rencontre en novembre 1994, une proposition d’une dizaine de pages pour une sortie de crise ; proposition qui a été ratifiée par la direction du FIS de l’intérieur du pays non emprisonnée. Cela nous a pris presque une année entière de préparation pour une telle rencontre. Lors de la deuxième rencontre en janvier 1995, seul le FFS a ramené une autre proposition de deux pages. Lors de la dernière session précédant la cérémonie de signature de la plateforme du Contrat National, en présence de toutes les délégations, Dr. Ahmed Djedai du FFS, que je salut ici, a dit tout haut : « Allons-nous signer le Contrat National ou la proposition soumise par la Délégation du FIS ? », constatant la similitude entre les deux.

Libre aux lecteurs et lectrices de juger si Anwar Haddam « [voulait] poser le problème [de notre pays] en termes militaires », comme voulait nous le faire croire cet article.

Merci pour votre lecture, wassalam.

Anwar N. Haddam
Député – Elu au Parlement algérien (FIS, Décembre 1991)
Co-signataire du Contrat National pour une solution politique et pacifique à la crise algérienne, Rome, Italie, 13 janvier 1995.
Président du Mouvement pour la Liberté et la Justice Sociale (MLJS, Janvier 2007)

20 janvier 2015

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