A tous ceux qui, face au verdict des urnes tunisiennes, continuent de proclamer bruyamment que « les islamistes ont été désavoués massivement par la société » (et notamment bien, sur, « par les femmes » qui ont « débarrassés » (le pays ) « de tous ces sales musulmans » comme l’a très exactement formulé, au micro de France-Inter, une électrice de La Marsa) je serais tenté de suggérer une double nuance.

La première pourrait être de nature à les inquiéter. Mais la seconde, s’ils en mesurent et s’ils en acceptent la portée, devrait les rassurer.

Le premier message est que si Ennahda a perdu les élections, c’est seulement par ce que sa direction a fait le choix de s’ouvrir vers « l’Autre », que l’on définit un peu rapidement comme « laïc » (car, de très longue date, le programme d’Ennahda est exempt de toute trace de théocratie) et d’accepter ce faisant de se couper d’une partie significative de sa clientèle électorale. En s’assurant l’appui d’une composante seulement de l’importante mouvance salafiste (sans même faire la moindre concession aux jihadistes partisans de « l’action directe ») Ennahda aurait très vraisemblablement pu combler l’écart de ces quelques sièges qui l’ont privé de figurer en tête du scrutin. Si Rached Ghannouchi n’avait pas fait ce choix courageux, mais, au moins à court terme, électoralement couteux, la lecture que nous faisons aujourd’hui de la scène tunisienne, et de l’assise des courants islamistes dans la région serait substantiellement différente.

La seconde nuance minimisée par nombre d’observateurs et qui devrait nourrir notre optimisme est que le retrait du pouvoir des islamistes a mis à mal les pronostics péremptoires (« Un homme, une voix, une fois ! ») qui, répétés ad nauseam depuis l’interruption du processus électoral algérien en 1992, avaient fondé notre soutien inconditionnel à la perspective toute aussi mortifère d’« Un homme, toutes les voix, toutes les fois ». C’est au nom de cette suspicion dont nous découvrons – mieux vaut tard que jamais – qu’elle était infondée que nous avons cautionné les pires dérives autoritaristes, celles la même qui ont nourri la radicalisation dont le monde musulman, (et le reste du monde avec lui) tente aujourd’hui de trouver, dans l’ouverture politique et la construction d’un Etat de droit, la porte de sortie. Prudence donc, avant de faire du scrutin tunisien le prétexte à ces vieux raccourcis dont nous sommes si friands.

Une constatation réaliste a manifestement échappé jusqu’à ce jour à l’occupant israélien de la Palestine : « Vous n’avez pas voulu Fatah, vous avez eu le Hamas. Vous ne voulez pas du Hamas, vous aurez al-Qaïda ». Cette corrélation réaliste semble nous avoir tout autant échappé. Pour ne pas avoir voulu de Morsi (et de ses « frères ») gardons nous de ne pas avoir Daech, un jour, et son caliphe, pour ultime et unique interlocuteur.

François Burgat
31 octobre 2014

Source: https://www.facebook.com/francois.burgat?fref=nf

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