Cependant, pour mieux comprendre l’entreprise coloniale, Olivier Le Cour Grandmaison la décrypte, dans une analyse certes concise, sans fard ni acrimonie. Pour lui, Alexis de Tocqueville, connu notamment pour ses travaux sur l’Amérique, pose, dès 1841, les jalons d’une occupation sans concession. « J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brulât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre », a justifié l’auteur de « la démocratie en Amérique » la violence coloniale dans l’un de ses discours en 1841.
Ainsi, en faisant fi de la souffrance des peuples autochtones, Alexis de Tocqueville soutenait l’idée que si ce n’était la France qui occupait ces territoires, ce serait une autre puissance. Du coup, tous les moyens sont bons pour s’emparer injustement de cette terre algérienne. Malgré les révoltes et les insurrections –hélas non coordonnées –, ces méthodes ont abouti à la « pacification du pays ». Mais, si ces violences sont commises au début de la colonisation, qu’on est-il des méthodes employées 120 ans plus tard ? Selon Olivier Le Cour Grandmaison, on peut passer de la première période à la seconde sans qu’on note une différence notable.
A tel point, estime-t-il, que « ce détour par Tocqueville, et les débuts de la colonisation, ne nous éloigne pas des massacres d’Algériens les 17 et 18 octobre 1961 par des policiers aux ordres du préfet de police Maurice Papon. » Hélas, en l’absence des lois qui protègent les « indigènes », les victimes sont livrées à elles-mêmes. Pire encore, ce savoir-faire français, comme dira Michèle Alliot Marie cinquante ans plus tard, a été transmis aux dictateurs sud-américains dans les années 1970.
Quant à ceux qui dénoncent cette violence, y compris parmi les Français, ils sont tout bonnement montrés du doigt, voire combattus. Mais cela n’empêche pas les justes de dévoiler la face monstrueuse de la colonisation. Olivier Le Cour Grandmaison en cite particulièrement une historienne qui a fait un travail fabuleux. Il s’agit de Paulette Péju. « Parce qu’elle a donné la voix aux sans-voix, à ceux qui n’ont jamais été entendus parce que leur parole ne pouvait avoir droit de cité car ils étaient des terroristes d’abord, des Algériens ensuite, des immigrés enfin, Paulette Péju se dresse comme un témoin qui accuse en leur nom ; son réquisitoire est accablant pour la République et ses responsables », écrit-il dans le journal « Libération » du 21 décembre 2000. D’ailleurs, c’est grâce à l’apport de ces témoins et à la ténacité des victimes que la vérité a fini par éclater. Hélas, il aura fallu presque 40 ans pour que la guerre d’Algérie soit considérée comme telle. Enfin, en dépit de l’ouverture du débat en France après cette reconnaissance, le massacre des ouvriers algériens le 17 et 18 octobre n’est reconnu officiellement qu’en 2001 lors de l’inauguration de la plaque dédiée aux victimes à Paris.
Pour conclure, il va de soi que le système colonial représente le déni de la citoyenneté. Malgré une résistance continuelle du peuple algérien, le système colonial est resté comme à ses débuts. Mais, en demandant aux Algériens de participer aux efforts des deux guerres mondiales, les autorités métropolitaines ont pensé émanciper une certaine catégorie d’Algériens. Hélas, le lobby colonial sabordait automatiquement les éventuelles avancées. Dans ces conditions, il ne restait aux Algériens que la lutte armée pour acquérir leur droit à vivre sans carcan. Pour y parvenir, ils ont payé un lourd tribut, comme en octobre 1961 à Paris. Mais est-ce que le peuple algérien a recouvré entièrement sa liberté? Hélas, si l’Algérie est indépendante, les luttes politiques pour le pouvoir ont empêché le peuple algérien de s’épanouir.
Boubekeur Ait Benali
29 octobre 2014