Décidément, les célébrations des dates historiques se succèdent sans que les Algériens soient d’accords sur la façon de les fêter. En effet, entre un pouvoir qui en fait un fonds de commerce et des citoyens qui les rejettent parce qu’elles sont exploitées, le peuple algérien doit, tôt ou tard, se les approprier pour leur donner la place qu’elles méritent. Hélas, jusque-là, malgré le caractère capital de ces événements historiques, force est de reconnaitre que leur utilisation effrénée par le régime provoque des comportements ambivalents. Du coup, on peut dire qu’en Algérie les célébrations se déroulent à deux vitesses. D’un côté, on a un régime qui exploite sans vergogne ces dates historiques en vue de redorer son blason et d’un autre côté, une jeunesse qui estime que cette révolution a été trahie par la succession de coups de force depuis 1962.

Cependant, pour comprendre le désaccord entre le régime et la société algérienne, un rappel historique est requis. Contrairement à la version officielle, le 1er novembre ne représente pas le soulèvement concerté du peuple algérien contre le régime colonial. Bien que ce système inique ait contribué à décider les activistes en vue de se lancer dans l’action armée, la préparation du 1er novembre s’est déroulée en catimini. Issus du principal parti nationaliste, le PPA-MTLD (parti du peuple algérien –mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), ses militants se scindent en trois groupes : les centralistes [certains se sont intégrés dans le système colonial], les messalistes [ils agitent la lutte armée pour forcer les autorités coloniales à dialoguer] et les activistes [les fondateurs du FLN, les initiateurs de l’action armée]. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que malgré leur réputation de durs,  ces derniers sont les moins connus.

Cela dit, bien qu’on puisse épiloguer autant que l’on veut sur l’action de ces hommes, on ne peut pas leur reprocher leur sacrifice et leur dévouement à la patrie.  Ainsi, tant bien que mal, ils ont réussi à jeter les jalons du futur État algérien. Leur vision et leur but sont inscrits dans la proclamation de novembre 1954 et dans la plateforme de la Soummam d’aout 1956. Et s’il y avait des malintentionnés, qui voulaient faire de l’Algérie leur propriété privée, on ne pourrait pas incomber cela aux allumeurs de la mèche. En revanche, ceux qui ont rejoint le FLN historique dans le seul but de le détourner de sa mission ont la totale responsabilité dans la crise perdurant jusqu’à nos jours. En éliminant tous les inspirateurs de la révolution algérienne –hélas, certains membres fondateurs, à l’instar de Ben Bella, ont comploté avec eux –, les usurpateurs ont accaparé tous les leviers du pouvoir. Ainsi, de Boumediene à Bouteflika, l’Algérie est réduite à un bien que l’on partage entre bandes de copains. Malheureusement, écrit Hocine Malti, le 1er novembre 1954, «  dans leurs pires cauchemars, ces martyrs [Abane, Didouche, Ben Bouali et les autres] n’avaient pas imaginé une seule seconde que, soixante ans plus tard, dans l’Algérie libre et indépendante, le peuple serait soumis à un régime semblable à celui dont il avait souffert durant la longue nuit coloniale ».

De toute évidence, bien que la comparaison soit trop osée, il n’en reste pas moins que les injustices sont réelles. Ainsi, dans un pays où en 15 ans l’Algérie a engrangé près de 900 milliards de dollars, 24% de la population, à en croire une étude de la LADDH, vivent en dessous du seuil de pauvreté. Que dire aussi de l’état de délabrement du système de santé. Est-il nécessaire de rappeler que 52 ans après le recouvrement de l’indépendance, et malgré une aisance financière, le chef de l’État se soigne à l’étranger. Enfin, pour résumer l’incurie des dirigeants algériens sur le plan économique, Hocine Malti rappelle que « l’Algérie ne produit rien et importe tout ce qu’elle consomme », et ce, malgré les dépenses publiques monumentales, écrit-il. Cette phrase résume, à elle seule, le bilan des régimes successifs depuis l’indépendance.

Pour conclure, il va de soi que la bonne foi des authentiques révolutionnaires n’a pas suffi à édifier un État de droit. Bien qu’ils aient réussi à renverser l’ordre colonial, ils ont négligé un facteur essentiel, à savoir l’éventualité de voir des Algériens remplacer le même ordre une fois l’indépendance acquise. D’ailleurs, existe-t-il une différence entre une injustice exercée par des nationaux ou par des étrangers ? Quoi que l’on puisse dire, l’injustice est condamnable d’où qu’elle émane. Enfin, si un peuple veut être libre, il faudra, dans un premier temps,  qu’il arrache sa liberté et, dans un second temps, qu’il la défende. Et c’est à ce prix que l’Algérie redeviendra une patrie libre.   

Boubekeur Ait Benali
22 novembre 2014

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